J’étais encore en stage en 1998 dans une radio de Cotonou lorsque les premiers attentats terroristes frappèrent Nairobi et Dar-es-Salam. C’était les premiers attentats commandités par Oussama Ben Laden contre les ambassades américaines dans ces capitales africaines. Il fallait rédiger des papiers tirés des dépêches qui tombaient en cascades. L’AFP et Reuters en fournissaient suffisamment pour occuper les stagiaires que nous étions. Je découvrais Oussama Ben Laden et Al Qaeda ainsi que leurs méthodes extrémistes. Formé en Afghanistan par la CIA américaine pour lutter contre l’invasion soviétique dans ce pays, le saoudien a fini par retourner sa haine contre ceux-là mêmes qui l’ont formé et armé, au nom de la guerre froide. Car trois ans plus tard, Al Qaeda s’en prend aux symboles mêmes de la superpuissance américaine, en réduisant en cendres le world trade center. C’était le 11 septembre 2001, le jour où l’histoire du monde post-guerre froide a basculé. L’affrontement post-bipolaire se révèle être un engagement sur des fronts d’autant plus diffus qu’ils concernent des acteurs non-étatiques, des groupes mobiles fanatisés et prêts.
La célébration des 20 ans de ce cauchemar américain arrive au milieu d’une autre débâcle, avec la fuite des soldats américains des terres afghanes désormais sous contrôle taliban. En vingt ans, même si Al Qaeda n’est plus aussi virulent qu’en 2001, la réponse de Washington a donné naissance à l’Etat Islamique qui essaime dans le monde arabo-musulman au point de s’implanter également au Nigeria, en Lybie, en Somalie, au Mozambique et dans le Sahel. La guerre qui était dans le lointain Afghanistan ou même en Amérique, se rapproche de plus en plus de Cotonou. Les ramifications de cet affrontement désormais planétaire, n’épargnent plus aucun pays. Les armées doivent se préparer à cette capillarisation de la violence armée.
J’ai été abasourdi comme beaucoup par la débâcle américaine de Kaboul le mois passé.
Non pas tant par l’avancée foudroyante des Talibans, mais par l’incroyable imprévoyance des Occidentaux. Ils se disent surpris par la fuite de l’armée régulière afghane alors même que le retrait brutal des forces américaines était un coup imparable à cette armée en plein face-à-face avec les Talibans. La France, plus proactive, avait vu venir le bourbier afghan, en se retirant de ce théâtre d’opération depuis 2014. Même si la raison officielle de ce désengagement était le déploiement des forces françaises au Sahel, il n’en demeure pas moins qu’il traduit les réserves de Paris par rapport à Washington. Le discours de plus en plus isolationniste des Etats-Unis au sein même de l’OTAN, était annonciateur de ce qui s’est passé à Kaboul.
La débâcle occidentale de Kaboul (il faut bien appeler les choses par leurs noms), contient un autre message. Désormais, l’Occident n’a plus le monopole de la puissance militaire. On le savait depuis la montée en puissance de la Chine communiste. Mais on était à mille lieues de soupçonner le Waterloo afghan, on ne pouvait jamais imaginer que vingt années de présence occidentale sur cette terre rebelle allait s’achever par une si retentissante bérézina. L’Occident a perdu sa capacité à faire peur, les Etats-Unis avec.
Je ne me réjouis nullement de cela. La fragilisation de l’Amérique et surtout son discours isolationniste vont ouvrir une boite de Pandore en Afrique.
Ils ont déjà donné des leçons à la France qui a commencé un retrait progressif de l’opération Barkhane dans le Sahel. Malgré la rhétorique visant à assurer les pays africains de son soutien, Paris emmené par Washington veut mettre les pays africains face à leurs responsabilités. J’imagine mal comment le Mali, le Niger ou le Burkina-Faso à eux seuls pourront affronter les djihadistes du Sahel. L’armée tchadienne qui était vue comme la force la mieux préparée pour les affronter, s’est partiellement retirée de ce théâtre d’opération pour faire face à ses propres défis sécuritaires. Nous courons vers une déstabilisation de toute la région, d’autant que les djihadistes adoptent une stratégie de lente progression au Niger, au Burkina, en Côte-d’Ivoire et au Bénin.
Mais d’un autre côté, le désengagement progressif des occidentaux dans la lutte contre le djihadisme, peut aussi être une opportunité pour les pays africains. Il oblige désormais leurs armées à assurer leurs rôles régaliens de défense de l’intégrité territoriale de leurs Etats. Problème, ce sont des armées sous-équipées et mal formées pour les raisons économiques que l’on connaît. La question est donc de savoir si nos Etats sont prêts à engager les moyens nécessaires à la sauvegarde de leurs territoires dans un contexte où le parapluie occidental commence à se refermer.