Quelle utilité pour la réécriture de certains aspects de l’histoire de notre pays : cas des révoltes des années 1900 à Sakété et de l’envoi en exil du Roi Adélou Biodjo
Lorsque les membres du collègue C de l’académie nationale des sciences, arts et lettres du Bénin ont décidé lors de leur séance du 16 juillet 2021, d’accorder une place importante dans les activités à venir, à la rédaction de l’histoire du Bénin, on pouvait se demander quelle pourrait être l’utilité de regarder dans le rétroviseur.
Lorsque les responsables du parti politique ‘’Union progressiste (UP)’’ ont décidé de tenir un colloque en marge des 61 ans d’accès à la souveraineté internationale de notre pays, certains compatriotes se sont bien demandé quelle pouvait en être l’utilité. A quoi sert-il de continuer à regarder dans le rétroviseur, avaient même ironisé certains.
Mais le Président Bruno Amoussou qui en a entendu plus que ça avec sa grande expérience professionnelle et politique a, avec ses militants choisi de maintenir le cap, « 61 ans d’indépendance : Quelle Afrique ? » : quatre jours pour en discuter, du 28 au 31juillet 2021.
Pour lui, « Le monde d’aujourd’hui est la continuation de celui d’hier, surtout pour les pays dominés et fragiles comme le nôtre. Se priver de connaitre les fils qui ont servi à tisser l’ancienne corde, c’est choisir la stratégie du piétinement, de la régression et de l’échec ». De toutes les façons, nul ne peut se mettre à l’abri de l’information car « c’est sur le manque d’information qui est la source d’ignorance, que prospèrent les retours en arrière suivis des recommencements » . Moment ne pouvait pas être plus propice pour ce devoir d’introspection et de prospection si indispensable à la poursuite de la construction de notre pays.
Rétroviseur oui : il a fallu que nos pères subissent toutes les humiliations et se battent avec détermination pour que nous profitions aujourd’hui de la souveraineté internationale pour parler au nom du Bénin. La lutte anti coloniale a connu pour ce faire plusieurs facettes.
On le sait, la collaboration entre les autochtones ‘’indigènes’’ et l’administrateur colonial n’a pas été des plus tendres. Saurons-nous jamais ce qui s’est réellement passé depuis la conquête coloniale jusqu’à la souveraineté internaionale. Pourrions-nous lire un jour la véritable histoire de ce temps passé ? Beaucoup de pays ont bien envie de le savoir.
Ainsi, lorsque le professeur Iba Der Thiam a initié en 2013, le « Projet de réécriture de l’Histoire générale du Sénégal, des origines à nos jours », il a bénéficié des soutiens qu’il fallait puisque le projet a été immédiatement reconnu comme un projet novateur d’intérêt national .
L’histoire du Sénégal vue par les sénégalais devait à terme selon les concepteurs, aider la communauté internationale à mieux connaître et respecter le Sénégal. Le projet a ambitionné d’écrire « un récit authentique », distancié « des archives laissées par les colonisateurs français ».
Pour le président Macky Sall, « Il y a une impérieuse nécessité de décoloniser notre Histoire en la maîtrisant et en reconstituant par nous-mêmes et pour nous-mêmes le récit authentique de notre passé ». L’une des « finalités essentielles » pour lui étant de servir de base à une refonte des programmes scolaires. Selon le président du Sénégal : « Au lieu de nous apprendre les Charlemagne et autres, ça sera l’occasion de faire connaître cette histoire dans les écoles primaires, les collèges et les universités. Ne l’oublions pas, l’esclavage et la colonisation ont eu comme soubassement la négation de l’Histoire, de l’âme et de la raison du peuple noir. » .
Il est rapporté par exemple que « Lorsqu’elle aborde la révolte de février 1905 à Sakété, la presse française de l’époque coloniale ne fait écho que de deux victimes, les leurs ; l’administrateur Caït et le douanier Cadeau . Ce qui n’est pas la position de Vidégla et Félix Iroko à travers leur article : « Nouveau regard sur la révolte de Sakété en 1905 avec de nombreuses victimes du côté des autochtones. En effet les populations fatiguées de subir les humiliations et autres maltraitances n’hésitaient pas à déclencher des révoltes qui étaient toujours réprimées dans le sang par l’administration coloniale.
