Bien que l’argent soit aujourd’hui le moyen le plus courant par lequel les échanges commerciaux se font, il existe encore des endroits où les échanges se font de biens à biens. C’est le cas du village Sêhomi dans l’arrondissement de Possotomé situé dans la commune de Bopa, département du Mono.
Tel que défini, le troc est un système économique primitif, excluant l’emploi de monnaie. Il est de fait un échange direct d’un bien contre un autre. De nos jours ce système est pratiquement délaissé au profit d’échanges commerciaux incluant la monnaie. Pourtant dans certaines contrées du Bénin comme Sêhomi, ces pratiques ancestrales continuent. ‘’Ce marché, nous sommes venus le voir. Il s’anime depuis le temps de nos aïeux. Nous avons juste continué la pratique et nous pensons que nos enfants et les arrières de nos petits enfants continueront de l’animer aussi’’, témoigne l’octogénaire André Noumon, chef du village Sêhomi 2.
Lucien Kadja, un guide de tourisme de la localité va dans le même sens. Il précise que personne ne peut dire avec exactitude quand ce marché a commencé par s’animer. ‘’Je ne peux pas déterminer l’année à laquelle ce marché a commencé par s’animer. Mais selon ce que j’ai eu comme information, c’est que ce marché s’animait depuis le temps de mes grands-parents sur la berge du lac Ahémé’’, confie Lucien Kadja. A l’en croire, ce marché est tout aussi vieux que la création du village. En ce moment, raconte-t-il, le marché s’animait au bord du lac Ahémé. Mais la crue du lac a fait que les anciens se sont résolus à transférer le marché sur le lieu actuel un peu plus vers la terre ferme loin de la berge et depuis des lustres. Il n’y a pas de jours où les femmes n’animent pas ce marché spécial, précise Lucien Kadja.
Pour ce professionnel du tourisme, ce marché représente un attrait touristique qui attire bien de touristes curieux de voir en plein 21ème siècle un marché où la monnaie n’intervient pas dans les transactions.
Marché de troc de Sêhomi, un attrait touristique
Mardi 03 octobre, il est 18heures. Le soleil, dans le ciel de Sêhomi semble clément avec les dames du marché. Profitant de cet éclairage naturel, les femmes du marché de troc de Sêhomi vaquaient à leur activité du jour : échanger vivres contre vivres.
C’est dans cette ambiance que nous avons aperçu, dame Christine Dokonou qui venait aussi au marché avec son petit panier de poissons fumés. Dans son empressement, nous avons compris qu’elle avait pris du retard pour venir au marché. ‘’C’est depuis 17 heures que le marché s’ouvre normalement et si tu ne fais pas vite, tu risques de ne pas avoir de bons produits’’, laisse-t-elle entendre quand nous l’avons abordé pour savoir pourquoi elle était si pressée.
En effet, le marché de troc de Sêhomi s’anime presque tous les jours à partir de 15 heures. Et la particularité c’est l’absence totale du numéraire dans les échanges. ‘’Ce qui nous particularise dans ce marché et qui attire les gens c’est que nous n’échangeons que des vivres.Nous les femmes de ce village, nous venons avec du poisson. Et les femmes des villages environnants tels que Dahè, Bakpodji…viennet avec les cultures vivrières. Les femmes viennent même du Couffo avec toutes sortes de vivres tels que le maïs, le riz, le haricot, le manioc, crincrin, noix de palme,…bref tous les produits agricoles. Et nous faisons
Quand bien même ce marché résiste encore au temps, il est menacé de disparition si les dispositions idoines ne se prennent pas à temps
Menace de disparition
Deux menaces permanentes planent sur le marché de troc de Sêhomi. Il s’agit de la rareté des pluies qui font que les produits vivriers ne sont plus produits en quantité d’une part, et l’ensablement du lac Ahémé. En effet, le mardi 3 août 2021 par exemple, le marché n’a pu être animé parce que les bonnes dames qui devraient amener les produits agricoles n’étaient pas au rendez-vous. ‘’Comme vous pouvez le voir, nous sommes arrivés mais celles qui doivent venir avec les vivriers ne sont pas là parce qu’aujourd’hui c’est le jour d’autres marchés et donc elles ont sûrement préféré aller là-bas. Mais aussi, il faut aussi dire qu’à cause de la rareté des pluies cette année, la production agricole a substantiellement baissé. Donc les gens préfèrent vendre le peu qu’ils ont pour avoir un peu de numéraire plutôt que faire le troc. Et si cela doit continuer ainsi, nous craignons pour notre marché. Mais nos ancêtres sont avec nous’’, explique dame Christine Dokonou.
Outre le problème de pluviométrie qui a réduit la production agricole, se trouve le problème de l’ensablement du lac Ahémé et, du coup, la pêche n’est plus rentable comme auparavant.
Le lac n’étant plus profond, la reproduction des poissons n’est plus importante et ceci influe sur la quantité de poissons pêchée. ‘’Le lac n’est plus profond. Nous n’attrapons plus de poissons comme avant. Or la quantité de poissons pêchée est divisée en deux. Une partie est destinée à la vente pour nous permettre de subvenir aux besoins vitaux de nos familles et l’autre moitié est remise aux femmes pour le marché de troc afin de ramener le vivre nécessaire. Mais avec l’ensablement du lac, la pêche ne donne plus et moi j’ai peur pour l’avenir de ce marché’’, laisse entendre Lucien Kadja.
La situation est vraiment préoccupante. Et il urge que des actions fortes soient menées par les autorités compétentes pour trouver solutions à ces deux facteurs qui menacent le marché de troc de Sêhomi de disparition. Car comme l’a stipulé Lucien Kadja, il est important que le ministère de l’agriculture les aide à désensabler le lac. L’avenir de ce marché, qui représente un attrait touristique pour le Bénin, en dépend.