De toute évidence, les élections communales seront reportées. Sine die ? Non, c’eût été scandaleux. Pour calmer les suspicions, les députés s’apprêtent à envoyer le scrutin vers le dernier trimestre de l’année, quitte à voter au passage une loi de prorogation qui arrangerait tout le monde. Ce sera vite fait, bien fait et qu’on n’en parle plus !
C’est du moins sous ce mode de désinvolture que se perçoit la situation électorale de notre pays. Depuis 2006, toutes les élections ont été reportées en toute tranquillité. Et donc, personne n’a été surpris de constater que les députés sont obligés, cette année encore, d’ajourner ce rendez-vous. La raison en est toute simple : deux ans après les tumultes générés par la Lépi, la liste électorale reste encore d’une qualité douteuse. Deux ans après. Que s’est-il donc passé ? Comme d’habitude, beaucoup de querelles oiseuses, beaucoup de suspicions, beaucoup d’immobilisme et, à l’arrivée, peu d’action. La liste n’a jamais été corrigée. Livrée à une masse de manœuvres politiques (le contraire eût été anormal), elle croupit quelque part au Centre international des conférences entourée de mille doutes. Aux dernières nouvelles, c’est bien l’ennemi public numéro un de Yayi qui aurait gardé par devers lui le code du fichier, s’il faut en croire un député récemment interviewé. Si ces allégations sont vérifiées, il faudra attendre les calendes grecques pour voir les prochaines élections, à moins de retourner à l’antique fichier manuel. Ce serait une prime à notre sens d’organisation, un héritage génétique légué par nos aïeux !!!
A y voir de près, le report des élections est déjà entré dans nos mœurs politiques. Comment en serait-il autrement lorsque la ruse et la tromperie ont longtemps constitué le mode de gestion des scrutins dans les formations politiques. Peu de Béninois croient réellement à la transparence de nos élections. Qui ne sait pas qu’au sein des grands partis, subsistent encore des commandos de choc, des groupes d’organisation de la fraude ? Personne n’ignore ici que derrière le jeu de la transparence, se trouve une industrie de la fraude scientifiquement déployée par les principaux acteurs.
Que ce soit la fabrication de fausses listes identiques à l’officiel, le bourrage des urnes dans des villages et des quartiers connus, les votes multiples, le vote d’étrangers spécialement transportés de l’étranger, la falsification des documents…, la liste des forfaitures est sans limite. L’ingéniosité sans bornes des esprits n’a d’égal que l’ignorance des masses elles-mêmes. C’est bien elles, les populations, qui se laissent acheter à chaque consultation par les dons et libéralités destinés à orienter leurs choix.
Lors des élections de 2011, j’ai pu voir (« de mes propres yeux »), à la suite d’un meeting à Zogbodomey, comment une foule hystérique s’en est prise violemment à un pauvre directeur d’école accusé d’avoir détourné la cagnotte laissée par le candidat de passage. Le pauvre, il n’avait pas reçu un seul copeck du candidat en question. Dans l’imagerie populaire de chez nous, la campagne électorale est avant tout un jeu de distribution d’argent. Et personne n’est choqué parce que cela relève de l’évidence même. Les discours intellectuels sur le développement du pays, la défense de l’intérêt national relèvent de la chimère universitaire.
Dans la vraie campagne, tout est ruse, trahison, trafic. 2011 a été perçue par certains comme le sommet de ce hit-parade du trucage.
Dans ces conditions, la mise en place d’un outil transparent de gestion du fichier électoral constitue une gageure, surtout pour ceux qui n’auraient jamais pu se faire élire ou réélire sans une bonne dose de manœuvres obscures. De là à imaginer que les reports successifs sont certainement obtenus pour favoriser quelque chapelle, il n’y a qu’un pas.
Seulement, la question ici est de savoir si, ayant permis aux maires de prolonger leurs mandats, le peuple béninois ne se prépare pas ainsi à accepter une prorogation éventuelle du mandat présidentiel. Elle est surtout de savoir si des mains invisibles ne vont pas exciper de ce qui se passe aujourd’hui pour exiger report sur report en 2016.