Par rapport à l’examen de ce projet de budget général de l’Etat gestion 2014 qui sera étudié en plénière ce mardi 17 décembre 2013, le Parti du renouveau démocratique (Prd) de maître Adrien Houngbedji s’est réuni pour émettre son avis. Des observations soulevées, il se relève que le projet de loi de finances, gestion 2014, tel que transmis à l’Assemblée nationale ne respecte pas, le cadre légal actuellement en vigueur au Bénin.
Au sujet des orientations choisies par le gouvernement du président Yayi Boni elles sont identiques ou presque sur le fait que celles des quatre dernières années jusqu’ici, elles n’ont fait l’objet d’aucune évaluation sérieuse. Le Prd a également relevé que la plupart des amendements proposés par les honorables députés n’ont pas été intégrés par le Gouvernement. De plus, plus de 102 milliards de dépenses non réparties sont prévues dans le projet de budget et le Prd veut y voir clair.
(Ci-dessous l’intégralité des observations)
Les critiques du Prd sur le Budget Général de l’Etat – Gestion 2014
Par décret n° 2013-456 du 08 Octobre 2013, le Gouvernement a transmis à l’Assemblée Nationale le projet de loi de finances pour la gestion 2014 « équilibré » en ressources et en charges à la somme de F Cfa 1 127 502 millions.
L’examen préalable de ce projet de budget par la Direction exécutive nationale (Den) du Parti du Renouveau Démocratique (Prd) a conduit aux observations et mises au point suivantes :
A- En la forme
1- Défaut de visa, par le décret de transmission supra, de la nouvelle loi organique n°2013-14 du 8 juillet 2013 relative aux lois de Finances (Lolf), promulguée le 27 septembre 2013.
a. En effet, la loi n° 2013-14 du 8 juillet 2013 portant loi organique relatives aux lois de finances a abrogé, en son article 107, les dispositions de l’ancienne loi organique n°86-021 du 26 septembre 1986 relative aux lois de finances. Sauf que selon la nouvelle LOLF, le Bénin dispose d’un délai de cinq (5) ans pour la mise en œuvre intégrale des dispositions relatives aux articles 14, 15, 16, 17, 18, 47, 49, 53, 56, 72 et 80 de cette nouvelle LOLF.
b. Il s’en suit qu’en dehors des onze (11) articles susmentionnés, les quatre-vingt-dix-sept (97) autres articles que comprend la nouvelle LOLF s’appliquent au Budget Général de l’Etat, gestion 2014 ; le premier paragraphe de l’article 105 de la nouvelle LOLF stipule d’ailleurs que : « les dispositions de la présente loi sont appliquées dès sa promulgation ».
c. Par conséquent, l’absence de visa de la nouvelle LOLF n° 2013-14 du 8 juillet 2013 par le décret n° 2013-456 du 8octobre 2013 portant transmission à l’Assemblée Nationale du projet de loi de finances pour la gestion 2014 traduit une négligence qui confère audit décret, et par ricochet, au projet de loi de finances, gestion 2014, un caractère illégal.
2- Non respect des dispositions de la loi n° 2009-09 du 22 mai 2009 portant protection des données à caractère personnel au Bénin et de la loi n° 2011-20 du 30 août 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin.
a. La loi n° 2009-09 du 22 mai 2009 portant protection des données à caractère personnel a institué la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), une structure administrative indépendante dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie de gestion. La Cnil ne reçoit d’instruction d’aucune autorité administrative ou politique (art. 20). Il lui est alloué annuellement des crédits nécessaires à son bon fonctionnement ; ces crédits sont inscrits au budget de l’Etat (art. 31). Depuis sa création, aucun crédit annuel nécessaire au bon fonctionnement de la Cnilne lui a été alloué ; le projet de loi de finances, gestion 2014 est également entaché de cette violation de la loi.
b. La loi n° 2011-20 du 30 août 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin a institué l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (Anlc) qui, bien que placée sous la tutelle de la Présidence de la République, élabore elle-même son budget à intégrer au budget général de l’Eta (art.9) : aucune ligne budgétaire au profit de l’Anlc n’est visible dans le projet de loi de finances, gestion 2014 tel que transmis à la Représentation Nationale.
c. Par conséquent, il appert que le projet de loi de finances, gestion 2014 tel que transmis à l’Assemblée Nationale ne respecte pas les dispositions des deux lois susmentionnées.
