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Scolarisation Des Personnes Atteintes D’albinisme Au Bénin : Résilient Qui Peut !

Publié le vendredi 10 decembre 2021  |  Autre presse
3ème
© aCotonou.com par Didier Assogba
3ème journée de sensibilisation à l’Albinisme sous le thème ‘’ Avancer avec un espoir renouvelé ``.
Cotonou, le 13 juin 2017. Les manifestations entrant dans le cadre de la 3ème journée de sensibilisation à l’Albinisme.
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uffit-il d’aller s’asseoir dans une salle de classe au quotidien pour prétendre être scolarisé ? Chez les apprenants atteints d’albinisme la réponse est négative. La transmission du savoir se heurte à des spécificités liées à leur état que l’école béninoise des ‘’normaux’’, peine à prendre véritablement en compte.
Par Sêmèvo Bonaventure AGBON
«Oui, au Bénin, l’éducation est accessible aux apprenants vivant avec un handicap», soutient le Directeur départemental de l’Enseignement secondaire, technique et de la formation professionnelle (Ddestfp/Atlantique), Dr Edmond Houinton. Sur le terrain, tout n’est pas si rose.

Élève en classe de 6ème, Dorcas Houessou devait rentrer souvent tard avec tous les risques d’agression liée aux superstitions qui attribuent des pouvoirs magiques aux albinos. Rester à la fin des classes pour recopier les cours est devenu son sort. «Le tableau n’était pas bien noir et je ne vois pas», se plaint-elle. Joseph Tokpoedo partage avec elle l’albinisme. Cette maladie génétique causée par le manque total ou partiel de mélanine dans l’épiderme, exposant les personnes atteintes au cancer de peau et les maladies oculaires. A l’opposé, à la fin des cours, lui, Joseph ne traine pas les pas au collège La Verdure (Abomey-Calavi) où il reprend la classe de 5ème. «Les classes antérieures, je restais devant en salle mais en 5ème on m’en empêche. Donc, j’écoute plus les explications orales de mes enseignants», confie-t-il. De nos enquêtes, il ressort qu’il est dans une classe volante, et à chaque fois, chaque apprenant devrait se débrouiller pour se garantir une place. Un sauve-qui-peut qui ne lui facilite pas la tâche. Il s’est alors abonné à un camarade auprès de qui il recopie les leçons plus tard. «J’ai un camarade qui habite non loin de chez moi dont j’emprunte les cahiers pour recopier nos cours à la maison. Quand j’ai approché mes professeurs et même le directeur du collège à propos de ma déficience, ils m’ont renvoyé me débrouiller. Eux aussi savent qu’en classe je ne recopie aucun cours», témoigne-t-il.

«Les élèves vivant avec l’albinisme (Eva), on peut les classer parmi les handicapés visuels parce qu’ils n’arrivent pas à voir correctement. Je ne vois pas pourquoi on va les stigmatiser ou les mettre de côté. Mais l’État a fui ses responsabilités», déplore le sociologue Nansirou Domingo, chargé du Programme d’intégration scolaire des enfants handicapés au Bénin et président de la Fédération des associations de personnes handicapées du Bénin (Faphb).

Au Bénin, l’école demeure un parcours d’enfer pour les apprenants atteints d’albinisme. Du fait des déficiences liées à leur état, ils sont contraints à la détermination. Franck Hounsa en est conscient. Lui-même atteint d’albinisme a connu la souffrance avant de devenir traducteur-interprète. En réponse, il a créé une Ong au service de la «Protection et promotion des personnes atteintes d’albinisme». En la matière, fustige-t-il, «Au niveau de l’État, rien n’a changé». Son organisation a initié avec d’autres acteurs civils un «Projet de parrainage des élèves atteints d’albinisme».

Prise en charge

Les «albinos» ne sont pas des incapables. «Leurs mauvais résultats scolaires sont plus liés aux problèmes de vue qu’à un problème d’intelligence », soutient Hounsa. Son premier conseil aux enseignants est donc une invite à l’attention et au respect à leur égard. Leur vulnérabilité nécessite que les encadreurs soient d’abord eux-mêmes instruits. «L’encadrement des apprenants atteints d’albinisme est-il différent des autres ? Oui ! Lorsque vous écrivez au tableau, il faut écrire d’abord gros en tant qu’enseignant et il faut écrire en parlant à haute et intelligible voix pour permettre à l’Eva d’écrire d’abord la majorité des choses que vous dites avant même de se lever pour regarder le reste», indique-t-il. Les organisations de défense des albinos militent depuis quelques années en faveur de l’impression des manuels scolaires à la taille 18. Quant à la disposition en salle, les Eva doivent rester devant, au milieu, pas devant à l’extrême afin de bien voir le tableau.

