David Affodjou sur le droit du travail en période de Covid-19 : « Il serait souhaitable que les employeurs et l’État prennent langue avec les travailleurs et négocient… »
David Affodjou est Juriste d’Entreprise, Consultant, Inspecteur du travail et Enseignant Droit social et de Droit administratif. A travers l’interview ci-dessous, il fait l’état des lieux de l’emploi au Bénin surtout dans un contexte où la pandémie de la Covid-19 a bouleversé les standards du travail dans le monde en général et au Bénin en particulier. Selon lui, le monde s’est tourné vers le télétravail, mais au Bénin, aucune loi ne régit encore ce secteur.
Quel regard portez-vous sur l’emploi au Bénin actuellement en cette période de Covid ?
Cette période de Covid a montré les limites de notre système actuel. Et aujourd’hui, l’emploi a connu aussi un tournant dans la gestion et dans la vision qu’on avait des choses. On a constaté qu’on a pu s’adapter à la situation, et cela nous a permis de voir aussi les opportunités innovantes pour gérer le travail salarié.
On a constaté que la situation sanitaire, comme vous l’avez dit à imposé un nouveau système de travail. Cela n’a-t-il pas quelque peu perturbé la législation en la matière ?
Non, aucunement. La législation n’a pas été perturbée. Même eu égard à tout cela, le ministère du travail à travers une directive du 2 avril 2020 a rappelé les principes qui existaient déjà à savoir les grandes modalités de gestion du travail en temps de la Covid-19. Et en ce temps, on a rappelé qu’il s’agissait de faire le travail par roulement, le chômage technique et autres. Ce sont des notions qui existaient déjà dans notre code du travail, dans notre législation.
Quelles sont ces dispositions ?
Pour la directive, le ministère a rappelé d’abord les mesures barrières, les grands gestes, les obligations de chaque partie à savoir l’employeur et le salarié. Cela a mis l’accent sur les modalités de gestion de notre temps de travail actuellement. C’est pourquoi je parlais tout à l’heure du travail par roulement. On a parlé du chômage technique. On a parlé aussi de la suspension de certains contrats de travail. On a parlé de l’horaire individualisé. Les employés peuvent déroger à l’horaire collectif pour aller aux horaires individualisés. Donc, le ministère du travail, à travers Mme Adidjatou Mathys, a pu sortir un acte qui rappelle tout ça, et a inclus bien-sûr le télétravail qui était jusque-là inconnu du grand public...
Quelle est la responsabilité de l’employeur vis à vis de ses employés dans le contexte sanitaire actuel ?
L’employeur a d’abord une obligation générale de santé et de sécurité en ce qui concerne ses travailleurs sur le lieu de travail. Il doit prendre toutes les mesures pour assurer leur sécurité. C’est une obligation permanente qu’il mène indépendamment de la crise sanitaire. C’est pour cela qu’avec l’avènement de la Covid-19, cette obligation s’est renforcée. Donc, les articles du code du travail et l’arrêté sur la prévention des risques professionnels a mentionné clairement ces obligations. Et comme je l’ai dit, c’est tout faire pour que les travailleurs soient véritablement en sécurité et ne pas être soumis à certains impératifs, notamment les risques professionnels, les accidents de travail et les maladies professionnelles.
On impose aux travailleurs d’aller se faire vacciner. Au regard de vos propos, ne trouvez-vous pas que quelque chose ne tourne pas rond ?
En réalité, il faut voir la question sous deux prismes. D’abord, le prisme de la santé publique, et ensuite, le prisme des libertés individuelles. Ce sont deux principes fondamentaux, deux obligations qui sont connus. Et l’Etat doit garantir d’abord la santé publique, et ensuite les libertés individuelles. Donc, ces deux notions s’entrechoquent à l’heure de la Covid-19. L’employeur est-il alors légitimé à demander à ses salariés de se faire vacciner ? Si on se réfère à son obligation et santé de sécurité, on peut penser qu’il est obligé d’assurer la santé des autres travailleurs mais également des autres catégories de travailleurs dans son entreprise. Donc, pour compenser, sur cette question, on peut dire oui, il est fondé. Mais réellement, dans le dispositif législatif actuel de notre pays, aucun texte juridique ne prévoit de se faire vacciner. Et toute mesure qui adviendrait à le faire serait peut-être discriminatoire. Elle ne répondrait à aucun fondement juridique. Il serait souhaitable que les employeurs et l’État prennent langue avec les travailleurs, négocient et sensibilisent. Ce n’est qu’à partir de cela que les gens, de façon volontaire, vont adhérer à la vaccination.
Aujourd’hui, le télétravail s’impose pratiquement à tous ; le travail en présentiel commence par prendre de recul. Mais est-ce qu’il y a une loi qui encadre le télétravail ?
Il faut dire que le télétravail n’est pas encore connu du grand public et le travail en présentiel reste encore de mise chez nous. Aujourd’hui, il n’y a aucun texte législatif qui organise le télétravail au Bénin. Donc, certainement les gouvernants prendront, à coup sûr, les jours à venir, les semaines, les années à venir des décisions concernant le télétravail pour l’encadrer et l’organiser.
Alors, est-ce qu’il y a des avantages liés à ce type de travail ?
Oui. Ça permet au travailleur d’être un peu plus libre dans la gestion, des subordinations...Ça lui permet de concilier peut-être facilement vie privée et vie publique même si cela présente aussi des risques pour le travail.
Qu’en est-il des risques ?
