Dans les zones de production de l’huile végétale, une dynamique est en cours pour aller à l’assaut des marchés. Les acteurs stockent leurs produits, recherchent une plus-value et ne comptent plus seulement sur le Nigeria.
Jonas Gbessemehlan ne se presse plus de céder sa production. Dans sa ferme de 300 ha créée depuis 1985 à Sakété, il fait preuve de patience pour vendre au meilleur prix. Les régimes traversent l’unité de transformation pour finir leur course dans des tanks de stockage de 275 tonnes. C’est là, dans ces bombonnes métalliques, que Jonas Gbessemehlan sécurise l’huile, le temps de surveiller l’évolution des prix sur le marché. « Les gens venaient payer dans nos unités. Ils nous amenaient à brader parce qu’on a besoin de moyens pour produire. Et là, vous êtes obligés d’accepter le prix qu’ils avancent », déplore-t-il. La donne a, dit-il, désormais changé, dans le cadre d’un programme. « Nous regroupons désormais nos huiles et les commercialisons quand ça prend de la valeur. À force de travailler ensemble, grâce au mécanisme que nous appelons le Warrantage, on gagne un peu plus », ajoute-t-il. Située à une trentaine de kilomètres de Porto-Novo, Sakété est l’une des communes qui se distinguent par la densité de ses palmeraies. L’activité occupe plus de 57% de la superficie du territoire de cette porte d’entrée au Nigeria. Aussi bien la superficie de production, la quantité de régimes transformée, et le volume d’huile produite ne cessent d’évoluer. En 2015, une superficie de 6186,82 ha de terre ont été mobilisée pour la production, 28872,47 tonnes de régimes ont été transformées pour aboutir à 5197,04 tonnes d’huile. Cependant, le marché d’écoulement avait un sens unidirectionnel. C’est le voisin de l’Est, le Nigeria qui était le gros client. Jonas Gbessemehlan n’est pas le seul sur la terre promise des « oba » à miser sur ce mécanisme. En 2021, ils sont environ 182 à faire entrer leurs produits dans le système de conservation mis en place à Sakété. « Pendant toutes ces années, les producteurs qui s’adonnent à cette activité font la vente vers le Nigeria. Les producteurs étant dans l’obligation de vendre, étant donné qu’ils sont dans le besoin d’argent, cèdent. Ces huiles sont généralement vendues en bidon », explique Moïse Akpovi, ingénieur agronome, gestionnaire d’un des sites de stockage. Le warrantage est en réalité un crédit agricole à court terme, garanti par un stock de produits agricoles conservables susceptibles d’augmenter de la valeur dans le temps. Le stock est entreposé et pris en gage dans un magasin sécurisé et approprié. Ainsi, les acteurs sont censés ne plus recourir au bradage, aux usuriers, mais disposent de crédit pour répondre à leurs besoins. «C’est pour des problèmes financiers que nous bradons la production», martèle Jonas Gbessemehlan.
En quête du mieux
L’expérience a démarré depuis 2015 avec trois réseaux d’acteurs d’huile de palme de Sakété, Adjohoun et Adja-Ouèrè. Elle s’est étendue aujourd’hui aux départements de l’Ouémé, du Plateau et du Zou. Sensibilisés, les acteurs dévoilent les quantités d’huile produite. Une fois les besoins dévoilés, des financements sont recherchés auprès des Systèmes financiers décentralisés. Un plan d’affaires est élaboré. Et le stock est constitué, à partir de mars.
« La constitution du stock peut durer trois ou quatre mois. Ça dépend du temps de production. Quand le stock est constitué, il y a l’étape de suivi du prix, pour une plus-value. Ce n’est qu’après cela que la vente intervient pour laisser place aux remboursements au niveau des Sfd. Puis on passe à la restitution des ristournes aux déposants », explique Moïse Akpovi.
A Sakété, en 2018, le stock constitué est de 275 tonnes pour 88 millions de crédit sollicité. Les acteurs ont cédé leurs produits à 400 F Cfa pour qu’ils soient vendus finalement à 615 F le kg. Le taux de crédit était de 1% par mois, sur 9 mois. La totalité des charges fait 43,8 F Cfa par kg. La ristourne qu’un acteur avait obtenue était de 251,2 F Cfa par kg. « Étant donné que l’acteur a accepté prendre de crédit pour pouvoir satisfaire ses besoins, il a une plus-value de près de 251,2 F Cfa après le stockage. Ce qui constitue un bénéfice pour l’acteur », précise Moïse Akpovi. Alors que les producteurs comptaient sur le Nigeria, la fermeture des frontières intervenue en 2019 change les donnes. « La vente commence normalement en août. Mais cette année-là, il y a eu fermeture des frontières. Nos efforts étaient concentrés sur le Nigeria. Le stock était resté là et nous sommes entrés dans l’impayé. Jusqu’en février 2020, on n’a pas pu vendre l’huile. Nous avons dû négocier avec un autre Sfd pour mobiliser un autre stock. Mais quelques mois après, nous avons pu vendre les stocks, rembourser plus tôt les crédits », précise-t-il. Avec ce risque, diversifier le marché d’écoulement devient important. Les acteurs travaillent à nouer de partenariat avec une industrie locale pour ne plus vivre pareille mésaventure. « C’est surtout à cause de la situation qui est intervenue avec la fermeture des frontières qu’on a pensé à rechercher d’autres marchés également », insiste Victorien Avocegan, un membre du comité. L’engouement est de retour après la tempête de la fermeture des frontières et les prémices de nouveaux marchés. Cette année, pour 236,020 tonnes d’huile mobilisées, producteurs et transformateurs espèrent encore mieux.