Faute d’information, les enseignants ne les assistent pas ou ne les comprennent pas dans leurs plaintes. Puisque, pendant leur formation, ils ne reçoivent pas une pédagogie qui les aguerrit à cet effet. «Il n’y a pas un cours spécial qu’on fait aux enseignants pour pouvoir prendre les handicapés au menu de la grande masse. Non», reconnaît le Ddestfp/Atlantique, Edmond Houinton. Il prescrit juste que « Le bon sens devrait aussi guider les comportements des enseignants ». Deux enseignants ayant suivi la formation sur l’encadrement des Eva donnée par l’Ong de Hounsa l’ont reconnu avec remords. Luc Tonoukouen est censeur au complexe scolaire «Le Jubilé » à Ouèdo. «À la fin de cette formation, je suis peiné de n’avoir pas disposé de ces notions plus tôt », confie-t-il. Octave Eklou, professeur dans un collège confessionnel a pris, quant à lui, la résolution d’amener les chargés des disciplines scientifiques à revoir leur façon d’enseigner. «Lors de la prise des dimensions des figures géométriques ou schémas, le matériel de travail étant très fin, les Eva ont du mal à voir», comprend-il.

Les mathématiques et les Sciences de la vie et de la terre (Svt) constituent un casse-tête chez la plupart des Eva rencontrés. En Svt, Dorcas Houessou et Joseph Tokpoedo ont obtenu respectivement 4 et 11 de moyenne en devoirs. Le second juge le cours «trop long» et «difficile à réviser». «La Svt va lui créer de problème à cause de ses yeux, c’est clair. Puisqu’il faut analyser des documents qui sont souvent de très petites tailles. C’est aussi la matière où on fait beaucoup de schémas», renchérit Luc Tonoukouen. «Il faut adapter l’école aux handicaps et non adapter l’enfant à l’éducation», insiste Nansirou Domingo.
Peu d’établissements, environ une quinzaine seulement, sont touchés par les sensibilisations à l’albinisme. À leur niveau, Franck Hounsa constate des améliorations. Mais dans les milliers autres, les albinos incompris continuent de souffrir le martyre. Par exemple, les enseignants doivent maintenir les tableaux toujours noirs afin que le contraste de la craie blanche puisse améliorer la capacité visuelle des Eva. Ce que pratique l’enseignant Eklou, qui a suivi des séances de sensibilisation, jusqu’au jour où un inspecteur lui a intimé l’ordre de ramener le tableau au vert. «L’inspecteur n’avait pas trop tort», réagit le Ddestfp Dr Houinton. «La pratique ici c’est d’avoir un tableau noir. Si les classes sont fixées, on pourra le faire pour l’albinos. Là, on saura que dans cette classe va rester l’albinos. Mais nos classes sont volantes, cela veut dire que c’est là où on trouve une de disponible qu’on fait cours. Il va falloir alors mettre l’ardoisine noire sur tous les tableaux, ce qui revient très cher aux établissements», explique-t-il. Franck Hounsa n’est pas convaincu. Il dénonce plutôt une méconnaissance des réalités des apprenants atteints d’albinisme par les acteurs de l’école. «Il n’y a pas d’inspecteurs atteints d’albinisme à ce que je sache. On nous prive de la carrière enseignante parce que nous avons une acuité visuelle déficiente. Ainsi, ce ne sont que des gens qui n’ont pas la condition d’albinisme qui vont décider à notre place et quand ils décident à notre place, c’est toujours contre nous, même si c’est de façon non consciente», dénonce-t-il. De quoi suggérer à l’État de favoriser la sensibilisation à grande échelle des acteurs de l’école à l’albinisme.

Des écoles à part ?

Être considérés, c’est un grand besoin des Eva. Mais les rejets ne manquent pas en milieu scolaire à leur égard. Ils viennent, parfois…même des enseignants. «Quand j’étais admis au CE1, la maitresse a changé de classe et a pris le CE2 ; et ainsi de suite jusqu’à rejoindre carrément le groupe pédagogique B quand je suis passé au CM1. Par la suite, une institutrice mutée du groupe B m’a soufflé que c’était à cause de moi que sa collègue a «fui», qu’elle lui a confié ne pas pouvoir supporter mes yeux qui ressemblent à ceux d’un chat», se souvient avoir subi Nicolas Dossa, albinos, promoteur d’un restaurant. «C’est vrai qu’il y a des questions qui surgissent : «Pourquoi mon ami Carlos est blanc ?», observe Carlos Amoussou, albinos, greffier au Tribunal d’Abomey-Calavi. «Il y a chez de nombreux camarades une façon de nous regarder qui indispose», confirme Joseph Tokpoedo en classe de 5ème. Ces traitements discriminatoires sont susceptibles «d’entraver la concentration et gêner l’apprentissage et la compréhension chez les Eva», prévient Hounsa. D’où, «l’enseignant doit témoigner à son élève vivant avec l’albinisme beaucoup d’affection. Il peut l’embrasser sans complexe. En agissant ainsi, il montre aux autres élèves que ces personnes ne sont pas à fuir à défaut d’être tuées», exhorte-t-il.

Pour faire court, faut-il simplement promouvoir des établissements réservés aux apprenants atteints d’albinisme ou autres handicaps ? «Ce serait l’exclusion d’une société où ils sont condamnés à vivre», rejette Nansirou Domingo.
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