La justice béninoise est en pleine modernisation mais certaines réformes ne sont pas de nature à garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire. C’est ce qu’a démontré Me Prosper Ahounou, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Bénin, lors de l’audience solennelle de rentrée judiciaire 2021-2022.
La Loi 2020-08 du 23 avril 2020 portant modernisation de la justice est une louable initiative pour accompagner les juges dans leur travail et impulser un renouveau dans le secteur. « Si cette loi a résolu des problèmes rencontrés dans le métier au quotidien du juge et le management des juridictions, la principale préoccupation du barreau et du citoyen béninois demeure et tourne autour d’une bonne administration du service public de la justice. La problématique majeure qu’expriment aujourd’hui le barreau et la plupart de nos concitoyens tourne autour d’un même souci : celui de la séparation effective des pouvoirs », fait remarquer Me Prosper Ahounou, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Bénin. Il rappelle que la séparation des pouvoirs est un principe essentiel à l’État de droit. Le Législateur fait les lois, l’Exécutif les met en œuvre et le Judiciaire les applique en les interprétant au besoin. C’est pourquoi chaque pouvoir doit rester indépendant. C’est de l’indépendance effective du pouvoir judiciaire que dépendent l’impartialité et l’efficacité de la justice. Me Prosper Ahounou évoque dans ce cadre les propos de l’actuel président de la Cour suprême:
« Il n’y a pas de justice forte sans indépendance du pouvoir judiciaire». Il évoque en soutien à son argumentaire la Constitution qui dispose en son article 125 : « Le Pouvoir judiciaire est indépendant du Pouvoir législatif et du Pouvoir exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les cours et les tribunaux créés conformément à la présente constitution». Me Prosper Ahounou poursuit : « Cette affirmation tranchée est confortée par l’article 126 de la même constitution qui énonce que la justice est rendue au nom du peuple béninois. Les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi. Les magistrats du siège sont inamovibles ».
Mais le bâtonnier dénote un paradoxe dans cette même constitution. Un paradoxe dont le corollaire est une implication de plus en plus croissante de l’Exécutif dans le domaine du Judiciaire. En effet, les articles 127 et 129 de la Constitution modifiée stipulent respectivement : « Le président de la République est garant de l’indépendance de la justice. Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature dont il nomme le président » ; « Les magistrats sont nommés par le président de la République, sur proposition du Garde des sceaux, ministre de la Justice, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ». Allant dans le même sens que le constituant, le législateur précise que le Conseil supérieur de la Magistrature est présidé par le président de la République. « Il s’ensuit une situation à la fois périlleuse, paradoxale et ambigüe qui interroge la considération entre la justice indépendante rendue au nom du peuple, le président de la République qui doit garantir l’indépendance de la justice, et la responsabilité du magistrat qui devra rendre justice face à la puissance du Pouvoir exécutif ».
L’indépendance du magistrat est, selon Me Prosper Ahounou, la plus importante des valeurs déontologiques de la magistrature. L’impartialité et l’intégrité du juge doivent être promues. Il y va du renforcement de la confiance des justiciables en la justice. Pour assurer cette indépendance, il convient selon le bâtonnier d’engager certaines actions pour résoudre le problème lié au statut des magistrats. « La vraie réforme consistera à enlever à l’Exécutif ses pouvoirs en matière de carrière, de sanction et de rotation des magistrats. La deuxième réforme est celle du Conseil supérieur de la magistrature. La composition actuelle de cet organe de régulation et de gestion de la carrière des magistrats doit être guidée par le principe de la séparation des pouvoirs », recommande Me Prosper Ahounou. Pour lui, il ne saurait avoir de justice indépendante sans deux garanties essentielles que sont l’inamovibilité des juges et la non interférence du pouvoir exécutif dans la gestion de la carrière des magistrats. Me Prosper Ahounou évoque une troisième réforme qui consistera à élaborer un code de déontologie du magistrat. Il explique : « La magistrature est soumise à des exigences d’éthique, de moralité et de probité… La soumission des magistrats à la règle de droit, à une éthique, au respect de leur déontologie, constitue le gage de leur légitimité aux yeux des justiciables… Il ne peut y avoir de pouvoir judiciaire indépendant sans responsabilisation des magistrats… A mesure que s’accroit l’importance sociale et politique du Pouvoir judiciaire grandit aussi la nécessité pour les magistrats de répondre de leurs comportements professionnels ».