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Décès De Lolo Chidiac: L’émouvant Hommage De Reckya Madougou

Publié le lundi 11 octobre 2021  |  Matin libre
Reckya
© Autre presse par DR
Reckya Madougou,candidate du parti "Les démocrates "
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Parakou, notre cité chevaleresque

Lolo Chidiac, mon témoignage

M’essayer à un hommage à Lolo Chidiac, sans l’associer à un hymne à Parakou, terre natale de l’illustre défunt, théâtre privilégié de ses opérations, serait rédhibitoire ; une sorte de déconstruction de l’histoire de notre pays. C’est également au-dessus de mes forces de résister à l’envie d’avouer, par ce truchement, que mes entrailles tressaillent à la résonnance de cette bourgade d’antan, devenue depuis, une grande et belle cité.

Parakou des fiers combattants au gré des vestiges de son appartenance à un grand empire florissant. La ville où s’est figé, à la place qui porte un grand nom d’épopée, le galop chevaleresque du prince Wassangari au courage de fauve, Bio Guerra. Le héros émérite du Borgou, né dans les encablures de la commune de Kalalé actuelle, s’est particulièrement illustré par sa témérité dans la seconde moitié du XIXè siècle.

Mon tonton Lolo et son Parakou, c’est aussi l’histoire de l’enfant prodige s’abreuvant à sa source ou de l’enfant terrible arrosant son ring de l’hydre de notre dignité. Et, le 07 février 2021, ce jour où Parakou m’a tant honorée, par milliers, à l’occasion de la prière de commémoration de nos défunts, sera l’ultime de nos intenses échanges.

Ce matin-là, je fus réveillée par un songe de Gbassi N’Guerra, alias Bio Guerra. J’ai alors compris la prémonition. C’est ainsi que je me précipitai à la place Bio Guerra non pas en tourisme, mais en pèlerinage pour le décryptage de mon rêve. Sans grande surprise donc, cette journée et celles qui lui succédèrent furent mémorables pour moi dans ce contexte pré-électoral sur la terre de mes aïeux.

Alors que je me rendais à ladite cérémonie, je fus accueillie par une horde de cavaliers aux galops, non virtuels cette fois-là, à la place Hubert K. Maga, l’autre fils emblématique du terroir, le grand tonton, premier Président du Dahomey, le bâtisseur. Sous cette belle escorte galopante et sous bonne garde du vaillant peuple de la cité des Koburu, je fis mon entrée dans la citadelle Yarakinnin, arrondissement où se situe mon domicile familial, à quelques dix mètres de la résidence de Lolo Chidiac. Que d’émotions ! Décuplées par les tambourinades des troupes de danseurs de Têkê et de danseuses de Aské, véritables gardiens et gardiennes de notre patrimoine culturel à travers les générations.

A peine le convoi s’est-il engagé dans la principale rue de Yarakinnin , que mon premier réflexe fut de chercher du regard la maison Chidiac après avoir fixé la mienne. Dans cette rue magique prenant sa source au marché international Arzèkè, m’attendaient gaiement la mosquée centrale du quartier, la concession de mon oncle Issa Agueh, halte obligatoire. C’est alors que joie se mêle à mélancolie aux souvenirs du décès récent de ma cousine Moulicath Agueh. Puis arriva le tour de la nostalgie en ces lieux ayant abrité nos plus belles vacances.

Non, je ne parle pas d’Hawaï ni de Tahiti ; pas de Cap Town, ni de Marrakech. J’évoque ma Côte d’Azur, logée dans la savane arborée du Borgou. Parakou représente à la fois tous ces miracles terrestres pour moi. J’exagère à peine ! Je choisis volontairement de ne pas vous démontrer comment. En vérité, les perceptions que nous avons des créatures, sont fonction du rythme de nos battements de cœur pour elles.

