Après une étape de grande production, le palmier à huile béninois a connu une véritable période d’hibernation et de léthargie. De nom scientifique “Elaeis guineensis”, le palmier à huile amorce avec les réformes des filières agricoles actuelles, des lendemains meilleurs. Les producteurs, les techniciens, l’Etat et les partenaires financiers conjuguent leurs efforts, pour repositionner un arbre magique capable de booster les indicateurs économiques béninois.
La rédaction
Le palmier à huile contribue au PIB à hauteur de 3,12% d’après les statistiques de l’Institut National des recherches Agricoles du Bénin (INRAB) datant de 2013. Pour une filière encore à la recherche de ses marques, ce taux atteste que le Palmier à huile peut contribuer davantage au développement économique du Bénin. Car le palmier à huile s’apparente à une mine d’or à multiples usages. Et comme toute filière agricole, le palmier à huile fait intervenir dans sa chaîne de production, les acteurs de tous ordres, les partenaires techniques et financiers ainsi que l’Etat. Il faut rappeler que les pouvoirs publics depuis 1818 au temps du roi Guézo, en passant par l’aube des indépendances entre 1960 et 1970, et sous le renouveau démocratique amorcé en 1990, le palmier à huile a toujours retenu l’attention des gouvernements. Mais au cours des 25 dernières années, les politiques publiques pour faire du palmier à huile une véritable filière agricole à l’instar du coton, n’ont pas porté leurs fruits. Le régime du président Patrice Talon s’en préoccupe dans un cadre général de la réorganisation des filières porteuses. Dans cette perspective, le territoire national a été réparti en 7 pôles de développement agricole pour mieux promouvoir de nouvelles filières. Olivier Vidékon Flatin est Directeur des Programmes à l’Agence Territoriale de Développement Agricole (ATDA) dans le département du Plateau. Il est aussi Coordonnateur du Programme national de développement de la filière du palmier à huile au Bénin. M. Flatin rapporte que : « le pôle 6 (celui du Plateau) a le lead pour la coordination de la filière des palmiers à huile qui bénéficie depuis septembre 2020 d’un programme national de 12.730.000.000F CFA. » Le montant du programme est destiné à créer les conditions de production, de transformation et de commercialisation optimum de l’huile de palme. Dès lors, la vision du Programme National de Développement des Filières (PNDF), est que « D’ici à 2030, la productivité des palmeraies béninoises » s’améliore « et le niveau de vente de l’huile de palme, de l’huile palmiste et des savons dérivés produits selon les normes de durabilité au Bénin s’accroisse de 50% sur le marché national et dans la sous-région ouest africaine ». Cette vision est déclinée comme un objectif global, celui « d’améliorer la performance de la filière palmier à huile avec l’installation d’au moins 25.000 nouveaux hectares de palmier à huile, d’améliorer d’au moins 20% le rendement moyen en 2025 et d’améliorer la transformation par la raffinerie et la savonnerie pour la satisfaction du marché national et du marché ouest africain. »
Tableau synoptique avant 2016
L’état des lieux avant 2016, présentait une situation de crise entre les acteurs de la filière du palmier à huile. A cela s’ajoutait un tableau peu reluisant de l’activité du palmier à huile. La Directrice Générale de l’Agence Territoriale de Développement Agricole Pôle 6, Mme Gladys Tossou Lokossou apprécie cette situation qui était caractérisée par un libertinage des producteurs minée par des crises et des producteurs qui bradaient au Nigéria (peu exigeant sur la qualité) l’huile rouge produite au Bénin. Cette appréciation est partagée par Arouna Lawani, Président de la Fédération nationale des producteurs de palmier à huile du Bénin (FNPPH-B créée en 2015). Le Président Lawani soutient que « dans la crise des CAR (Coopératives d’aménagement rural) et des UR-CAR (Union régionale des CAR), les acteurs privés ont