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Art et Culture

Ousmane Alédji à propos de la pièce Tassi Hangbé : « Nous présentons à la communauté artistique universelle le produit d’une dramaturgie nouvelle et propre à l’Afrique »

Publié le jeudi 20 janvier 2022  |  Fraternité
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© aCotonou.com par codias
A gauche Ousmane Aledji, dramaturge Beninois, lors de la passation de service à la tête du ministère de la Culture, de l’Alphabétisation, de l’Artisanat et du Tourisme (MCAT) Paul Hounkpè devient le nouveau ministre.
Cotonou, le 22 juin 2015. Palais des congres de Cotonou. Passation de service entre Jean-Michel Abimbola, désormais député à l’Assemblée nationale et Paul Hounkpè ancien maire de Bopa
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« Tassi Hangbé » ! Cette pièce écrite par Florent Couao-Zotti et mise en scène par le dramaturge béninois Ousmane Alédji, fait parler d’elle depuis sa représentation au palais des congrès de Cotonou le mercredi 22 décembre 2021. A travers cet entretien réalisé par le quotidien du service public la Nation, le metteur en scène revient sur l’histoire de cette reine atypique et le casting fait pour la réussite de cette représentation.

M ALEDJI, que vous inspire à vous-même, le personnage de TASSI HANGBE.
Hangbé est un symbole précieux, notre apport renié à l’histoire du monde. Renié et effacé. C’est l’un des silences qu’on nous a infligés par suprématisme colonialiste et raciste. Ce silence-ci n’est ni le fruit d’un hasard, ni l’expression de la volonté exclusive des dignitaires de la cour royale de Danxomè. Si nous partons de l’hypothèse que les livres d’histoire qui ont servi à la formation des indigènes d’Afrique ont été écrit par la France dite civilisatrice, on peut comprendre qu’il soit difficile à cette dernière d’admettre et de propager dans ses ouvrages qu’au moment même où elle brulait sur la place publique Jeanne d’Arc, Danxomè couronnait une Reine qui lui est presque identique. La question de « qui vient civiliser qui » se poserait. Or, pour justifier la mission dite civilisatrice, il faut exhiber les barbaries qui attestent de la primitivité des peuples que l’on vient asservir. Bref ! Ensuite, il y a que « le patrimoine Amazone » est inexploré au plan artistique. Hangbé symbolise à elle seule quatre pouvoirs : il y a la femme avec ses attraits et ses charmes, la mère avec son cœur et ses tripes, l’Amazone donc la guerrière et la Reine - l’autorité suprême qui gouverne. C’est extrêmement complexe à traiter, du reste, artistiquement. Un bonheur ! Merci Florent !

Pourquoi un bonheur ?
Plus c’est lourd, plus on se déploie et mieux ça vaut. C’est très nourrissant pour un metteur en scène comme pour les comédiens de farfouiller les méandres d’un personnage rond et gras. On est certain de ne pas en rester au premier degré.

Le choix des comédiens et acteurs a été fait en conséquence ? Vous semblez avoir joué quelque peu sur vos vieilles amitiés d’une part…
Oui. D’abord du temps pour porter le rêve. Ensuite, la distribution. Je parle de rêve mais la réalité c’est que je le vis comme une grossesse. Une grossesse monstrueuse parce qu’elle, elle s’installe dans votre tête. Nos femmes, nos mères, elles dorment quand elles tombent enceinte. Chez nous c’est l’inverse. C’est une grossesse qui vous empêche de dormir tranquillement, de manger tranquillement, de conduire tranquillement, de prendre votre douche tranquillement. Donc la meilleure chose à faire c’est de procéder à la distribution. C’est-à-dire que vous commencez à la confier morceau par morceau à des gens que vous connaissez bien, des gens qui vous inspirent confiance. Je ne peux pas travailler avec un comédien ou une comédienne pour qui je ne ressens rien. Je veux dire, pour moi, diriger un comédien est un geste affectif, c’est un geste d’amour. J’ai besoin que le comédien s’ouvre comme une terre pour me laisser semer et qu’après les graines prospèrent en lui. Il ne s’agit pas de tyrannie, il s’agit d’osmose, de fusion. Alors si vous ne m’inspirez ni estime, ni amitié, ni respect, ni admiration…, je ne vous prends pas. Mes distributions sont mes familles. J’aime prendre les gens dans les bras et les serrer tout contre moi fort fort.

Qu’une femme ait chaussé les sandales sacrées du royaume pour en conduire les destinées cela ne passe pas encore bien dans la tête de certains gardiens de la tradition. Ce spectacle ne vient pas réveiller de vieux démons ?
S’ils sont des démons, ils ne sont pas vieux. Vraiment pas vieux du tout. Mesdames Marie Elise Gbèdo et Célestine Zanou sont là. Les démons qui les ont accablées lorsqu’elles sont descendues dans les arènes politiques avec les mêmes prétentions que les hommes, sont parfois plus jeunes que vous et moi. Je veux dire, c’est un sujet d’actualité. Un sujet grave. D’où la pertinence de la création de l’Institut de la Promotion de la Femme. C’est en réponse à un constat.

Pourquoi ressusciter maintenant le débat autour du pouvoir des femmes ?
Rassurez-vous, ce n’est pas le but de l’auteur même si le spectacle laisse entendre ce débat, il n’en est pas le moteur. Ce que j’ai voulu célébrer en m’appuyant sur le texte, ce sont les quatre pouvoirs dont j’ai parlé plus haut. La femme dans sa plénitude, l’Amazone béninoise, africaine, la mère brave engagée, celle qui paie chèrement ses prétentions politiques les plus légitimes, celle qui souffre le martyre des opprobres et des conspirations machistes.

