Dans une lettre ouverte transmise au Journal de l’Afrique, Essowé Batamoussi envoie un message à ses anciens collègues de la Cour de Repression des Infractions Economiques et du Terrorisme (Criet). Ci-dessous le message du juge démissionnaire qui est aujourd’hui en exile en France.
Chers collègues,
Vous me connaissez et je vous connais bien. Nous avons travaillé main dans la main pendant deux ans et plus. Nous avons, face à des dossiers, échangé sur nos craintes, nos angoisses et sur nos frustrations.
Le 1er avril 2021, j’ai décidé de vous abandonner et de partir. Je sais que vous avez compris mon acte.
Moins d’une semaine après mon départ, mon ministre de tutelle, dans un dénigrement et un mépris total, déclarait : « Ce juge, je ne le connais pas ». Pire, je suis désormais et dorénavant un terroriste. Il instruit le procureur spécial d’intenter des poursuites contre ma personne. Moi je l’ai compris.
L’homme politique fonctionne ainsi. Ses intérêts et rien que ses intérêts.
Je sais que vous avez envie de faire comme moi. Quitter. Partir. Pour avoir le sommeil paisible, la paix du cœur et de l’esprit. Je sais également que vous êtes fatigués d’entendre au cours vos sommeils des pleurs et des lamentations d’enfants qui vous réclament leurs père et mère parce qu’ils sont devenus orphelins par votre fait. Ces enfants, je les entends dire : « Monsieur le juge, j’ai vu le ministre et il m’a demandé de venir te voir. Il a dit que c’est toi qui m’as rendu orphelin. Monsieur le juge, je veux mes parents pour me donner à manger, m’habiller et m’amener à l’école, comme toi tu le fais avec tes enfants ».
L’esprit de la veuve et du veuf judiciaires tourmente vos sommeils parce qu’injustement condamnés.
L’esprit des parents, des proches et des amis des arbitrairement condamnés vous persécute chaque jour et tous les jours.
L’âme des morts vous persécute.
Vous et votre famille n’être plus en paix.
Le pays débute sa descente aux enfers.
Messieurs les juges, n’est-ce pas assez pour dire non ?
Moi, humain, j’essaie de vous comprendre. Les privilèges et les avantages de la CRIET, il faut être fou pour cracher dessus. Et puis, comment quitter lorsque ses déplacements sont surveillés, quand on est mis sur écoute ?
Sachez que vous conservez votre libre arbitre et que les victimes et Dieu ne comprendront et ne pardonneront jamais votre rôle si vous ne brisez pas vos chaînes.
Sachez-le, vos maîtres d’aujourd’hui deviendront vos bourreaux demain. Les exemples sont légion.