Autant dire que dans quelques jours, quand le chef de l’Etat se présentera devant l’Assemblée nationale pour y délivrer son discours sur l’état de la nation, l’ambiance sera potentiellement électrique, sinon franchement glaciale. A la jubilation intérieure des uns, feront échos la suspicion et la détestation des autres. Le rejet du projet de budget général de l’Etat gestion 2014, le 19 décembre dernier, constitue un tournant décisif dans la recomposition de l’échiquier politique, autant que dans les rapports entre certains acteurs majeurs de la scène politique. Pour qui sonne le glas ? A qui est promis le grand soir… ?
Par Wilfried Léandre HOUNGBEDJI
On savait depuis peu déjà que l’image d’Epinal que projetaient les rapports entre le chef de l’Etat et sa Majorité parlementaire commençait à se dissiper. Mais, la guérilla emmenée par un petit groupe de députés FCBE de souche, ne semblait pas promettre de se muer, aussi vite, en rébellion voire en guerre ouverte.
Car, à l’évidence, le rejet du projet de budget général de l’Etat gestion 2014, plus qu’un vote sanction de la politique du gouvernement, est un acte de rébellion, l’Opposition intrinsèque ne pouvant, à elle seule, prétendre y arriver. Il aura donc fallu le renfort d’élus FCBE ou apparentés.
Le mur FCBE lézardé…
La Majorité composite du chef de l’Etat est-elle en décomposition? En tout cas, et c’est le moins qu’on puisse dire, elle est en proie à une secousse de forte ampleur. Elle traverse une zone de turbulence.
Déjà l’une des répliques attendues du séisme que fut la constitution, sous la houlette de Candide Azannaï, du groupe parlementaire «Cohésion nationale et Paix»? A l’évidence oui. Mais bien au-delà. Car, une lecture au premier degré permet de constater que tous les députés de la Majorité, non élus FCBE, ont pu tourner dos au chef de l’Etat à l’occasion de ce vote. Et même quelques-uns du cru FCBE. Autrement, comment comprendre que le vote final fut sanctionné par le score de 44 voix contre et de 39 seulement pour ? 39, c’est moins que les députés glanés en propre par les FCBE en 2011, soit 42. Pourquoi et comment en est-on arrivé là? La gestion des hommes? Des intérêts?
L’instinct de survie politique dans la perspective de l’après Boni Yayi? Sans doute un peu de tout cela, plus un zeste de défiance aussi à l’égard d’un gouvernement à propos duquel nombre d’élus marmonnent qu’il les tient en petite estime. Et entendaient, à la première occasion, se rappeler à son attention.
Dans ce sens, le 19 décembre 2013 restera une date fondatrice soit de redéfinition des rapports au sein même de la Majorité présidentielle, soit carrément du début de la fin. En tout cas, de toute évidence, au moins un ressort important est cassé et il faudra plus que des imprécations et des professions de foi pour le réparer. Et il faudra, si telle est l’ambition, agir vite.
L’Opposition étant sûrement aux aguets avec pour intention de transformer cet essai mémorable, elle pourrait s’engouffrer dans cette brèche béante pour essayer de faire s’écrouler le mur, qui donne de sérieux signes de fragilité.
L’Opposition requinquée ?
C’est assurément elle qui a réussi à prendre de l’avance au sortir de ce tournant. Il va sans dire qu’elle savoure la victoire, qui serait de nature à la rassurer dans son combat et lui faire miroiter le bonheur des lendemains qui chantent.
Mais attention à ne pas passer le temps en délectation au point d’oublier l’essentiel tant l’adversaire, qui a reçu cet uppercut, ne devrait pas perdre le temps à se morfondre. Il cherchera à coup sûr les voies et moyens pour se rétablir et reprendre l’avantage. En attendant, il s’agirait pour l’Opposition de ne pas tomber, par excès de confiance, dans les mêmes travers qui auraient conduit le pouvoir à subir ce coup.
Mais, a-t-elle des moyens de donner les gages nécessaires à ces alliés du moment pour les convaincre de convoler en justes noces avec elle sur la durée? Saura-t-elle avoir le triomphe modeste et la sagesse d’accorder à chacun sa juste place? Ce sont là des défis apparemment mineurs mais qu’il faudrait s’appliquer à relever. Mais déjà, on peut considérer que c’est parce qu’elle était sûre de son fait que l’Opposition a demandé le vote secret pour protéger ceux qui l’ont ralliée, et s’assurer qu’ils seront à l’abri de représailles politiques ou autres, s’ils avaient osé exprimer un vote négatif à la vue des caméras. Seulement, faut-il voir dans le tournant du 19 décembre dernier, un simple flirt ou le début d’une idylle qui pourrait conduire les alliés à provoquer par exemple un effondrement du bureau de l’Assemblée nationale aux fins de le prendre d’assaut.