I. Les révoltes dans divers endroits de la colonie dahoméenne
La révolte de Sakété en 1905 serait la première de toutes les flambées de soulèvement qui mirent à rude épreuve l’installation du colonisateur au Dahomey. Les révoltes ont par la suite gagné pratiquement toute la colonie.
Les causes de ces révoltes étaient pratiquement les mêmes : travaux forcés relatifs aux infrastructures dans les cercles, corvées, amendes suppressions de liberté et surtout refus de recrutements pour la participation aux efforts de guerre française .
Dans le Hollidjè (actuel Adja-Ouèrè), les autochtones et l’administration coloniale après des opérations armées des deux côtés du 16 février 1914 au 28 avril de la même année durent consentir l’occupation de leur territoire après l’arrestation de leur roi Otoutou Biodjo en 1915. Accusé de rébellion à main armée, le roi fut condamné à dix ans d’internement en Mauritanie . Quel a été à partir de cette condamnation le parcours pour le roi déporté. Il serait bon de le savoir.
Des documents d’archives ont bien rendu compte de ces soulèvements même s’il faut reconnaitre leur caractère souvent partial et orienté.
Cette partialité appelle à une nouvelle approche de ces révoltes dont celle de Sakété qui a conduit à la mise en exil du roi Adélou Biodjo et de ses compagnons.
II. Le mouvement insurrectionnel de Sakété en 1905
Comme partout ailleurs, la collaboration entre Sakété et l’administration coloniale n’a pas été des plus paisibles. Sous le règne du roi Agbola, cette collaboration se transforma carrément en affrontements. La domination de l’administration coloniale était telle que les habitants étaient prêts à se rebeller contre elle au moindre incident. La révolte atteignit son paroxysme le 25 février 1905, lorsque l’administrateur colonial voulut faire interdire une cérémonie funéraire qui se déroulait à quelques mètres de la résidence de l’administrateur.
Celui-ci indisposé par le vacarme des festivités ordonna de les interrompre, ce qui, aux yeux des habitants, était une façon de souiller la mémoire du défunt et donc un scandale et un sacrilège. Le heurt qui s’ensuivit entraîna des coups de feu et la mort de l’administrateur colonial Caït en personne et du douanier Cadeau. Tout cela finit dans un bain de sang.
La victime collatérale et non létale fut le roi Agbola Djoyé. Déchu par le pouvoir colonial, il dût prendre la fuite pour se réfugier au Nigéria.
III. Sur les traces du roi Adélou Biodjo
Adélou Biodjo qui succéda à Agbola connut également un règne mouvementé car ce dernier va mener son combat anti colonial à sa façon. Il va s’opposer au recrutement des fils du royaume de Sakété dans l’armée coloniale pour les guerres en cours.
Descendant du roi Aniwa Djoyé de Sakété, Adélou Biodjo « Adékounlé » a tenté face à l’oppression coloniale « sa » résistance. Malheureusement, cela lui en a coûté. Il fut purement et simplement déporté en 1915 à Fort Etienne, actuel Nouadhibou en Mauritanie en pleine guerre mondiale. Depuis lors, le silence règne sur les traces de ce vaillant digne fils béninois. Depuis, ses descendants s’activent pour avoir les cendres de leur roi.
Rétroviseur oui : il y a comme l’a déclaré le président Macky Sall, une impérieuse nécessité de décoloniser l’histoire du Bénin vue seulement par le colonisateur qui a traité un brave roi qui s’oppose avec les siens aux humiliations et diverses autres brimades de terroristes, l’a condamné et déporté.
Comme le disait bien le professeur Félix Iroko, lors d’une conférence publique à Sakété en 1994, l’histoire doit clarifier le traitement fait au roi déporté Adélou Biodjo, un résistant à la colonisation française. Avec la même détermination, on doit savoir aussi ce qu’est devenu le roi de Ouèrè Otoutou Biodjo. C’est vrai que les deux avaient en commun Biodjo. Le destin les a réunis après leur destitution par le colonisateur au même endroit. Les historiens du Bénin devront pouvoir leur rendre la justice patriotique pour le repos éternel de leurs âmes.
Rétroviseur oui : Sur les traces des rois Adélou Biodjo de Sakété et Otoutou Biodjo de Adja-Ouèrè.