‘‘Je crois que c’est pour la sécurité de la femme’’
‘‘Mais, un avortement coûte cher’’
Il reste la prise en charge par l’Etat
‘‘Il faut une main expérimentée pour faire les avortements’’
‘‘L’opération chirurgicale la plus difficile en gynéco-obstétrique, c’est le curetage’’
Les députés ont procédé, jeudi 21 octobre 2021, au vote de la loi N°2021-12 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin. En son article 17-2, il est fait cas, ainsi que suit : «L’Interruption volontaire de grossesse envisagée en vertu de l’article 17-1 de la présente loi ne peut avoir lieu après 12 semaines d’aménorrhée». Que faut-il y comprendre? Pourquoi cette limitation? Sur le plan biologique, à quoi s’expose, une femme qui avorte après cette échéance? Les réponses à ces interrogations, c’est à travers cet entretien exclusif réalisé par votre journal avec Dr Aimé Mitohadé (photo), Gynécologue-Obstétricien à la clinique MAHOUNA, Haie-Vive, Cotonou. Le sexagénaire, du haut de plus de deux décennies d’expériences, lève le voile.
Matin Libre : L’Interruption volontaire de grossesse (Ivg) n’est plus autorisée après 12 semaines d’aménorrhée bien que cette échéance ne prévaut pas en cas de grossesse à haut risque sur la santé maternelle et la viabilité infantile. Dr Mitohadé, nous voudrions comprendre.
Dr Aimé Mitohadé : En réalité, on peut faire l’avortement. L’avortement n’est pas que provoqué. Il y a des avortements thérapeutiques qu’on peut faire à tout moment, du 1er jour jusqu’au dernier jour. Des avortements thérapeutiques décidés par les médecins et là tout le monde entier accepte ça. Il y a une anomalie et l’enfant ne peut pas survivre, il y a une situation chez la mère qui ne lui permet pas de garder la grossesse jusqu’à terme. On accepte l’avortement pour sauver la maman. Là-dessus, j’ai fait un débat avec Monseigneur Isidore de Souza. J’ai été clair avec lui et lui aussi l’a été avec moi. Et c’est réglé. Il y a deux types d’avortement. Il y a les avortements spontanés. Ce n’est dû à l’intervention de qui que ce soit. Il y a des avortements provoqués, pour des raisons qui incombent au couple ou à la femme. Mais à partir de 6 mois de grossesse, on ne parle plus d’avortement. On parle d’accouchement prématuré. Pourquoi une limitation de 12 semaines ? ‘’12 semaines’’ existe en France depuis les années 90 ; c’est autorisé depuis. On se rappelle, la lutte de Simone Veil qui a mobilisé les femmes de la France pour accepter la contraception ; son projet de loi de libéralisation de l’avortement. C’était aussi interdit là-bas parce que la France est en accord avec l’Eglise Catholique mais les choses changent. Donc, 12 semaines pourquoi ? C’est sur le plan juridique. Ça ne concerne que ceux qui ont jugé.
Sur le plan biologique, qu’est-ce qui se passe ?
Oui sur le plan physiopathologique, sur le plan biologique, et j’en viens, qu’est-ce qui se passe ? Ce n’est pas que l’enfant n’a pas d’importance. A trois jours de grossesse, c’est le cœur qui vient d’abord chez l’enfant et qui bat. C’est le cœur qui permet aux autres organes de venir parce qu’il faut commencer à donner à manger au futur bébé. A douze semaines, l’enfant est formé. A 12 semaines 6 jours, sur le plan échographique, théoriquement, l’enfant finit sa structure, c’est un enfant. La tête est là, le tronc est là, les quatre membres sont là, le cerveau est formé complètement. Il reste une seule structure qui apparaît à 22 semaines, ce sont les poumons. On conseille de faire un avortement de trois semaines et quelque, mais l’enfant est déjà là ! Sur ce plan, je suis d’avis avec la loi doctrinale qui dit qu’une grossesse est une vie. C’est vrai. Mais le problème, ce n’est pas qu’on a accepté l’avortement. Ça existait déjà depuis des temps. C’est qu’il y a beaucoup plus de décès maternels. Aujourd’hui, je crois que les femmes auront le courage d’aller à l’hôpital officiellement. Pourquoi 12 semaines ? Théoriquement, l’utérus à une structure solide. L’utérus a trois compartiments : La muqueuse, la musculeuse et la séreuse. Ce sont ces trois enveloppes qui constituent l’utérus et la structure la plus solide, c’est la musculeuse, les muscles. Dehors, il y a une enveloppe qui est élastique ; dedans, il y a une muqueuse qui sort quand la femme n’est pas enceinte. Ce sont les règles que vous avez chaque mois ou tous les deux mois. Cette structure est encore solide jusqu’à deux mois et demi de grossesse. Cette structure permet à l’utérus d’être tonique. En intervenant là-dessus, on sait qu’on ne peut pas entraîner des complications. Chez nous, un mois égal 5 semaines, deux mois égal 10 semaines, 15 semaines égal trois mois. Douze semaines, ce n’est pas trois mois. Douze semaines, c’est deux mois et demi de grossesse. Et, à partir de trois mois, l’utérus devient fragile. On ne peut plus intervenir. On ne peut pas faire un curetage. On fait tout, si c’est une grossesse mal formée, pour que la femme accouche par le bas. C’est tout. Je crois que c’est pour la sécurité de la femme.
