Depuis sa terre d’exil, le célèbre juge Angelo Houssou a rompu le silence en cette veille de la nativité. Par le biais d’un mémorandum, il a retracé son calvaire d’homme traqué depuis le 17 mai dernier où il a rendu les deux ordonnances de non-lieu dans la double affaire de tentative d’empoisonnement sur la personne du chef de l’Etat et de coup d’Etat. Sans détour, il dénonce le harcèlement moral dont il a été victime et les multiples menaces qui pesaient sur sa vie. « La tourmente physique, morale et psychologique installa peu à peu son rideau d’enfer… Lorsqu’on étouffe une fumée, elle cherche et trouve le chemin de la liberté. J’ai trouvé le mien dans l’exil », a-t-il affirmé. Plus loin, il évoque son départ forcé du pays comme un instinct de survie. « Je suis parfaitement conscient que mon exil n’est qu’un palliatif, un geste de désespoir qui ne règle pas le problème de fond, celui d’un juge qui a osé dire le droit contre un chef d’Etat en fonction dans un Bénin de réputation démocratique à la fois solide et fragile ».
Le but de ce mémorandum est, dit-il, de protéger le juge béninois contre la toute puissance de l’exécutif, car « les nations modernes sont celles qui ont réussi à faire de la justice un facteur de développement économique et de progrès social ». Pour finir, il a rendu un vibrant hommage au peuple béninois pour la mobilisation autour de sa cause. « Depuis le début de cette affaire, j’ai éprouvé la traîtrise, la trahison, l’ingratitude et les crocs de tant de gens. Mais quelle superbe récompense d’avoir pu compter en retour sur l’amitié, la fidélité et la sollicitude de tant d’autres. C’est à tous ceux qui, anonymes ou non, m’ont soutenu que je dois d’avoir survécu ».
Moïse DOSSOUMOU
Bref Mémorandum sur ma persécution et mon départ du Bénin
« La Vie, c’est comme une bicyclette : Il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre »
Albert Einstein
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Depuis seulement le 1er décembre 2013 où je me suis retrouvé sur le territoire américain, j’ai retrouvé la paix intérieure suffisante et l’allant nécessaire pour visualiser et mettre par écrit accoucher quelques temps forts de la vie qui est la mienne depuis le 17 mai 2013. C’est ce fameux jour qu’en toute sérénité et comme un acte ordinaire de ma fonction de juge, je pris des ordonnances de non lieu dans le dossier Association de malfaiteurs et Tentative d’assassinat sur la personne du chef de l’Etat et celui portant sur l’Atteinte contre la sûreté de l’Etat, deux dossiers qui m’ont été confiés le 22 octobre 2012 pour le premier, et le 1er mars 2013 pour le second et que j’ai instruits sans m’abaisser devant aucun pouvoir autre que celui du droit.
Oui, je suis parti du Bénin
La mort dans l’âme, ce vendredi 29 novembre 2013, j’ai quitté ma patrie le Bénin pour échapper aux machinations et aux persécutions graves dont je fais l’objet depuis notamment le vendredi 17 mai 2013. Jusqu’à alors, je n’ai jamais imaginé que sous le soleil démocratique du Bénin, on pouvait rencontrer des accès d’Etat de force. Au fil des ans, le Bénin s’est fatalement habitué à des cas où des compatriotes, amis ou non du régime, sont lynchés jusqu’à la neurasthénie et à l’exil. C’est mon cas que je connais le mieux : j’ai vécu ces derniers mois dans mon pays comme dans un Etat de police, un régime de bruits de botte à domicile et de surveillance physique marquée à la culotte.
A l’occasion de l’instruction des deux dossiers cités plus haut, j’ai été l’objet de pressions énormes de la part du régime en place : menaces, intimidations, appels nocturnes, mises en garde formelles, filatures, mises sur écoute téléphonique systématique, interdictions implicites de voyages à l’extérieur, etc.
Dans cette tempête, j’ai pu trouver les moyens intérieurs nécessaires pour dire le droit en toute sérénité et prendre les décisions que j’estime fidèles à la loi et à ma conscience lesquelles décisions ont été confirmées par les éminents aînés de la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Cotonou.
La déontologie de la magistrature et le secret de l’instruction m’interdisent de divulguer les éléments des dossiers aux personnes qui ne sont pas parties aux procédures que j’ai instruites. Je tiens à respecter ces grands principes en ne révélant ici ni ailleurs – du moins pour l’instant – aucun détail sur les pressions que j’ai subies.
En rendant mes décisions dans les affaires précitées, je n’ai, à aucun moment, perdu de vue les risques pour ma carrière et ma vie. Ceux-ci ont commencé le jour même de la reddition des ordonnances de non lieu dans ces procédures.
Arrestation et séquestration
Le soir du vendredi 17 mai 2013 où j’ai prononcé les ordonnances de non-lieu, et me rendant au Nigeria pour un week-end, j’ai été arrêté à la Brigade de Sèmè-Kraké où je me suis présenté en toute quiétude pour les formalités de passage à la frontière. On parlera plus tard de tentative de fuite comme si un clandestin ou un candidat à l’exil cherche à se soumettre aux formalités de frontière. Gardé à vue dans les locaux de la Direction générale de la police nationale toute la nuit durant, j’ai fini par être libéré à 7h 20 et escorté à la maison avec une impressionnante suite policière.
Mon passeport a été saisi. Ma voiture ainsi que mes effets personnels furent l’objet d’une fouille minutieuse et leur contenu rendu public dans la presse et sur Internet. Des communiqués signés du Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Cotonou, Justin GBENAMETO et de l’avocat du chef de l’Etat, Me Katto Attita, furent diffusés en boucle sur les antennes des télévisions et des radios critiquant ouvertement mes ordonnances alors même qu’un appel a été formé contre celles-ci.
