Vendredi noir pour la presse béninoise. Vincent Foly s’en est allé, vendredi 3 septembre dernier, vaincu par le coronavirus. Plus qu’un coup de massue, la nouvelle de la mort du directeur de publication du journal ‘’La Nouvelle Tribune’’ a surpris nombre de professionnels des médias qui saluent la plume d’un homme prêt à tout pour défendre ses convictions, la justice et la démocratie. Témoignages de ses pairs….
Marcel Zouménou
« Il était de l’école qui faisait de l’information une denrée indispensable pour la société »
« Je ne sais même par où commencer, tellement tourmenté par cette nouvelle et l’idée de ne plus le revoir à jamais. J’avais appris il y a quelques jours qu’il était souffrant mais j’étais loin d’imaginer qu’il était condamné. Il était d’une santé robuste (en dix ans, je ne l’ai jamais vu tomber malade) qui me donnait la certitude qu’il était bien réservé à une plus longue vie. Vincent Foly était pour moi plus qu’un DP. C’était un maître et un guide dans la profession. Il était de l’ancienne école du journalisme ; l’école qui faisait de l’information une denrée indispensable pour la société et qu’il faut donner à tout prix. Il était également attaché au pluralisme médiatique et souffrait du fait qu’on qualifiait son journal d’opposition.
” Lorsque tu exprimes une opinion contraire, tu es forcément opposant”, se désole-t-il souvent. Ce qui était important pour lui, c’est que la presse reste un pilier de notre démocratie et qu’elle soit toujours capable de donner l’information juste et de dénoncer tout ce qui ne va pas. Il aimait beaucoup les ” récits”, les faits, presse rigoureuse, attachée au factuel.
C’était un homme qui savait dire Félicitations pour le travail bien fait et n’avait aucune gêne à dire aussi que ton texte est nul. Il était franc, parfois trop taquin mais il n’était jamais dans l’adversité éternellement. Lorsqu’il se brouille avec quelqu’un, c’était souvent pour des raisons idéologiques et la réconciliation ne tarde pas à venir. C’était également un patron qui avait un sens élevé de responsabilité. Il était presque tous les jours le premier à la rédaction qu’il quittait tard après être sûr que les derniers films sont tirés. Il faisait toujours une réunion après la conférence de rédaction pour avoir une idée du contenu du journal de demain et passait le clair de son temps à lire les articles phares et les réflexions qui venaient de tous les coins du monde »?
Léon Anjorin Koboudé
« Vincent Foly, une plume bien tranchée »
« J’avoue avoir connu la plume avant de rencontrer l’homme à plusieurs reprises. Dans ma position de journaliste, puis de consultant en communication. Si ses articles pouvaient paraître engagés, l’homme, lui était plus ouvert, tolérant, capable d’affronter la contradiction. Nous discutâmes de politique, de ses positions tranchées et de ses déceptions. Homme de conviction, il écouta mes nuances, sans renier ses positions. On pouvait discuter avec lui, en toute sérénité. Le doyen Vincent Foly était d’abord un intellectuel. La qualité de sa plume est une référence dans le milieu journalistique béninois. Et cette plume était souvent au service des causes presque perdues.
Nos derniers échanges téléphoniques remontent à début 2021 et portaient autour de la liberté de presse avec en toile de fond la suspension de son journal, la Nouvelle Tribune. J’ai noté beaucoup d’amertume et de dignité dans ses propos. Et spontanément, je lui lançai ‘’Doyen, tu es une référence pour nous les jeunes !’’. Son combat contre ‘’l’unanimisme’’ dans les journaux était un sujet de principe pour lui.
Avec le décès de Vincent Foly, c’est un certain courage du journalisme au Bénin qui s’éteint. Heureusement que l’homme a formé toute une génération de journalistes qui saura garder vive la flamme de la Nouvelle Tribune. Paix à ton âme, cher Doyen ! ?
A.P. Virgil Houessou
« Il était intransigeant sur sa liberté, l’impartialité et l’indépendance du journal »
« J’ai travaillé pendant quelques mois à la Nouvelle Tribune en qualité de secrétaire de rédaction. Ce qui fait la différence au niveau de Vincent Foly, c’est son engagement professionnel et sa posture à ne servir d’épouvantail à personne et à aucun régime. Depuis la création du quotidien, il y a un peu plus de 20 ans, il ne s’est jamais aligné quelles que soient les promesses financières et d’où qu’elles viennent. Même les contrats publicitaires à moyen ou long termes ne signifiaient pas pour Vincent Foly que son journal doit avoir la bouche cousue. Il était intransigeant sur sa liberté, l’impartialité et l’indépendance du journal. Et quand vous êtes un vrai journaliste, vous avez du plaisir à travailler à La Nouvelle Tribune parce que pour Vincent Foly lorsque tout le monde trouve que tout va bien et mieux, c’est qu’il y a anguille sous roche. Et il faut aller la dénicher. C’est vrai que dans ma position de secrétaire de rédaction en ce moment-là, passer des heures après 23 h ou 00 h à dénicher cette anguille attisait l’impatience, mais quand le lendemain matin vous voyez la manchette, vous vous sentez fier d’y avoir contribué d’une manière ou d’une autre. Et c’est cela qui fait l’exception Vincent Foly. On peut lui reprocher quelques imperfections dans la gestion de sa troupe. Ce qui donne lieu à une certaine instabilité de l’équipe. Mais cela peut se comprendre par la lecture des réalités de l’environnement sociopolitique et économique du Bénin et surtout le modèle économique et managérial des entreprises de presse. Vincent Foly n’a jamais fait le choix de l’inceste avec les différents régimes qui se sont succédé. C’est cela qui fait que c’est avec fierté qu’on met dans son CV qu’en tant que journaliste, on est passé par là contrairement à d’autres journaux dont on préfère que personne ne sache que vous y avez séjourné pendant une journée. Dire en son temps que je suis à La Nouvelle Tribune, cela inspire un mélange de méfiance et de respect de la part de votre interlocuteur. Vincent Foly a su imprimer cette renommée au journal. L’histoire de la liberté de la presse au Bénin devra lui réserver de belles pages pour sa témérité, son courage et son engagement militant pour le métier de journaliste »?