Avec ou sans le consentement de ses membres actuels, notamment le premier d’entre eux, Mathurin Nago. Qui serait sans doute, depuis jeudi dernier, regardé différemment au sein de la Majorité présidentielle…
En chiens de faïence ?
Mathurin Nago était, dans un passé pas si lointain que ça, adulé au sein d’une frange de la Majorité présidentielle pour son rôle de sapeur-pompier ou d’essuie-glace au profit du président Boni Yayi, lorsque l’Assemblée nationale était en surchauffe. Depuis jeudi dernier, il n’est plus évident qu’il bénéficie de la même attention.
En effet, s’il restait une carte politique à jouer pour sauver le budget, il l’avait en main : faisant l’arbitrage des débats, décider que le vote se ferait malgré tout par mode de scrutin public ordinaire. L’Opposition qui a demandé en premier le mode de scrutin secret, serait peut-être alors sortie de l’hémicycle, la Majorité présidentielle serait restée en place. Et, devant les caméras, ceux qui ont voté "NON" en secret, n’auraient certainement pas osé le faire.
Le budget serait ainsi passé, quitte à ce que l’Opposition se fende ensuite d’un recours devant la Cour constitutionnelle, dont la décision pourrait n’intervenir qu’à un moment où elle n’aurait plus d’incidence sur le budget. De fait, Mathurin Nago est déjà perçu par certains de ses compagnons de la majorité, hier si fiers de lui, comme ayant tourné casaque, et faisant le jeu de l’Opposition. Cela lui vaudrait assurément des moments difficiles. Mais l’homme pourrait avoir fait le choix de se battre pour son avenir politique, convaincu qu’un vent nouveau souffle et qu’il vaudrait mieux se mettre dans le bon sens.
Comme lui, la Renaissance du Bénin (R.B.) serait l’objet de tous les soupçons.
En effet, même s’il est difficile de dire avec certitude qui a voté contre le budget sous anonymat, le résultat obtenu peut alimenter les supputations. Dans ce cadre, la R.B. qui avait rejoint le président Boni Yayi, saisissant ainsi «la main tendue», mais dont les relations avec le reste de la Mouvance présidentielle, ces derniers mois, sont apparues pour le moins critiques, peut être considérée comme ayant de bonnes raisons de se démarquer. Un retour programmé vers l’Opposition?
Rien n’est moins sûr. Et alors, ce parti, le président de l’Assemblée nationale lui-même et le chef de l’Etat plus le reste de ce qu’il lui reste de fidèles, pourraient être réduits, pendant un moment, à se regarder en chiens de faïence… Méfiance et suspicion qui pourraient induire une redistribution des cartes au sein de la Majorité présidentielle…
Un remaniement ?
Si on avait été dans un régime parlementaire, ce qu’il s’est passé à l’hémicycle le 19 décembre dernier s’analyserait ni plus ni moins en une crise de confiance. Qui conduirait inéluctablement à une chute du gouvernement. Ici, les réalités ne sont pas les mêmes et les plus optimistes opposeront que notre Assemblée nationale est réputée à géométrie variable.
Les plus réalistes, par contre, appelleraient à tirer les leçons, à froid, sans état d’âme et sans faux fuyant, de la réalité ainsi apparue au grand jour. Pour, par exemple, se séparer des alliés qui auraient pu le trahir à défaut de les écouter pour mieux prendre en compte leurs aspirations. S’il optait pour la première possibilité, il n’aurait qu’à signifier à la R.B. qu’elle ne saurait siéger dans son gouvernement et avoir un pied dans l’Opposition. Ce à quoi le parti de Léhady Soglo pourrait lui opposer d’apporter la preuve que ses députés ont voté contre le budget. Mais les uns et les autres ne sont pas dupes.
Et Léhady Soglo, s’il a pu ordonner à sa troupe de voter contre, pourrait s’être préparé à retourner à l’Opposition. Dès lors, un débarquement du gouvernement n’aurait, pour lui, que des conséquences contenues. Pour le chef de l’Etat plutôt, un remaniement dans cette atmosphère aurait pour conséquence immédiate de le conduire à se rabattre davantage sur lui-même et ses plus proches collaborateurs, son premier cercle de fidèles à moins de réussir l’exploit de se trouver d’autres alliés de taille. Un confinement qui pourrait conduire la Mouvance présidentielle à se réduire progressivement comme peau de chagrin.