Au Bénin, elles sont des dizaines de filles d’origine nigériane qui débarquent chaque jour en espérant l’eldorado. Mais au lieu de cela, de leurs villes ou villages de l’autre côté de la frontière en passant par Sèmè puis Cotonou, c’est plutôt à une exploitation qu’elles ont droit. Confessions et parcours des acteurs d’une filière décriée et qui pourtant, étend ses tentacules.
Orpheline et maltraitée par sa tante, Sweet comme elle aime qu’on l’appelle, est partie du Nigéria le 17 juillet 2021, fuyant, à 16 ans, un mariage non désiré que sa belle-famille voulait lui imposer. Elle a fui le Nigeria sitôt qu’elle en a eu l’occasion et après un éprouvant voyage, elle débarque à Cotonou via le fleuve. Approchée en cette matinée du vendredi à l’embarcadère de Porto-Novo, un peu réticente au début, la jeune de taille moyenne et à la peau claire a accepté après quelques minutes de civilités, de partager avec nous les raisons qui l’ont poussé à venir au Bénin. Elle a voyagé presque sans bagage. Un petit sac de circonstance dans lequel se trouve un kit de premières nécessités (pâte dentifrice, brosse, éponge de toilette, un savon et quelques tenues) qu’elle a bien voulu nous montrer. Visiblement émue d’être au Bénin, elle ignorait que sa vie allait radicalement changer.
Deux mois plus tard, elle a accepté de partager avec nous sur son lieu de travail, son quotidien. Sweet avait changé. Physiquement, elle était devenue plus claire et plus sexy. Désormais, elle travaillait comme danseuse dans un bar de Cotonou, la capitale économique. La fille timide rencontrée quelques mois plus tôt, n’hésitait plus à entamer la conversation. Plus ouverte, elle nous raconte son quotidien auquel visiblement elle a fini par s’habituer. « Mon séjour ne se passe pas comme je l’aurais voulu. Je pensais rejoindre la terre promise, trouver un boulot décent. Mais, il faut croire que les choses ne se passent pas toujours comme on le souhaite. J’ai passé plusieurs semaines à chercher du travail. C’est ainsi qu’un soir lors d’une balade, je suis tombée sur un monsieur qui m’a proposé un job. Après moult réflexions, j’ai fini par accepter sa proposition. Les débuts étaient difficiles mais j’ai fini par m’y habituer », raconte-t-elle l’air triste. En clair, Sweet est passée du côté obscur. Elle se prostitue désormais pour survivre. « J’avais entendu que les filles nigérianes venaient pour se prostituer. J’ai cru que ça serait différent pour moi. Mais quand je suis arrivée, je ne savais pas ce que je pouvais faire, je n’avais rien d’intéressant. C’est ainsi que j’ai sauté sur la première occasion et j’ai commencé par me prostituer», a-t-elle confié. Elle en a profité pour nous présenter ses services. « Pour 5 000 F, je te fais la pipe », lance-t-elle. A l’instar de Sweet, elles sont des dizaines de femmes rencontrées dans quelques maisons de tolérance parcourues à Porto-Novo et Cotonou qui, pour survivre, sont souvent obligées de se prostituer.
Pour survivre, elles n’ont d’autres choix que de vendre leurs corps et de se faire exploiter
Des femmes exploitées
Grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication qui pulvérisent les notions de temps et d’espace, la prostitution est passée en quelques décennies du stade « artisanal » à celui d’une industrie qui exploite à grande échelle le corps de milliers de femmes et de filles à travers le monde. Mais, cette activité n’est pas sans risque. Viviane, une autre Nigériane, amie de Sweet raconte sa mésaventure : « J’ai été violée par deux clients et, en plus, ils m’ont soutiré l’argent que j’avais gagné. Quand j’ai raconté ma mésaventure aux autres filles, elles m’ont répondu que c’est normal ». Dépitée, elle a fini par se faire à l’idée que quand on exerce dans ce secteur, ce sont des choses qui arrivent très souvent. En plus de ces risques, les femmes et filles qui exercent ce métier sont souvent exploitées par des proxénètes. Gestionnaire ou démarcheur pour certains, passeur pour d’autres, ces derniers perçoivent un pourcentage chez ces filles de joie pour chaque client. Adénikè, également venue du Nigeria, la vingtaine environ, claire et qui a du mal à s’exprimer en français nous raconte comment elle a rencontré son démarcheur. « Quand je suis venue au Bénin, il m’a abordé à l’embarcadère à Porto-Novo. Il m’a dit qu’il allait m’aider à me trouver un boulot et que je ne devais pas m’en faire. Au début, c’était des rendez-vous arrangés. Je n’avais pas tout de suite compris. Je l’ai compris trop tard quand je me suis retrouvée le jour de mon anniversaire à faire le trottoir », a-t-elle fait savoir, le visage plein de dégoût.
Pour se défendre de toutes ces accusations lancées contre sa personne, « le boss », comme il est appelé par ces filles de joie, déclare qu’il ne perçoit aucun copeck chez elles. « Tout ce que je perçois, c’est juste l’argent de loyer puisque je les héberge », a-t-il martelé. Contrairement à ses dires et d’après les filles qui ont accepté de se confier à nous après des minutes de négociations, il perçoit 1000 FCFA voir 1500 F pour chaque client. « C’est des conneries. Il nous prend de l’argent. En gros, il nous exploite. Quand un client me paye 3000 FCFA pour un coup, il prend 1000 FCFA. Mais quand le client n’est pas radin et paye 5000 FCFA, il perçoit 2000 FCFA », a lâché une autre travailleuse de sexe qui a requis l’anonymat.
