Cette fois, c’est confirmé. Elle est vraiment partie. Annoncé et infirmé à plusieurs reprises ces dernières années, le décès de l’ancienne première dame et femme politique exceptionnelle est finalement devenu réalité. Hier dimanche 25 juillet, elle s’en est allée après avoir totalisé au compteur 87 printemps. Celle que le Bénin pleure aura véritablement marqué les esprits à partir du 4 avril 1991 dans la mythique salle de conférence de l’hôtel Plm Aledjo où son mari, malade et affaibli, a prêté serment pour entrer dans la plénitude de la fonction présidentielle.
N’eût été son entrée en politique à la suite de l’élection de son mari à la tête de l’Etat, Rosine Soglo serait passée presque inaperçue. Mais il a fallu qu’elle investisse le champ politique, qu’elle crée un parti, qu’elle soit élue députée à plusieurs reprises pour marquer les esprits. Le Bénin doit l’irruption de cette amazone des temps modernes dans le débat public grâce aux conseils avisés d’un certain Félix Houphouët Boigny qui, à coup d’arguments, réussit à convaincre l’ancienne première dame de créer un parti afin de soutenir et de donner un poids politique à son mari. C’est ainsi que le 24 mars 1992, la « Renaissance du Bénin » fut portée sur les fonts baptismaux. « La politique a été pour moi un hasard, une nécessité… », a-t-elle confié des années plus tard. Contrairement à la quasi-totalité des formations politiques de l’époque, celle-ci était dirigée par une femme qui très vite s’est affirmée dans un milieu typiquement phallocrate. Trente ans après, malgré la portée de son action publique, aujourd’hui encore au Bénin, les hommes occupent largement le champ politique. Mais en son temps, avec elle présente dans l’arène, ils ont soufflé le chaud et le froid.
Une peau de pachyderme…
Nullement ébranlée par la présence massive des hommes en politique, Rosine Soglo a dirigé la Renaissance du Bénin, sans désemparer, d’une main de fer. A l’Assemblée nationale, il n’y avait pas son pareil. Presque seule au milieu des hommes, la femme de poigne qu’elle était ne se laissait ni impressionner ni influencer. Au contraire, c’est elle qui menait la danse. Dotée d’une grande culture générale et juridique, elle tenait le haut du pavé dans les débats et mettait un point d’honneur à jouer les premiers rôles. Incisives, ses interventions laissaient très peu de place à des répliques dignes du nom. Elle n’était pas habitée par le souci de plaire et disait les choses comme elle les ressentait. Rachidi Gbadamassi, son désormais ancien collègue a particulièrement fait les frais de son franc-parler déroutant. Malgré son statut d’opposant, elle savait dominer les débats de son aura. Elle a reçu des coups et en a donné aussi. En 2003, au terme d’un congrès organisé à Allada, Nathanaël Bah, Guy Adjanohoun et compagnie avaient opéré un coup de force en la destituant de la présidence du parti. Mal leur en a pris. Au bout d’une impitoyable bataille politique et juridique elle a réussi à retrouver son fauteuil et enraciné son assise au sein du parti jusqu’en 2017 où à bout de force, elle a consenti à laisser les rênes à son fils ainé Léhady.
Brave et battante, elle était aussi un leader. Il suffisait de la voir réussir à faire pencher les débats à l’Assemblée dans un sens ou dans l’autre. En période de campagne électorale ou à l’occasion des bains de foule, son leadership était manifeste. C’est peu dire qu’elle faisait vibrer les femmes dont elle fut pendant longtemps le porte-étendard. Elle aura réussi à prouver que la place de la femme est aussi en politique et qu’il suffit de le vouloir pour s’imposer.
Choquée au départ par cette intrusion dans la vie publique, l’opinion a appris à la connaître, à l’accepter et à l’admirer. En dépit de ses frasques, elle a toujours su inspirer du respect et de l’admiration.
Une tacticienne
En 2019, après 24 années consécutives passées au parlement, Rosine Soglo a pris sa retraite et s’est retranchée à son domicile sis au quartier « Les cocotiers ». Indubitablement, elle a marqué d’une empreinte indélébile son long passage au palais des gouverneurs à Porto-Novo. Elle savait user des avantages que lui conféraient les circonstances du moment pour engranger des victoires politiques. En avril 2003, la 4ème législature prenait son envol. Aux premières loges, Rosine Soglo, doyenne d’âge chargée de conduire l’élection du nouveau bureau de l’Assemblée nationale. Au moyen de multiples suspensions et de reports de séance, elle a bloqué le processus électoral en exigeant au moins un poste pour son parti tombé en minorité. En dépit des pressions, elle est restée intransigeante. Il a fallu une décision de la Cour constitutionnelle un mois plus tard pour débloquer la situation. En mai 2015, lors de l’installation de la 7ème législature, la coalition qui a porté Adrien Houngbédji au perchoir pour la 3ème fois à une voix près, a réussi son coup grâce à Rosine Soglo qui dirigeait les travaux. Pourtant, en ce temps-là, elle était déjà malade et aveugle.
Une mère poule
Seule femme de la famille au milieu de trois hommes (son mari et ses deux fils), Rosine Soglo a veillé sur eux jusqu’au bout. Quiconque osait s’attaquer à l’un d’entre eux la trouvait sur son chemin. Cette femme de poigne, unique et irremplaçable fut un soutien fidèle pour les siens. Hélas, à l’heure du dernier soupir, elle n’a pu bénéficier de leur présence réconfortante. Hospitalisée ces derniers jours suite à des soucis cardiaques, elle a demandé à rejoindre son domicile dans la matinée d’hier. Elle s’est éteinte dans l’après-midi loin de son mari parti à l’étranger pour suivre des soins médicaux et de son fils aîné, Léhady en situation d’exil. Seule consolation, son second fils Galiou eut l’honneur et l’éprouvante charge de conduire sa dépouille à la morgue.