pris leurs responsabilités et se sont lancés dans la filière notamment à partir des années 1994 et 1995 ; ce qui fait qu’aujourd’hui les privés font 75 à 80% de la production d’huile rouge vendue majoritairement dans l’informel. Un diagnostic a permis de révéler que les vieilles plantations, notamment celles industrielles ne sont pas renouvelées. Certaines (non négligeables) sont abattues précocement et ne sont plus replantées. Le maillon relatif à la transformation est assuré par des unités artisanales, semi-artisanales et industrielles, avec une dominance des unités semi artisanales. Il existe deux industries à savoir CODA (Complexe oléagineux du Grand Agonvi) et IBCG (Industrie béninoise des corps gras). Elles sont nées de la reprise des usines cédées par l’État aux privés. Le maillon relatif à la commercialisation est opérationnel sur le territoire national et dans la sous-région avec plusieurs catégories d’acteurs (collecteurs, grossistes, détaillants). Les pays bénéficiaires de ce commerce informel comptabilisent les statistiques des volumes entrant sur leur territoire comme leur production au détriment du Bénin. Cependant, le Bénin est confronté à la forte concurrence des huiles végétales raffinées provenant de l’Asie. D’énormes quantités d’huile brute viennent aussi de la sous-région et de l’Asie, empêchant par moment, l’écoulement des produits locaux et compromettent ainsi la croissance des prix espérés par les producteurs. Par ailleurs, l’accès au financement demeure faible pour l’ensemble des acteurs, même si plusieurs Services financiers décentralisés tels que (CESCA Microfinance, CLCAM, UNACREP, CAVECA, PADME), octroient des crédits aux acteurs. Le mode de valorisation des patrimoines des acteurs ne permet pas aux PTF de reconnaître leur valeur en tant que capitaux ”vivants”. Cependant, la rentabilité des activités productives le long des chaînes de valeurs ajoutées est assurée, dans un contexte où le niveau d’organisation des acteurs de la filière palmier à huile reste à améliorer. En effet, il existe une Association des Pépiniéristes Agréés du Bénin (APAB), une Fédération Nationale des Unions des Coopératives d’Aménagement Rural (FENUCAR), et la Fédération Nationale des Producteurs de Palmier à Huile (FNPPH). Mais les transformateurs et les commerçants ne sont pas organisés et par conséquent, il n’y a encore aucune dynamique d’aller vers une interprofession de la filière. La FENUCAR n’existe que de nom depuis plus de 5 ans et les unions des coopérateurs qui la composaient ont été officiellement dissoutes en 2018. Ces grands constats affichent clairement les défis à relever tout au long des chaînes de valeurs ajoutées de la filière.
Où en est-on depuis 2016 ?
Au regard de cette situation de déliquescence, le gouvernement du président Talon a amorcé une restructuration profonde de la filière du palmier à huile. Ainsi, plusieurs efforts ont été faits par exemple sur le maillon transformation qui dispose de plusieurs types d’équipements motorisés tels que les cuiseurs, les presses, les concasseuses, etc. de fabrication locale. Pour aller plus loin, le programme national de développement de la filière palmier à huile validé en septembre 2020 préconise de dynamiser la filière. Olivier Flatin de l’ATDA pôle 6, indique que les activités du programme ont démarré par l’accompagnement et la structuration de la filière. « La Fédération nationale des producteurs de palmier à huile existait, mais les ATDA ont commencé par les accompagner à mieux s’organiser. Les coopératives à la base ont commencé par se conformer à la nouvelle loi OHADA et ça se fait progressivement pour qu’on aille vraiment à une meilleure structuration de tout l’ensemble. En termes de mesures incitatives, nous avons commencé par subventionner les plants de palmier à huile, pour pouvoir encore donner l’engouement. », précise le Coordonnateur du Programme national de développement de la filière du palmier à huile au Bénin.