Tout comme Adénikè, elles sont nombreuses ces filles qui, par la force des choses, deviennent des travailleuses de sexe et se font exploiter. D’après le passeur, toutes les filles qui prétendent ne pas savoir qu’elles allaient se prostituer à Porto-Novo et Cotonou mentent. « Adénikè savait bien qu’elle allait se prostituer. Elle vient ici jouer à l’innocente. Mais, je suis désolée. Elle et toutes les autres filles savaient. On a discuté, elles savaient la finalité. Sinon, elles n’auraient jamais fait ça», se défend le « boss » qui, par ces mots, a pris congé de nous et nous a sommé par la même occasion, de ne plus revenir en ces lieux.
Traque contre les proxénètes, la polémique s’installe
Au Bénin, le phénomène de la prostitution et du proxénétisme a tellement pris de l’ampleur que le préfet du Littoral, Alain Orounla a entrepris depuis quelques jours, une campagne de nettoyage dans la ville de Cotonou. Avec son équipe et les forces de sécurité à l’appui, il est descendu dans des maisons de tolérance où il a pu embarquer dans les pick-up de la Police républicaine, plusieurs dizaines de prostituées pour la plupart d’origine nigériane. Pour Alain Orounla, il est temps que l’Etat central prenne ses responsabilités face à un phénomène aux conséquences néfastes. « L’ambition, c’est de décourager les réseaux de proxénétisme. Nous entreprenons de faire fermer tous ces espaces qui polluent le département. Toutes ces maisons dès qu’elles seront répertoriées seront fermées », a martelé le préfet lors d’une interview qu’il a accordée à une radio privée de la place. Mieux, Alain Orounla s’inquiète du rythme vertigineux avec lequel les réseaux de proxénétisme se développent dans la capitale économique. Cette activité n’est pas sans risque sur la santé des populations notamment celles qui sont abonnées à ces lieux de plaisir charnel. « C’est un problème de criminalité et de génocide parce que les conditions dans lesquelles les gens sont livrés à la prostitution facilitent la contamination de tous les Béninois. Nous n’avons aucune appréciation sur le suivi médical ou non de ces prostituées que d’autres fréquentent », a soutenu le préfet. Pour l’instant, son homologue de l’Ouémé (qui comprend la ville de Porto-Novo, capitale politique du Bénin) et qui en plus est une femme est restée passive face au phénomène de la prostitution et du proxénétisme dans son département.
Une lutte qui ne fait pas l’unanimité
Mais, bien que tirant son fondement d’un souci de nettoyage et de salubrité de Cotonou, capitale économique, certaines populations n’approuvent pas la méthode brutale utilisée par le préfet pour décourager une pratique vieille comme le monde. Pour ces populations, le préfet a mieux à faire que de s’attaquer à un phénomène aux racines très profondes. Les détracteurs de l’opération ont du mal à comprendre la détermination du préfet qui a essuyé un premier revers avec la mise en liberté de la première vague de travailleuses de sexe qu’il a appréhendées et livrées aux mains de la justice. A la limite, elles dénoncent un acharnement contre ces belles de nuit, qui « comblent les désirs d’une frange importante de la population ». Ces récriminations et rodomontades semblent être perçues comme de l’eau versée sur le dos du canard. Cette opération relance le débat sur la prostitution et le proxénétisme qui ne font malheureusement objet d’aucun encadrement juridique. L’opération mérite de susciter une réflexion collective sur le phénomène qui devient pratiquement une filière qui étend ses tentacules dans plusieurs localités du pays. Les travailleuses du sexe, pour leur part, n’entendent pas accepter cette démarche qui, selon elles, porte atteinte à la liberté des prostituées.
Des spécialistes en parlent
Au Bénin, la traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle est le fait d’organisation et souvent d’individus qui alimentent le marché du sexe dans des lieux discrets comme des maisons de tolérance, les bars de danses, des salons de massage ou encore dans des fora sur Facebook et WhatsApp.
Au nom des droits humains notamment ceux des femmes, il faut impérativement passer à l’action pour combattre la violence à leur endroit. Pour Lazare Hounsa, président de l’Association des Jeunes juristes du Bénin, l’ambiguïté des lois et des politiques béninoises ainsi que le relâchement de leur application ont progressivement facilité le recrutement de femmes dans la prostitution et favorisé le développement de l’industrie du sexe. Sans détour, il a laissé entendre que les gouvernants doivent reconnaitre les liens entre la prostitution et la traite et admettre que la prostitution constitue une forme de violence contre les femmes. « Il importe donc d’interpeller la volonté politique des gouvernements qui tentent d’implanter des mesures de lutte contre la traite et l’exploitation sexuelle. Il est donc essentiel que le Bénin applique des sanctions efficaces contre les proxénètes, les trafiquants et les consommateurs », a-t-il lâché.
Ainsi, qu’elles soient victime du trafic ou non, les filles et les femmes subissent dans l’industrie du sexe des violences qui laissent, comme l’a souligné le sociologue Achille Sodégla, un impact important sur leur santé physique et mentale. L’approche du sociologue abolitionniste se résume au fait que les filles et les femmes exploitées dans l’industrie du sexe doivent avoir accès à de véritables moyens pour ne pas y entrer et, si elles s’y retrouvent, pour réussir à s’en sortir. « Sans une politique efficace pour contrer la prostitution dans une logique d’égalité des sexes et de reconnaissance des droits des femmes, cette pratique continuera à faire des victimes », a conclu le sociologue.