Loin de la prison d’Akpro-Missérété et de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) se joue un autre feuilleton de l’affaire Reckya Madougou. Des échos qui parviennent de ce saga entre le juge démissionnaire de la Criet Essowé Batamoussi et l’Etat français, l’issue n’est pas du tout ce qu’aurait souhaité le gouvernement de la Rupture.
Arrivé à Paris la semaine dernière en compagnie de sa famille, le juge Essowé Batamoussi a entamé en début de semaine les démarches administratives afin d’obtenir le droit d’asile. Aidé en cela par l’avocat français de Reckya Madougou, les choses sont allées très vite. Mardi dernier, les médias ont annoncé que le juge a déjà obtenu son statut de réfugié en France. La célérité avec laquelle l’Etat français a accordé au juge démissionnaire le statut d’exilé est la preuve que la thèse de l’immixtion du pouvoir exécutif dans l’affaire Reckya Madougou est plus probante, plus crédible aux yeux de la justice française que la thèse de manipulation politique du juge évoquée par le Garde des sceaux, ministre de la justice du Bénin, Séverin Quenum. Que la justice française décide donc de mettre le juge démissionnaire en sécurité, le protéger contre les éventuelles représailles que pourraient susciter ses dénonciations ne doit pas être bien vu par le pouvoir de Cotonou, notamment le garde des sceaux.
Qu’il vous souvienne qu’en démissionnant de la Criet, quelques jours après l’arrestation de l’opposante au régime de la Rupture, candidate recalée à la présidentielle de 2021, Reckya Madougou, Essowé Batamoussi avait évoqué des pressions de la Chancellerie (le Garde des sceaux) dans le dossier. “Le juge que je suis n’est pas indépendant tel que cela devrait être. Toutes les décisions que nous avons été amenées à prendre l’ont été sous pression. Je citerai la dernière celle qui a vu le placement de Dame Reckya Madougou en détention ”, avait affirmé Essowé Batamoussi sur Rfi. Pour lui donc, le dossier Madougou ne comportait aucun élément et il affirme avoir reçu des pressions politiques. Il affirme également que plusieurs autres dossiers sont concernés par ces pressions venant du pouvoir. Quelques jours après, il a réitéré les mêmes propos sur les antennes de France 24. « S’agissant du dossier Reckya Madougou, il s’agit d’une histoire rocambolesque, une pure imagination du pouvoir exécutif. On nous a instruit de suivre les réquisitions du ministère public à savoir le placement en détention provisoire de dame Reckya Madougou contre notre gré. Tous les dossiers dans lesquels la Chancellerie a un intérêt font l’objet de pressions. Pour la plupart des cas, ces pressions viennent lorsqu’on constate qu’il y a des opinions dissidentes » a laissé entendre le juge.
En réaction à ces accusations, le Garde des sceaux, ministre de la justice Séverin Quenum affirme ne pas connaître le juge Essowé Batamoussi. « Je ne le connais pas, je ne lui ai jamais parlé bien qu’étant garde des Sceaux qu’il met en cause », a déclaré le ministre Sévérin Quenum sur les antennes de Rfi. Pour lui donc, le juge se fait manipuler car Reckya Madougou est «une alliée politique dite de l’opposition radicale qui jure par tous les dieux que l’élection du 11 avril n’aurait pas lieu et qui provoquerait une insurrection destinée à mettre un terme au mandat du président en exercice ». Le ministre de la Justice pense qu’«il s’agit là d’une manipulation politique ». Il assure qu’«il n’y a pas d’instructions données, il n’était même pas nécessaire de donner des instructions ».
En déliquescence avec sa hiérarchie, le juge Essowé Batamousi s’était réfugié au Togo avant de rallier la France, la semaine dernière. Quelques jours seulement après son arrivée, il obtient le statut d’exilé.
Quelle autre arme pour l’administration Talon ?
Face à ce camouflet, que va faire maintenant le gouvernement de la Rupture ? Pour qui connait le mode opératoire du régime depuis 2016, il serait illusoire de penser que l’affaire Batamoussi serait close de cette manière, sur une dose d’échec pour la Rupture. Pour soigner son image, le gouvernement ne va-t-il pas recourir à l’arme de radiation ? On a déjà vu cela par le passé avec le feuilleton du capitaine des Eaux et forêts et chasse, Patrice Trékpo, révoqué du personnel des eaux et forêts et chasse pour avoir dénoncé la façon dont le gouvernement a fait quitter du parc de la Pendjari les agents des eaux et forêts. Avec l’envahissement, dénoncé en son temps par l’Unamab, du Conseil supérieur de la magistrature, le chemin n’est-il pas tout tracé pour une radiation du juge contestataire, devenu exilé en France ? Les jours à venir nous situeront.