Tout au long de la côte béninoise, les tortues marines retrouvent la sérénité pour se reproduire. Nuit et jour, des pêcheurs et écogardes veillent au grain. L’Etat vient en renfort avec la création de deux aires marines protégées.
Arangés derrière une ligne de départ, ils font tous un vœu. « Je te souhaite longue vie et la chance de revenir au Bénin ». La petite gracia, 8 ans, souffle ainsi dans la carapace de son bébé tortue. Sur la plage de Tokplégbé, à l’Est de Cotonou, la course va enfin démarrer entre la vingtaine de bébés tortues en lice. Aussitôt libérés par leurs porteurs, ce samedi 15 janvier 2022, ils s’empressent de retrouver le chemin de l’Océan. En cinq minutes, ces petits animaux de mer se sont laissés emporter par le creux des vagues, sous les ovations de leurs porteurs. Les plus lents se feront aider. Mais l’enthousiasme atteint son paroxysme quand il s’est agi de libérer en mer une tortue olivâtre adulte. Patrice Sagbo, écologiste, repousse la ligne pour faire de l’espace à l’équipe chargée de prendre les mesures à consigner sur une fiche. Attention aux âmes sensibles : deux bagues portant les inscriptions BJ 2713 et 2714 sont enfoncées dans les pâtes de la tortue au dos large de 42 cm. « L’importance des bagues, c’est que quand on retrouvera cette tortue, ailleurs, comme sur les côtes américaines, on saura qu’elle a pris par le Bénin», explique-t-il.
« Que Dieu te protège ! »
Cette tortue a été retrouvée sur la côte, trois jours plus tôt, par Romain Coffi, pêcheur à la plage le Bélier. Il était tombé sur deux espèces lors de son aventure de pêche. « Elles étaient deux. La seconde qui est un peu plus grosse a été relâchée parce qu’elle était déjà baguée. Puisque celle-ci ne portait pas une inscription, je l’ai ramenée pour qu’on en prenne soin et que les éco gardes puissent l’enregistrer », confie-t-il. Et c’est avec fierté qu’il suit des yeux l’espèce qui retourne dans son milieu de vie et à qui la foule ne cesse de dire au revoir. « Que Dieu te protège!», entend-on sur la plage. C’est une chance qu’elles n’aient pas été tuées. Le littoral béninois est une zone de reproduction prisée. Lors d’une aventure, les pêcheurs retrouvent une dizaine de jeunes tortues dans leurs filets, et parfois moins. Ils savent désormais quoi faire. «On appelle les écogardes pour qu’ils viennent les chercher. Parfois, je les ramène moi-même sur moto », souligne Romain Coffi.
Les écogardes, une cinquantaine, sont des bénévoles qui veillent sur les œufs que pondent les tortues sur les plages, jusqu’à l’éclosion, deux mois après. Grâce à leurs actions, les menaces commencent à être repoussées. « Avant, il n’y avait pas de restrictions en tant que telles. Du moins, nous n’avions pas connaissance de textes qui interdisaient la consommation de ces espèces. Quand on a su que c’est interdit d’en consommer et compris l’enjeu, on s’engage. Nous en prenons soin », martèle-t-il.
Des signes de retour
Des huit espèces au monde, on retrouve au moins six dans l’Atlantique dont quatre connues. La première, c’est la tortue « luth », localement appelée ‘’Agbossèguè’’. Elle peut atteindre 700 voire 900 kg. Ensuite, il y a la tortue olivâtre, une espèce moyenne qui vient sur les côtes du Bénin pour pondre ses œufs. Il y a aussi la tortue verte qui se retrouve proche de notre côte mais qui pond rarement des œufs. Sa présence au Bénin se justifie par la disponibilité de certaines algues. Le 3 janvier 2022, quatre tortues vertes ont été sauvées sur cette partie de la côte grâce à la vigilance des écogardes. Elles profitent des aménagements effectués au niveau du Plm Alédjo. « Les tortues reviennent de plus en plus. A côté des rochers, elles viennent consommer les algues. Debout sur les rochers, vous pouvez les voir. Ce qui était impossible par le passé parce que les gens les ramassaient spontanément pour consommer. Les tortues que les pêcheurs nous ramènent souvent, ce sont celles qui ont été baguées et qui ont été lâchées et qui ne sont pas allées loin », se réjouit Bienvenu Djossou.
Les écogardes, ces bénévoles formés pour protéger les ressources marines, ne cessent en réalité de faire la ronde. Bienvenu Djossou en est un. Après quinze ans d’expérience, il a su développer des réflexes inédits. « Il faut être écogarde pour comprendre comment ça fonctionne. On retrace le parcours de l’animal, puis on met le piquet là où la tortue a embrouillé le sable avec ses pattes. Quand c’est mou, ça veut dire qu’il y a des œufs. On ne pousse pas le piquet trop loin au risque de les écraser. Une tortue peut pondre jusqu’à 180 œufs. Quand on trouve ces œufs, on les déplace délicatement de sorte à ne pas bouger le contenu. Si ça bouge, ça ne s’éclore pas », renseigne Bienvenu Djossou. Il est heureux de voir que les habitudes changent sur la côte et les populations participent aux efforts de protection.
On retrouve même des femmes dans le rang des écogardes. « Nous suivons les pêcheurs. Quand ils trouvent des tortues dans leurs filets, ils nous les ramènent pour qu’elles soient baguées et retournées en mer. Mais quand il y a un identifiant, nous relâchons la tortue aussitôt. C’est un travail passionnant mais difficile. On fait assez de va-et-vient. Ce qui est bien, quand on trouve une tortue, on est vraiment heureuse. On s’occupe bien aussi des bébés tortues », témoigne Alexandrine Houndonougbo, une écogarde.
L’aubaine des aires marines protégées,
Il y a quelques semaines, plus précisément le 5 janvier 2022, le gouvernement a décidé de créer deux aires marines protégées. Une à Donaten, à l’Est de Cotonou et l’autre à l’Ouest en direction de la frontière avec le Togo, prenant en compte la réserve de la Bouche du Roy. «Ces aires marines permettront de sécuriser la mangrove et les ressources halieutiques disponibles dans ces écosystèmes qui regorgent d’une riche diversité biologique menacée ou en voie d’extinction, à savoir: tortues marines, lamantins d’Afrique, baleines et dauphins, diverses espèces de poissons, etc. », renseigne le Conseil des ministres du 5 janvier 2022. Engagé depuis plus d’un quart de siècle pour la protection des espèces marines, Joséa Bodjrènou, directeur de Nature Tropicale, trouve que c’est une aubaine et plaide pour la prise en compte de l’existant. « Les tortues entrent accidentellement dans les filets et les déchirent. Mais dans le même temps, ils sont appelés à sauver les tortues concernées. S’ils peuvent être indemnisés pour réparer leurs filets, ce serait bien. L’Etat pourrait mettre à disposition des pêcheurs des moyens pour qu’ils aillent pêcher plus loin pour préserver leurs conditions d’existence. Les écogardes travaillaient bénévolement, c’est l’occasion de les appuyer pour qu’ils se sentent plus en sécurité et qu’on leur donne les moyens pour faire le travail. Ce qu’ils font est formidable », fait remarquer Joséa Dossou Bodjrènou. Il faut poursuivre la veille et la sensibilisation. « Les tortues sont intégralement protégées. Nous devons mettre dans la conscience nationale que les tortues sont un atout pour le tourisme », insiste Joséa Dossou Bodjrènou. Chacun devrait devenir ainsi les anges des tortues pour l’essor de l’écotourisme.