B- AU FOND
1- Gestion du budget général de l’Etat, exercice 2013
Du point fait par le Ministère de l’économie et des finances au 30 septembre 2013, il ressort que (montants en milliards de francs Cfa) :
Nos observations sont les suivantes :
le niveau « affiché » de réalisation des ressources, à deux mois de la clôture de l’engagement des dépenses pour l’année en cours de 757,7 milliards, soit de 72,5% des ressources prévues pendant que les dépenses engagées au même moment seraient de 666 milliards, soit 63,8%, contraste avec le vécu quotidien des béninois : difficultés et retards de paiement des dettes non salariales et des décomptes aux entrepreneurs (88,6 milliards au 30 septembre 2013) au niveau du Trésor Public ;
Si les recouvrements de ressources affichés sont vrais, pourquoi notre pays a-t-il recouru, au cours des trois (3) dernières années et ceci, de plus en plus, aux Bons du Trésor de l’Uemoa ? Pour mémoire, l’encours des Bons du Trésor de l’Uemoa dû par le Bénin au 30 novembre 2013 est de 247,1 milliards (plus de 50% des recettes des trois régies prévues pour 2014 !) à payer immanquablement en 2014 (cf. www.bceao.int), abstraction faite des intérêts dus.
les informations que nous détenons, de sources sûres, font état qu’à fin octobre 2013 :
o le total recouvré par l’ensemble des trois régies est plutôt de 501,3 milliards, soit 68,2% des prévisions (par quelle alchimie peut-on donc avoir réalisé 599,6 milliards, soit 81,6% des prévisions un mois plus tôt ?) ; cela pose le problème désormais récurrent de la crédibilité et de la sincérité des prévisions et des réalisations affichées par le gouvernement. D’ailleurs, il convient de rappeler que seules font foi les réalisations découlant du rapport d’exécution et de conformité de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême.
Or, voici les données extraites de ce rapport :
o les arriérés, c’est-à-dire les dépenses ordonnancées, non payées et datant de plus de trois (3) mois se chiffrent à 93 milliards environ. Ce qui perturbe sérieusement la trésorerie au niveau des entreprises et, ajouté au non remboursement des spoliés par ICC-Servies et consorts, explique la morosité de la situation économique et sociale de notre pays ;
les dépenses d’investissement, à fin septembre, n’ont été engagées qu’à 48,9% environ. Ce qui explique que la plupart des chantiers inscrits au Programme d’investissements Publics (Pip) piétinent ou sont en souffrance pour insuffisance de financement. Cette insuffisance de financement est plus prononcée au niveau des PIP financés sur ressources extérieures. En effet, il ressort que pour ces PIP, le taux de réalisation à fin septembre n’est que de 22,2%. Pour mémoire, parmi les principaux chantiers ayant bénéficié de dotations budgétaires antérieures et qui piétinent ou qui sont en souffrance, on peut citer :
o le projet de protection de la côte à l’est de l’épi de Siafato, d’un montant de 32,5 milliards. La première pierre des travaux posée par le Président de la République le 26 février 2008 a déjà été engloutie par la mer courant 2010 ; les travaux avancent difficilement pendant que la mer continue de faire des ravages sur la côte.