Alors si je vous décris le fleuve Okpara, un cadre de villégiature pleine nature, d’ailleurs très écolo, comme plus génial que les plages brésiliennes ou celles d’Honolulu, prenez-le comme tel. J’y ai dégusté sur place du Tilapia pêché par nous-mêmes dans mon jeune âge. Toutes les fois que je foule la latérite parakoise, mes sens déclenchent leur valse pittoresque. Mes papilles gustatives retrouvent aussitôt dans mon imaginaire, les délices céréaliers de la boule rafraichissante « Fourra » au lait caillé de vache, de la bouillie « Bita » au fort accent de bicarbonate de sodium, du Wassa wassa garni de « Wagashi » (fromage) et saupoudré de « Yazi » (piment).

Je revoie ma douce grande mère, princesse Bâtonu au caractère bien trempé, Azia Hawa, s’activer aux fourneaux pour notre bonheur. Que dire du patriarche, mon grand-père, Dramane Zacharie Madougou, Inspecteur des postes et télécommunications dont l’allure si fière, la peau très claire héritée de son père migrant du Sahel et l’assurance dans ses costumes à longueur de journée, ont fini par lui valoir, le sobriquet de « Vieux vent ». Plusieurs décennies après son trépas, le tout Parakou a gardé cette dénomination pour notre maison familiale et son voisinage, « Vieux vent farani ».

Je me garde d’ouvrir ici le chapitre de mon feu géniteur, Yaya Malam Madougou , car je ne saurais me contenter de quelques mots pour évoquer la mémoire de ce grand homme, si sage, Ingénieur agronome reconverti dans les affaires d’intrants agricoles, notamment du coton. C’est l’occasion de remercier notre émérite compatriote Simon-Narcisse Tomety qui a eu une pensée affectueuse pour lui en se remémorant les cours d’agronomie dispensés à l’Université Nationale du Bénin d’alors par celui qui est surnommé « Monsieur le Maire », mon père, digne fils de Parakou, m’ayant transmis très tôt la charge virale de cet endroit.

Nous sommes donc le 07 février 2021, à la prière pour nos défunts. Assise dans cette vaste cour bondée de monde, après m’être difficilement frayé un chemin pour m’y introduire, tant la foule était immense, je fus prise de la nostalgie des moments d’insouciance que nous y avions passés . En ces temps-là, nous fûmes une bande de « vacanciers », que nos parents envoyaient se ressourcer au « bled » chaque fin d’année scolaire. La maison de tonton Lolo Chidiac était notre QG (Quartier Général), le lieu de rassemblement tous les soirs ; le point de départ de la soirée entre cousins.

Plaisanterie, charades, discussions sur les faits de société et de politique (déjà) autour des brochettes appétissantes, les célèbres « Tchantchanga » du vieux haoussa Alou, dans le salon cossu de son altesse Lolo Chidiac. Un tonton moderne dont la voiture servait également à nos escapades par suite des estocades de ses fils Roberto, Jean-Luc, Assad…. qui savaient très vite rassurer notre pusillanimité. Et que dire de nos pique-niques dans sa ferme à la sortie de Parakou ?

Tout ceci nous avait inspiré un slogan et cri de ralliement au sein de cette adolescente bourgeoisie septentrionale : « la famille est sucrée », une belle métaphore de « la famille est sacrée ». Nous étions ainsi souvent réunis à ” l’été “, au grand bonheur de nos parents. Nous, c’était, des enfants Madougou, Chidiac, Baba-Moussa, Batoko, Agueh, Traoré, Abdoulaye, Ali Yérima, Sidi, Chabi Kao, Ibrahima Tella, Amouda, Aboudou, Adamou, Alfa Gambari, Thomas, Mounier, Saka Saley, etc.

Au moment où tonton Lolo Chidiac rejoint nos ancêtres après une vie bien remplie et trépidante, c’est au nom de cette jeunesse parakoise d’alors, qui avait pris plaisir à s’enraciner grâce à ses installations, que je présente les condoléances à tout Parakou et en particulier à Yarakinnin. Aux enfants du disparu au courage d’airain, je témoigne mes meilleurs souvenirs fraternels et une pieuse pensée affectueuse pour l’âme de tonton.