En termes de risque, l’employé se sentira certainement déconnecté du milieu de travail. Il va travailler à la maison et le sentiment de non appartenance à l’entreprise va être grandissant à son niveau. Aujourd’hui, pour les risques, c’est surtout cela. Il y a aussi le risque de surcharge du travail. Il n’y aura pas une démarcation transitoire entre les heures de travail et de repos. Donc, à tout moment, on peut l’inviter à travailler, on peut l’inviter à fournir des résultats. Ensuite, on va évoluer vers l’obligation de résultats. Alors que, traditionnellement et fondamentalement, l’obligation du travailleur est une obligation de moyens, pas de résultats. Donc, voilà à peu près les risques. Parce qu’aujourd’hui, cela va se résumer au livrable. Et quand on parle de livrable, on parle d’obligation de résultats, alors que le salarié ordinairement et traditionnellement a une obligation de moyens.
Est-ce que celui qui travaille désormais en télétravail peut se faire licencier ? Dans quel cas est-il possible ?
Quand on dit télétravail, c’est sur la base d’un contrat de travail. Et donc, il doit respecter toutes les procédures parce que les textes en matière de licenciement sont clairs. Il faut permettre au salarié de pouvoir s’expliquer, et il faut lui donner le temps lors l’audition de salarié qui peut passer par la demande d’explication ou par le Conseil de discipline. Donc, le télétravailleur peut bel et bien être licencié.
Tout travail à domicile n’est pas du télétravail. Expliquez-vous !
Lorsque vous prenez les travailleurs domestiques par exemple, ce n’est pas du télétravail. Vous prenez les commerciaux qui vont dans les maisons, ce n’est pas du télétravail, ce qu’on appelle ordinairement le nomadisme. Donc, c’est différent, surtout pour les commerciaux.
Dans quel cas peut-on parler de licenciement abusif dans le cadre de travail ?
Le licenciement abusif, c’est tout licenciement qui n’est pas motivé par un juste et réel motif, c’est-à-dire, qui est basé sur des motifs fallacieux qui ne reflètent pas les faits. C’est cela le licenciement abusif. L’initiateur béninois a eu le mérite de faire une distinction entre le licenciement abusif et le licenciement irrégulier. Le licenciement irrégulier, quant à lui, c’est tout licenciement qui est opéré sans que le travailleur n’ait la possibilité de se défendre ou un licenciement prononcé verbalement ou un licenciement prononcé pendant que le travailleur est en congé. Voilà comment l’initiateur béninois a fait une démarcation entre le licenciement abusif et le licenciement irrégulier.
Supposons par exemple qu’on se fait licencier pour avoir refusé de se faire vacciner ? Peut-on parler d’abus dans ce cas ?
- Oui. Dans tous les cas on ne saurait parler d’un acte de subordination, mais si on a été licencié, l’intéressé peut toujours saisir la Cour Suprême pour faire déclarer la décision discriminatoire, parce que l’obligation de se faire vacciner actuellement n’a aucun texte législatif. Donc, lorsqu’on va licencier un travailleur sur cette base là, ça devient un licenciement discriminatoire.
Supposons qu’une employée part en congé de maternité. Et qu’à son retour, on lui notifie qu’elle n’a plus sa place au sein de l’entreprise.
- Non non. On ne pourrait pas dire à une femme dès le retour de son congé de maternité qu’elle n’a plus sa place. Cela devient aussi un licenciement discriminatoire, parce qu’en réalité la loi est claire, la femme est protégée pendant et après la grossesse, pendant la grossesse et pendant l’allaitement. Donc, la loi prévoit qu’on ne peut licencier une femme enceinte compte tenu de son état. Alors l’employeur qui prononcerait un licenciement dans ce cas précis, après le retour de congés de maternité, aura prononcé un licenciement discriminatoire et le juge va se prononcer pour dédommager l’intéressée.
Quelles sont les sanctions pénales prévues contre cet état de choses ?
Le législateur a déjà fait une barémisation, c’est à dire que, pour ce qui est du licenciement pour motif de licenciement abusif, c’est de 1 à 9 mois de salaire pour l’indemnisation du domaine, la réparation du préjudice et pour licenciement irrégulier c’est de 1à 3 mois de salaire, indépendamment de l’indemnité du licenciement.
Lorsqu’il s’agit par exemple d’une mise en disponibilité, on suppose qu’un employé part pour des études pendant deux ans ou trois ans. Quelles sont les conditions pour réintégrer l’entreprise ?
Le législateur béninois en droit administratif a réglé la question pour ce qui est de l’agent de la fonction publique. Mais pour les travailleurs du secteur privé, il s’agira d’une entente entre eux, parce que les conventions collectives ou les apports collectifs doivent définir le cadre dans lequel ça doit s’organiser. Donc, actuellement, il n’y a aucune législation spécifique pour le secteur privé en ce qui concerne la mise en disponibilité. Donc, dans la fonction publique, c’est connu, c’est réglé.
On suppose que l’employé a sollicité deux ans et fait un an de plus.
Il ne pourra pas faire 1 ans de plus. S’il a sollicité deux ans, au terme des deux ans, il doit revenir et renouveler la mise en disponibilité.
Quels mots avez-vous à placer à l’endroit des travailleurs actuellement ?
Actuellement, je dois dire aux travailleurs de prendre soin d’eux-mêmes, de prendre soin de leur santé et de prendre soin aussi de la santé de leurs collègues en ce temps de la covid-19, de se protéger et de se protéger encore.
Propos recueillis par Patrice SOKEGBE