o l’aménagement et le bitumage de la route Djrègbé-Dja-Owodé (10 km), d’un montant initial de 4,2 milliards réévalué à 8,8 milliards. Les travaux qui ont démarré en 2009 sont encore à un taux de réalisation de 10% environ (rapport de présentation du budget 2014 du Ministère des Travaux Publics et des Transports, page 62) ;
o la construction et l’équipement de l’aéroport de Tourou. Lancés depuis 2008, les travaux de ce projet dont nous avons réclamé en vain les documents d’études techniques et de rentabilité, sont fréquemment suspendus pour non paiement de décomptes. Le comble, c’est la confusion que l’on note au niveau du Gouvernement quant au coût du projet : 36,9 milliards selon le Ministère du Développement (PIP 2014-2016, page 117) ; 28,9 milliards selon le Ministère des Travaux Publics (Document de présentation du Budget 2014, page 93) qui affirme que les dispositions sont prises pour l’achèvement des travaux en 2014 ;
o la construction du pont de Malanville (400 millions) et l’aménagement de la place de l’Indépendance de ladite ville (38 millions). Les travaux sont abandonnés depuis 2008 ;
o la construction du nouveau siège de l’Assemblée Nationale (25,7 milliards). Démarrés en 2006 et prévus pour être achevés en 2008, les travaux sont abandonnés depuis deux ans pendant que l’ancien Ministre de l’Urbanisme, des cadres du ministère et plusieurs entreprises adjudicataires de lots font l’objet de procédures judiciaires pour corruption, malfaçons ou travaux non conformes : les travaux réalisés ne correspondraient pas aux 14 milliards déjà engloutis ;
o la construction de la Centrale Electrique TAG 80 MW de Maria-Gléta. Projet mal conçu démarré en 2008 ayant déjà englouti 45 milliards selon le Ministre de l’Energie mais qui nécessiterait des ouvrages annexes additionnels évalués à 41 milliards avant d’être opérationnel fin décembre 2015 ;
o la construction de la route Ouidah-Tori : travaux abandonnés depuis 2011 ;
o les travaux d’entretien périodique des routes en terre suspendus fréquemment pour décomptes impayés ou pour défaillance de l’entreprise adjudicataire : axes Dogbo-Lalo, Adjaha-Athiémé, Alada-Toffo-Houègbo, Dogbo-Toviklin-Klouékanmè-Adjahonmè, Bopa-Lobogo-Tozounmè-Dogbo, Logozohè-Lahotan-Glazoué, Glazoué-Assanté-Aklampa, Pahouingnan-Tré-Dassa-Loulé-Sokpohounta, Datori-Cobly-Tanguiéta, Tchaourou-Bétérou, Dassa-Soklogbo-Bétékoukou-Okpa, Loulé-Gnonkpingnon-Zaffè, Kilibo-Ouèssè-Djègbé, Bohicon-Tindji-Zakpota-Koguédé, etc.
selon le Gouvernement, la cause fondamentale des difficultés économiques que connaît notre pays est la crise financière et économique internationale ; or, il est aisé de constater que :
o sur les huit (8) dernières années, d’importantes dépenses propagandistes, partisanes et improductives ont été imputées sur le Budget National ;
o le non-respect de l’orthodoxie budgétaire à travers une fréquence élevée de dépenses extrabudgétaires, un recours exagéré aux ordres de paiement (Op) et aux décharges provisoires à régulariser (6,3 milliards au 31/10/13), restent des spécialités du régime en place. Ces mauvaises pratiques sont à la base du blocage quasi-permanent du Sigfip (Système Intégré de Gestion des Finances Publiques) ;
les dispositions relatives aux lois sur la décentralisation ont continué à être violées en 2013 par le gouvernement qui rechigne à transférer aux communes toutes les ressources prévues afférentes à l’enseignement maternel et primaire, aux centres de santé, et aux pistes rurales.
2- Budget Général de l’Etat, gestion 2014
2.1- Prévisions budgétaires de l’année 2014
PREVISIONS DE DEPENSES
Prévisions 2013
Prévisions 2014
Variations en %
DEPENSES COURANTES
571,00
597,59
4,7
Dépenses de personnel
304,11
320,89
5,5
Dépenses de fonctionnemt
107,89
112,36
4,1
Dépenses de transfert
158,99
164,34
3,4
DETTE PUBLIQUE
110,45
114,66
3,8
DEPENSES EN CAPITAL
272,90
297,80
9,1
sur Ressources intérieures
143,00
161,60
13,0
sur Ressources extérieures
129,90
136,20
4,8
AUTRES BUDGETS
55,50
59,80
7,7
FNRB
44,50
48,70
9,4
CAA
2,00
2,10
5,0
Fonds Routier
9,00
9,00
0,0
TOTAL DÉPENSES HORS CST
1009,85
1069,85
5,9
COMPTES SPECIAUX DU TRESOR
34,65
57,65
66,4
TOTAL DÉPENSES (a)
1044,50
1127,50
7,9
• Il convient de souligner à nouveau le caractère irréaliste des prévisions budgétaires retenues par le gouvernement pour 2014. En effet, les prévisions budgétaires faites ne respectent souvent pas les normes généralement admises en finances publiques : la règle de la pénultième année, l’indexation sur le taux de croissance du PIB, l’exploitation des données du Tableau des Opérations Financières de l’Etat (TOFE), la technique de l’évaluation directe, etc. ;
• Comme d’habitude, le Gouvernement compte largement sur les partenaires au développement pour financer le déficit budgétaire ; or, en 2011et en 2012, seulement 55% et 60% des ressources extérieures prévues auraient été mobilisées (MEF, Rapport d’Exécution au 31 décembre 2012, page 29). En outre, la crise de la dette secouant actuellement l’Europe amènera les pays concernés, les institutions de Bretton Woods et autres PTF à revoir leurs contributions en direction des pays les moins avancés : déjà en 2011/2012, nous avions noté l’amenuisement des contributions du Danemark et des Pays-Bas qui se sont retirés progressivement de notre pays pour mauvaise gouvernance, au profit d’autres pays tels que le Ghana, le Kenya, le Mali, etc.