Vous n’en avez pas encore fini avec le 07 février, car ce jour-là, l’homme m’a de nouveau marquée. Alors que les tractations de la période ne m’ont pas permis de me dégager et me porter vers lui afin de lui annoncer personnellement la tenue de la cérémonie, nous étions installés, parents, amis, militants, de nombreux Imams de la ville et ses environs, notables, en présence du Président Boni Yayi, lorsque Lolo Chidiac fit une entrée majestueuse dans cette auguste assemblée. Désormais, dans un fauteuil roulant, comme pour nous rappeler la célèbre maxime biblique d’Ecclésiaste « vanité des vanités ; tout est vanité », il n’avait pourtant rien perdu de son charisme ni de son élégance.

Lorsqu’il roulait vers moi, ma mère assise à mes côtés, émue de le voir se mouvoir ainsi et surtout d’avoir fait le déplacement en dépit de sa motricité réduite, me fit part de ce que ce moment précis lui rappelait le jour de mon baptême. Lolo Chidiac s’était montré particulièrement généreux vis-à-vis des Imams, s’opposant à ce qu’on me tonde le crâne comme l’exige la coutume musulmane lors du baptême au 8ème jour du nouveau-né. Il avait déclaré “Avec autant de prières et d’espèces trébuchantes pour empêcher que ma fille ne soit rasée, je pressens que sa vie abondera de bénédictions pour sa réussite”. Amen !

Nos retrouvailles du 07 février 2021 avec Lolo Chidiac furent tout aussi émouvantes. M’étant élancée à sa rencontre à son arrivée, je me suis mise à califourchon par respect et pour être à sa hauteur. Il m’égrena un chapelet de bénédictions… Quelques heures plus tard, je n’ai pu m’empêcher de me rendre à son domicile pour le remercier de son déplacement, un geste qui l’honore d’autant qu’il ne s’est pas complu dans une fatuité. A peine ai-je été introduite par son fils Kassim, qu’il me lance en interrogeant le jeune homme « Kassim, que t’avais-je dis ? Que j’attends de voir si ta sœur a changé, on verra si sa jugeote (“lakari”) lui conseillera de passer me voir. Tu es vraiment bien née et bien éduquée ma fille ministre ».

Puis il entreprit pour la première fois, de me raconter l’histoire de mes aïeux : « J’ai connu dans ma jeunesse ton arrière-grand-père. C’était un bel homme, un Touareg et Peuhl venu du Mali. Ils sont arrivés sur leurs chevaux, grands commerçants munis de marchandises, de l’or. Il a pris pour épouse ton aïeule Aïya Bona, une amazone Bariba (depuis ma tendre enfance, je me souviens qu’en famille l’on me présentait comme une réincarnation de cette dernière). De ce couple, poursuit-il est né ton grand-père “Vieux vent”, grand intellectuel envié pour son français châtié. […] Reckya, tu as donc des racines solides. Ne crains rien. Continue d’être battante. Dieu te protègera ma fille ».

Puis il passa des heures à m’entretenir sur mes géniteurs, la politique béninoise, ses déceptions, ses espérances, son Parakou, ses enfants (distribuant des cartons rouges à certains et des bénédictions à d’autres) et termina par des conseils. J’ignore pourquoi, mais sur le perron du portail au sortir de sa chambre, où il était affalé sur ses 85 ans qu’il portait plutôt bien, chapelet en main, j’eus la forte intuition d’avoir été gratifiée du privilège de propos prophétiques ou des pans d’un testament émanant d’un “ancien” du haut de ses expériences. Lolo Chidiac était certes controversé mais il figure assurément dans le panthéon des légendes de la mythologie parakoise et béninoise. Un Bénin toujours un et indivisible après les querelles de leadership. « Il en est ainsi parce qu’Allah est la vérité, et c’est Lui qui rend la vie aux morts ; et c’est lui qui est Omnipotent ». Sourate 22:6.

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