Historien du patrimoine, Dr Paul Akogni est directeur de la Promotion culturelle au ministère de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat. Il nous parle ici du dossier d’extension de l’inscription du pays Tammari (Koutammarikou ou Koutammakou) béninois sur la liste du patrimoine de l’Unesco.
Paul Akogni, directeur de la promotion culturelle
La Nation : Où en est-on par rapport au dossier d’inscription du Koutammakou béninois sur la liste du patrimoine de l’Unesco ?
Dr Paul Akogni : C’est un dossier qui existe depuis très longtemps. Le pays Tammari (Koutammakou) s’étend de part et d’autre de la frontière entre le Bénin et le Togo au Nord. En 2004, le Togo a réussi à inscrire au patrimoine de l’Unesco, le Koutammakou, le pays des Bètammaribè. En principe, cela devrait être un dossier conjoint parce que le site est frontalier. De 2004 jusqu’à l’heure où nous parlons, le Bénin n’a pas réussi à inscrire la portion qui se trouve sur son territoire.
Dès que le ministre Jean-Michel Abimbola est revenu à la tête du ministère, il a voulu que ce dossier prospère enfin. La première démarche a été d’inscrire le Koutammakou béninois sur la liste indicative en 2020. Je rappelle que chaque pays a une liste indicative du patrimoine à l’Unesco. Cela nous a permis de lancer le processus de rédaction du dossier pour l’inscription. Notre dossier à nous était un dossier d’extension de l’inscription puisqu’un pays l’a déjà fait.
Concrètement, qu’est-ce qui est fait dans ce sens ?
A notre arrivée à la tête de la direction de la Promotion culturelle (Dpc), nous avons lancé le processus en juin 2020. Le Comité du patrimoine mondial (Cpm) nous a beaucoup aidés, en nous trouvant des ressources pour signer un contrat d’accompagnement technique avec Craterre (Centre international de la construction en terre) en France. L’équipe de Craterre s’est ajoutée à une équipe béninoise que j’ai dirigée et composée des cadres de la Dpc, d’universitaires, de géographes, d’historiens. Nous avons fait tout le travail de terrain et fait le dossier que nous avons confié à l’ambassade du Bénin à Paris comme cela se doit. C’est l’ambassade qui a déposé le dossier officiellement en tenant dans le délai, parce qu’il fallait déposer avant le 31 janvier. Cela a été un exploit parce qu’un dossier pour l’inscription, cela prend au moins trois ans mais nous l’avons fait en six mois.
Quels sont les arguments qui militent en faveur de l’inscription du Koutammakou-Bénin ?
L’inscription du Koutammakou-Bénin ne serait que justice parce que l’essentiel des attributs de ce site se trouve sur le territoire béninois. Car, le bien dont on parle, le Koutammakou qui est un terrain assez vaste, le Togo n’en comporte qu’entre 31 000 et 50 000 hectares contre 261 000 hectares au Bénin en termes de superficie. Logiquement, le Bénin ne devrait pas être à la traîne. En plus, le berceau historique du peuple Tammari se trouve sur le territoire du Bénin : Koubentiégou. Mieux encore, au Togo, vous avez un seul type de tata alors que les cinq types existants se retrouvent sur le territoire béninois.
Parfois, il y a des cérémonies coutumières que des Togolais viennent faire sur le territoire béninois parce que c’est ici leur maison-mère. En vérité, cela pose un vieux débat que vous connaissez très bien : la balkanisation. Avant, ce n’étaient pas deux pays différents, mais plutôt une union géoculturelle qui fonctionnait très bien avec ses codes. Il se fait donc que malheureusement, le compas colonial est passé par là et désormais elle est coupée en deux.
Pour quand peut-on espérer l’inscription ?
Le dossier est déposé conformément aux directives opérationnelles. Cette année 2021, c’est l’année d’évaluation du dossier et on pourra avoir l’inscription l’année prochaine si le dossier est bon. D’ailleurs, un expert de l’Icomos (Conseil international des monuments et sites, bras opérationnel du Centre du patrimoine mondial évaluant ces genres de dossiers culturels) devrait être reçu au Bénin. Et devrait rencontrer tous les acteurs, se déplacer sur le site pour s’enquérir de l’état des lieux. En 2022, à la quarante-cinquième session du Comité du patrimoine mondial, le dossier devrait passer. Je puis vous assurer que tel qu’il est rondement mené, c’est un dossier très propre du point de vue contenu, si bien que nous n’avons aucun doute qu’il ne passera pas.
Qu’est-ce qui a fait traîner le dossier depuis tout ce temps ?
Je dirais que c’est la lenteur administrative et certainement aussi des querelles de personnes…En plus, il y a une condition qui nous a embêté et qu’on a fini par remplir. Le Togo qui a inscrit le Koutammakou avant nous, devrait marquer son accord. Nous avons reçu la lettre officielle du ministre togolais pour que ce dossier passe.
Devons-nous maintenant croiser les bras ?
Nous devons montrer que nous gérons correctement le site. Pour ce faire, il y a un Comité de gestion qui comprend le ministère, la direction départementale de la Culture et du Tourisme, les communautés, les mairies. Déjà, le ministre de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat a procédé à l’installation de ce comité dont je suis le rapporteur. Le comité aura pour mission de mettre en œuvre le plan de gestion élaboré sur cinq ans et qui accompagne le dossier. Il sera évalué au bout des cinq ans.
Donc le projet « Route des Tatas » continue… ?
La « Route des Tatas » est un bras, un rift marchand, dont le rôle est la mise en tourisme du site. Le projet se charge de mettre en place ce que les touristes doivent voir lorsqu’ils descendent sur le terrain. Tous les circuits qu’il détermine sont validés en amont par les services techniques du ministère du Tourisme et de la Culture. Aujourd’hui, il y a quatre circuits, mais on peut en créer des dizaines, des centaines. Cela dépendra des valeurs qu’on voudrait mettre en exergue et des travaux de viabilisation pour faciliter l’accès et la découverte du site.
Par Claude Urbain PLAGBETO,