Statistiques sur les appuis aux organisations
Le Coordonnateur du Programme national de développement de la filière du palmier à huile au Bénin, Olivier Flatin rappelle qu’entre 2019 et 2020, les ATDA ont globalement accompagné à la mise en place d’environ 28.000 plants de palmier à huile subventionnés à prix réduit. Le mécanisme, éclaire-t-il, c’est que « vous vous êtes enregistrés, vous déclarez une superficie que vous voulez emblaver. Sur une superficie d’un hectare, l’Etat vous apporte 73 plants et vous-mêmes vous achetez auprès des pépiniéristes agréés 73 plants. » Après un diagnostic auprès des pépiniéristes agréés qui produisent les plants et qui les livrent aux planteurs, l’ATDA a constaté que le système d’irrigation n’est pas vraiment optimum. « Nous avons décidé d’appuyer ces pépiniéristes à travers une amélioration des systèmes d’irrigation. Certains ont bénéficié de réseau de distribution d’eau, l’amélioration du système d’arrosage et l’appui en divers équipements pour pouvoir mieux nourrir les pépinières », déclare M. Flatin qui souligne qu’ils ont pensé appuyer les acteurs regroupés en cluster en infrastructures de stockage d’huile pour une meilleure mise en conservation et une meilleure mise en marché. A ce propos, le président de la FNPPH-B est en phase avec le coordonnateur Flatin. Le président Lawani soutient qu’en termes d’activités économiques, avec l’appui de ACMA (Approche communale de marchés agricoles), ils font du warrantage de l’huile rouge, c’est-à-dire que les producteurs de l’huile rouge, mettent leurs huiles ensemble en stockage pour éviter de les brader. « C’est au moment des rentrées des classes, que l’huile coûte moins chère et le besoin se fait ressentir au niveau du producteur qui la vend à vil prix et 3 à 4 mois après, le produit qu’il avait bradé, il peut l’acheter plus cher. Le warrantage a permis que lorsque vous déposez votre huile, on vous donne 80% de son coût et on retient 20%. A la vente, non seulement vous avez le bénéfice, mais on vous rétrocède les 20% qui avaient été retenus. Beaucoup de producteurs adhèrent au système de warrantage chaque année », déclare M. Lawani. D’après le cadre de l’ATDA 6, en cette année 2021, le Programme national de la filière palmier à huile a permis d’acheter près de 85.000 plants subventionnés à moitié prix au profit des planteurs de palmier à huile au niveau national. Le Président des producteurs du palmier à huile confirme en déclarant qu’en termes de plantation aujourd’hui, ils ont dépassé le cap des 80.000 ha pour les privés contre environ 9000 à 11.000 Ha de plantation pour le CAR et les UR-CAR. M. Lawani lève un coin de voile sur l’organisation de la faîtière FNPPH-B, structurée de la base jusqu’au sommet en Groupements villageois, 38 Unions communales des PPH, 4 Unions régionales et FNPPH-B faîtière qui est passée du statut de coopérative en 2001-2003 au statut d’Association à partir de 2015. La FNPPH-B fait des plaidoyers, de lobbying, la coordination des actions des unions régionales et communales. Cela permet à M. Flatin de conclure que le Programme a aussi permis le renforcement des capacités des acteurs sur différentes thématiques et que les différentes activités de la structuration continuent pour aller vers l’interprofession. Le Président de la FNPPH-B justifie que l’appui de l’Etat s’est traduit seulement par les renforcements de capacités à travers les ATDA. « Ils ont mis à notre disposition les pépiniéristes, les semences à crédit. C’est quand les pépiniéristes finissent de livrer les plants aux planteurs, qu’ils vont payer l’argent des graines. C’est tout ce qu’on peut citer comme accompagnement de l’Etat. », fait-il savoir avec un sentiment d’insatisfaction. M. Lawani souhaite plus d’appui étatique en déclarant que « Si on était bien accompagné, l’Etat gagnerait beaucoup de devises dans la filière du palmier à huile. Il nous faut de l’appui organisationnel et de l’appui institutionnel, l’appui en équipements et en intrants. Je parle du palmier sélectionné qui est très exigeant. Si on met une fraction des investissements dont bénéficient l’anacarde et l’ananas, dans le palmier à huile, l’Etat gagnerait beaucoup. » Les inquiétudes du président de la FNPPH-B pourront bientôt se dissiper. En effet, apprend M. Flatin, le Programme national de développement de la filière doit accompagner les acteurs à avoir facilement accès aux sources de financement. Le secteur agricole étant tributaire de ce type spécifique de financement et l’Etat a déjà plus ou moins trouvé le bon bout avec le FNDA : Fonds national de développement agricole qui, à travers ses facilités, permet aux acteurs des filières agricoles au Bénin d’avoir des crédits adaptés.