• Il est paradoxal, utopique et au demeurant ridicule de compter à 75% sur d’autres pays pour financer notre déficit budgétaire lorsqu’on sait que ces pays-là se débattent actuellement pour réduire ou effacer leur propre déficit budgétaire. En réalité, les projets de budget de l’ère du changement sont tous déséquilibrés, car le défaut de financement des déficits est de plus en plus chronique avec pour corollaire, l’accumulation des arriérés de paiements intérieurs.
• Comme le prescrit la nouvelle LOLF promulguée le 27septembre dernier citée supra en A.1.a, et à l’instar du Sénégal, il est temps que nous commencions à parler de Déficit Public au lieu de déficit budgétaire ; Aussi, faudrait-il ajouter le résultat global net des sociétés et offices d’Etat au déficit budgétaire afin d’obtenir le Déficit Public qui permettra d’apprécier la gestion du Gouvernement dans sa globalité.
2.3- Quelques anomalies contenues dans le projet de budget 2014
Institution d’une taxe radiophonique (1000 francs par an) et d’une taxe télévisuelle (3000 francs par an) au profit exclusif de l’Office de Radiodiffusion et de Télévision du Bénin (ORTB) à payer par toute personne assujettie à l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP) ou à l’Impôt sur les Sociétés (IS) (art. 290 et suivants).
Lorsqu’on sait que l’ORTB fournit des services marchands et bénéficie déjà d’une subvention d’exploitation annuelle de plus de 2,2 milliards et, qu’au mépris de la loi, cet Office sert de vecteur de propagande au pouvoir, on est en droit de se demander si ces nouvelles taxes serviront l’intérêt général ?
Augmentation non justifiée de certaines prévisions de recettes :
• les prévisions d’impôt BIC à payer par les personnes physiques passent de 1,5 milliard en 2013 à 7 milliards en 2014 (page 1, Prévisions de Recettes) ;
• les prévisions de la Taxe Immobilière sur Loyer (TIL) passent de 300 millions en 2013 à 2,5 milliards en 2014 (page1, Prévisions de Recettes) ;
• les prévissions de la Taxe Intérieure sur les Boissons (TIB) passent de 9 milliards en 2013 à 15 milliards en 2014 (page 2, Prévisions de Recettes) ;
• les prévisions de loyers d’immeubles à encaisser passent de 0 en 2013 à 12 milliards en 2014 (page 3, Prévisions de Recettes) : de quels immeubles s’agit-il ? Cette question est restée sans réponse de la part du Gouvernement.
Non justification d’importantes dépenses non réparties :
• dépenses communes 50,454 milliards
• dépenses d’interventions publiques 32,966 milliards
• dépenses diverses 19,274 milliards
Conclusion
Nous ne pouvons apporter notre caution à ce projet de budget car :
le projet de loi de finances, gestion 2014, tel que transmis à la Représentation Nationale ne respecte pas, à plusieurs points de vue, le cadre légal actuellement en vigueur dans notre pays ;
les orientations choisies par le Gouvernement sont pratiquement les mêmes que celles des quatre (4) années précédentes et n’ont jusqu’ici fait l’objet d’aucune évaluation sérieuse ;
la volonté du gouvernement de ne pas lutter contre la corruption y est clairement affichée ;
les réalisations affichées au 30 septembre 2013 ne sont pas sincères pour la plupart ;
de nombreuses prévisions budgétaires pour 2014 n’ont pu être justifiées et sont irréalistes, compte tenu de la conjoncture économique et sociale ;
la plupart des amendements proposés par les Députés ont été refusés par le Gouvernement, malgré l’existence de plus de 102 milliards de dépenses non réparties.