Mais, il reste quelque chose qu’ils n’ont pas fait. La prise en charge par l’Etat de l’avortement parce qu’un avortement coûte cher et quand une femme va chez un gynécologue pour faire l’avortement, le gynécologue sait que demain elle reviendra pour faire un bébé. Donc, les conditions changent. Alors que la plupart des avortements qui sont faits à 10 000 F Cfa, 15 000 F Cfa, 20 000 F Cfa ce ne sont même pas les infirmiers. C’est vrai, il y a des infirmiers qui le font aussi mais, ce sont des aides-soignants qui se disent Docteur à tout vent qui le font. Ils ne se soucient pas de demain. C’est l’argent qui les intéresse alors qu’une fille aujourd’hui est appelée à être mère demain. Ils ne font même pas des échographies pour voir si tout va bien. J’ai eu un cas comme ça ; la dame est partie faire son avortement alors que c’est une Grossesse extra-utérine (Geu). Quand elle a commencé par avoir des saignements, des douleurs, on dit qu’elle a fait un avortement. Il faut avoir le réflexe de faire une échographie pour voir si ce n’est pas une GEU sur avortement provoqué sinon la femme va mourir. Donc, avant de faire un avortement, faites nécessairement une échographie pour voir si la grossesse est dans l’utérus.
Est-ce à dire qu’avant ces 12 semaines, il ne peut pas y avoir des complications dues à l’avortement ?
Même avant deux mois ; même à un mois et demi de grossesse, il peut y avoir des complications. Il faut une main expérimentée pour faire les avortements. L’opération chirurgicale la plus difficile en gynéco-obstétrique, c’est le curetage. En France, je connais un centre dédié exclusivement à des gynécologues juste pour ça parce qu’il y a des gynécologues qui refusent l’avortement. Contrairement à la césarienne, le curetage, on ne sait d’où sort le sang. On sait que c’est dans l’utérus mais on ne peut pas dire, c’est ici, et donc, je pique. Et là, la femme va saigner et mourir.
C’est la mort d’abord, la première complication des avortements. Après, il y a les infections. Il y a la morbidité, c’est-à-dire les femmes à l’âge adulte ne peuvent plus faire d’enfants. L’utérus ne pourra plus servir à faire ce pour quoi il est destiné. Et tout ça, c’est dû à des infections qui peuvent fermer la trompe, qui peuvent faire coller l’utérus. Ça peut entraîner l’inflammation des trompes. Les trompes sont perméables mais ne sont plus aptes à faire circuler le sang parce que chaque organe à son rôle. L’ovaire est là pour produire l’œuf, les trompes en cas de grossesse, automatiquement, changent de direction. Au lieu d’aller dehors, vibrent à l’intérieur et c’est cette vibration qui amène l’œuf dans l’utérus.
Les complications majeures, ça peut être le premier curetage que la femme fait. Elle peut avoir un utérus fragile dû à des infections chroniques. Ce n’est pas qu’elle a fait un avortement mais le fait de répéter les infections fragilise l’utérus. Un homme expérimenté sait que la hauteur utérine, c’est 7 cm. En envoyant la curette dedans, si elle s’en va à 10 cm par exemple, il y aura perforation. C’est pourquoi, jusqu’à 12 semaines, c’est possible même si on peut avoir les mêmes complications à 5, 7, 8 semaines. Mais j’insiste pour dire qu’à partir de 12 semaines, l’utérus commence par grossir et donc, agit sur l’épaisseur du muscle utérin.
Propos recueillis et transcrits par Cyrience KOUGNANDE