Quantité d’huile produite depuis 2016
La filière est une filière spéciale. Les différentes transactions qui ont lieu à travers la vente des noix ou la vente des huiles, se font encore de façon très informelle. Les unités de mesure pour effectuer ces transactions sont les bidons de 25L qui ne sont pas standardisés. « Ces transactions ne nous permettent pas encore de mesurer tout ce qu’il y a comme flux. Nous arrivons à maîtriser ce qui est déclaré. Nous travaillons à cela à travers la structuration. Nous sommes en train de produire une enquête statistique pour pouvoir collecter les données de base. Actuellement ces statistiques font défaut », déplore le coordonnateur du programme national de développement du palmier à huile. Mais de manière remarquable, il y a d’une part, une augmentation des superficies emblavées et un meilleur accès aux engrais (Urée, et KCl) et d’autre part, les renforcements de capacité des acteurs ont permis d’observer, des changements qualitatifs de production du palmier à huile et de transformation des noix de palme avec de nouveaux équipements qui remplacent progressivement les équipements artisanaux.
Potentiel du palmier à huile sélectionné
L’évaluation du potentiel du palmier à huile sélectionné montre que le rendement oscille entre 25 et 33 tonnes à l’hectare contre 9 à 17 tonnes à l’hectare pour les palmeraies à matériel végétal naturel. On en déduit que le rendement moyen au niveau du territoire national est autour de 8 tonnes à l’hectare. La vision est d’amener de 2021 à 2025 le rendement moyen au niveau national à 15 T/Ha en faisant l’effort de réduction des palmeraies naturelles. Par ailleurs, il est envisagé d’accroître la quantité d’huile rouge produite au Bénin. Dans ce cadre, l’ATDA 6, ambitionne de travailler à ce que le taux d’extraction puisse s’améliorer et atteindre 3T d’huile à l’hectare. Dans cette perspective, le Centre de recherche agricole plantes pérennes (CRAPP) de l’Institut nationale de recherche agricole du Bénin (INRAB) met en place le palmier à huile à fort potentiel. A travers plusieurs mesures incitatives, il est envisagé d’accroître les superficies sur les 5 années à venir avec 25.000 nouveaux hectares de palmiers à huile sélectionnés. « Il faut travailler pour l’amélioration de la qualité et de la quantité de l’huile produite au Bénin. Et pour y arriver, nous avons pensé à éditer des normes par rapport aux différents marchés que nous avons tant au niveau national que sous régional pour mieux servir la clientèle », rassure le coordonnateur du programme national développement de la filière palmier à huile.
L’arbre magique
En raison de son exigence en eau qui se situe autour de 1800 mm d’eau de pluie, la production du palmier à huile se fait essentiellement dans les départements de l’Atlantique, du Mono, du Couffo, du Zou, de l’Ouémé et du Plateau. Au terme d’une période de 4 à 6 ans, les premières récoltes peuvent intervenir. Le palmier à huile est un arbre qui regorge de plusieurs produits et sous-produits. La transformation et l’extraction des noix de palme donnent deux qualités d’huile rouge. Un autre niveau de transformation de l’huile rouge permet d’obtenir de l’huile blanchie. C’est un chantier sur lequel travaille le Programme national de développement de la filière du palmier à huile pour avoir une raffinerie dans ce sens pour que les Béninois ne soient plus dépendants des huiles blanchies qui proviennent de la Côte d’Ivoire ou de l’Asie. Naturellement, les huiles provenant des noix de palme contiennent beaucoup moins de cholestérol que les autres oléagineux qui produisent des huiles. On peut produire des beurres et du savon. Les feuilles du palmier à huile sont utilisées dans la fabrication des balais, de palissade pour les clôtures, ainsi que des produits vanniers. Le stipe (tronc du palmier à huile), est utilisé pour les bois de charpente et des bois d’œuvre, c’est-à-dire l’usage à des fins de mobiliers. L’amande qui est la noix palmiste est utilisée pour faire de l’huile palmiste qu’on appelle en Fon “Tchotcho” qui est une huile comestible et à vertu médicinale. L’huile rouge contient du Bêta-coratène précurseur de la vitamine A. Les fibres issues de l’extraction de l’huile rouge sont utilisées pour fabriquer du tourteau qui est un composé combustible qu’on appelle en Fon “Kplègbè”. La coquille de la noix de palme est utilisée comme substituant du charbon de bois pour faire le feu. L’abattage des palmiers vieillis de 25 à 30 ans, donne du vin de palme qui est consommé directement comme boisson lors des fêtes populaires. Un autre niveau de transformation de ce jus conduit à l’obtention d’une liqueur appelée communément “Sodabi” dans les langues locales. C’est un excellent alcool qui est prisé.