Ce théâtre n’est-il pas provocateur ?
Provocateur du point de vue de qui ? De ceux que vous appelez les vieux démons ? Alors, tant pis ! Tant mieux ! Dérangeant exprès, si c’est réussi. Ecoutez, le monde entier nous envie ce patrimoine qu’est l’Amazone. Ce n’est pas une légende mais une réalité historique. Mais elles sont où ? Où sont-elles ? Combien sont-elles, sont-elles tolérées dans le paysage politique, social béninois, ancien royaume qui le premier, les a forgées ? C’est provocateur de les célébrer ? Savez-vous que dans la quasi-totalité des cultes traditionnels béninois, le pouvoir est entre les mains de nos mères ? Sur cet aspect précis, j’ai le sentiment que nos grands-parents étaient plus civilisés que nous.

Pour qui a lu le texte de Florent Couao Zotti, vous avez choisi de vous écarter un peu de l’écriture originale. Doit-on y noter un caprice de metteur de scène ou un besoin imposé par la mise en scène ?
C’est un parti pris convenu. M’écarter ? Non. Enrichir. J’ai fait, avec l’accord de l’auteur une adaptation du texte avant d’en faire la mise en scène. C’est un gros travail d’appropriation de l’univers de Florent. D’ailleurs, je le taquine souvent en lui disant « Tu as une tête de moine alors que tu es un gros vicieux ». Il n’économise rien. Quand je lis Florent, je l’entends rire, je le vois s’amuser, bref, il se lâche. Il est profondément littéraire. La mise en scène, c’est l’inverse, elle est presque scientifique. L’auteur ouvre des pistes, suggère des personnages, le metteur en scène leur donne un corps physique. De mon point de vue, la relation entre un texte et une mise en scène est assimilable à un pacte entre le sel et le sucre. Deux natures différentes qui enfantent une troisième.

On note dans la pièce un excès de proverbes, citations, incantations, chants, panégyriques. N’avez-vous pas eu cette impression ?
Vous me connaissez un peu, je crois. Je ne laisse rien déborder. Je peux ne pas m’en rendre compte. L’autre chose, c’est que le piège est béant quand nous jouons dans les langues nationales devant le public béninois cela peut donner cette impression. Parce qu’à l’appui de ce que dit le comédien, vient la justesse des gestuels, du souffle, du ton, de l’intonation, du rythme, des sonorités etc… mêmes les silences sont justes. C’est un langage théâtral complet.

Justement, votre mise en scène tourne royalement dos à la langue française et donne à entendre plutôt les langues nationales, comme le Nago, le Fon et le Mahi. Pourquoi ce choix ?
Tourner dos au français, non. Pas du tout. D’abord les sur-titrages nous permettent de mettre le texte dans toutes les langues du monde. C’est aussi un parti pris dont les gains sont palpables. Les frontières liées à la langue tombent. Nous présentons à la communauté artistique universelle le produit d’une dramaturgie nouvelle et propre à l’Afrique. Les indiens, les arabes, les coréens ou encore les chinois nous proposent des spectacles et des films dans leurs langues. Pour moi le langage théâtral d’un metteur en scène est sa signature. C’est comme un copyright ou une propriété intellectuelle. J’explore ce registre depuis le spectacle IMONLE que j’ai créé en 2000. Comme pour donner raison à Aimé CESAIRE, Imonlê et Omon-mi sont les spectacles que j’ai le plus vendus sur le marché international. Aimé Césaire disait, je cite : « l’universel d’accord mais, l’identité d’abord. » Nos identités sont plurielles au Bénin. C’est un privilège et une chance dont il faut profiter pour se présenter au monde. Ce que nous apportons aux autres c’est ce qui nous diffère d’eux.

l’Institut français de Cotonou devait accueillir la première présentation mais après, plus rien. Pourquoi ?
Nous avons subi deux reports pour des raisons de COVID 19. Là, je n’ai plus de contact avec l’administration de ce lieu depuis le départ de Mme Coline-lee Toumson. Mais bon… Nous sommes là. Nous les attendons.

On vous a vu quelque peu émotif à la fin du spectacle, ce qui n’est pas de vos habitudes. Pourquoi ?
C’est un ensemble de chocs successifs qui a provoqué cela. Mais… avec votre permission, gardons pour le couvent ce qui relève de secret de couvent. On avance.

Le chef de l’Etat était annoncé à la soirée théâtrale de Tassi Hangbe. Mais à la fin, il n’y était pas. Comment justifiez-vous cela. Pourtant c’est un grand fan de théâtre !
Cela m’a un peu déstabilisé quand on me l’a soufflé à l’oreille au moment où je montais sur scène pour remercier le public. Quand j’ai appris le pourquoi après, j’ai fait ouf. Je ne peux pas vous répéter ce qu’on m’a dit mais, croyez-moi, il était là. Du reste, son esprit était avec nous. La prochaine fois, les acteurs et moi nous irons le saluer dans le public avant de l’amener sur scène. C’est très rare en Afrique, un Chef d’Etat qui va au théâtre. Je saisis l’occasion que vous m’offrez pour lui redire au nom de tous ceux qui ont travaillé sur ce spectacle, un immense merci.

« J’ai surtout senti le bonheur de l’art quand il est signé Ousmane Aledji ». Ce sont des mots de Florent Couao Zotti à propos de votre mise en scène. Que répondez-vous ?
C’est un privilège et un honneur de travailler sur l’œuvre de Florent. C’est un ami certes mais c’est surtout un immense auteur. La preuve, voyez ce qu’il dit de mon travail. Un modèle d’humilité et de générosité. Je le remercie infiniment de m’avoir confié son texte.
Source : La Nation
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