Il n’y avait aucun doute sur les raisons de cet acharnement médiatique, d’une rare violence : jeter de l’opprobre sur ma fonction de juge et me livrer ainsi à la vindicte populaire. Pendant plusieurs jours, mon nom, mon éthique personnelle, ma compétence professionnelle furent traînés dans la boue à travers des déclarations tapageuses tenues par des partisans du chef de l’Etat mobilisés lors de manifestations publiques géantes organisées à l’échelle du pays. Ces manifestants au discours passionné et haineux sont autant de candidats à mon élimination physique.
Dès mon retour chez moi, ma famille et moi étions littéralement soumis à un siège militaro-policier qui nous rendait étrangers dans notre domicile. Nous n’avions plus d’intimité. Personne, absolument personne, ne peut imaginer l’enfer qui fut le nôtre !
Sous le fallacieux prétexte d’assurer ma sécurité, ces militaires et agents des renseignements s’étaient arrogés le pouvoir de circuler dans tous les compartiments de ma maison. Souvent sans uniforme et aux mouvements tout aussi suspects que dangereux, ils refusaient de me révéler leur identité. Leurs mouvements étaient envahissants et psychologiquement dévastateurs pour l’ensemble de ma famille – à commencer par les enfants. En les observant, il n’y avait pas de doute : ils étaient prêts à parer à toute éventualité, soit m’enlever, soit exécuter sur place la sentence de la peine capitale…
Quelles furent ma tristesse et mon émotion d’apprendre l’interpellation et l’arrestation de mon ami Nazaire HOUESSINON qui me conduisait au moment où j’ai été interpellé par la Brigade de Sèmè-Kraké ! Il resta en prison du jeudi 23 mai au 4 novembre 2013, date à laquelle la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel, après avoir relevé la vacuité du dossier qui lui a été collé de force, l’a mis en liberté d’office.
Tout l’arsenal matériel et le détachement humain déployés dans ma maison et mon quartier, outre de violer mon droit élémentaire à une intimité dans ma maison, étaient une grande source d’inquiétude et de stress permanent pour moi et chaque membre de ma famille. Il était impossible d’être tranquille dans ce capharnaüm et surtout d’exercer une charge aussi lourde que la magistrature à laquelle je n’ai nullement – ni hier ni aujourd’hui – l’intention de renoncer.
Quand le gouvernement s’amuse avec ma sécurité !
Toutes ces dispositions ‘’sécuritaires’’, prises sans mon accord et qui m’ont délesté de tout contrôle sur ma vie, ont un lien évident avec les décisions de non lieu que j’ai rendues le vendredi 17 mai 2013.
Sous la pression ferme et sans équivoque de l’Union Nationale des Magistrats du Bénin (UNAMAB) qui a consacré plusieurs assemblées générales à la question, ce dispositif ‘’sécuritaire’’ fut allégé. Mais ce fut sans compter la capacité et l’esprit manœuvriers de mes persécuteurs. En effet, au soir du 16 juillet 2013, contre toute attente et sans autre forme d’explication, le régime de surveillance déployé chez moi et dans mon quartier leva le camp. En moins de cinq minutes, je me retrouvai sans aucune espèce de protection. La rumeur s’affola aussitôt sur les raisons profondes de ce ‘’revirement sécuritaire’’ qui laissa ainsi la voie à toutes sortes de coup monté…Avec le recul aujourd’hui, je me demande d’où j’ai pu avoir l’énergie nécessaire pour affronter, avec mes parents, cette attente lancinante et effroyable où le pire pourrait survenir à tout moment.
On nageait en pleine cacophonie. A la veille du départ précipité des forces de sécurité déployées dans ma maison, Mme Mèmouna KORA ZAKI LEADI, assurant l’intérim du Garde des Sceaux d’alors, m’envoie une correspondance en date du 15 juillet 2013 pour me demander de lui faire connaître « le nombre, le corps d’origine et l’identité des personnes de sécurité » à faire mettre à ma disposition aux fins de saisine de leurs autorités d’origine correspondantes. Par lettre en date du 18 juillet 2013, j’ai exprimé mes besoins relativement à ma sécurité personnelle et de celle de mon domicile. Rien n’y fit.
Dans une autre correspondance en date du 02 août 2013, le Garde des Sceaux me demande de saisir le Ministre de la Défense nationale ou le Ministre de l’Intérieur pour présenter mes besoins en sécurité. Par lettre datée du 06 août 2013, j’ai de nouveau saisi le Président de la République, alors Ministre de la Défense et ai fait ampliation au Ministre de l’Intérieur chargé de la Sécurité publique et au Garde des Sceaux.
Entre temps, j’ai eu droit à un garde du corps très peu équipé. J’ai sollicité en vain qu’il soit muni de son AKM. Non content d’accéder à ma requête, on retire au garde du corps son pistolet une semaine après sa prise de fonction. Le 10 octobre 2013, le garde du corps m’appela au téléphone pour m’annoncer qu’il a été muté à Porto-Novo sans autre forme d’explication. Aucune lettre officielle de notification et d’explication ne me sera adressée à ce propos. Et l’on ne m’enverra pas non plus un autre garde du corps. Je rappelle que pour la sécurité de mon domicile, mes démarches n’ont donné lieu à aucune réaction jusqu’à mon départ du Bénin.
Face à ce flou artistique volontairement chorégraphié par le gouvernement, j’ai dû organiser ma propre sécurité en faisant appel à des agents privés et à des parents disponibles pour garder mon domicile et faire le cordon autour de ma personne pendant mes déplacements.
Dame rumeur l’a dit et redit : c’était la situation d’insécurité idéale pour procéder à un enlèvement, une bavure policière ou un assassinat sur ma personne. Et il n’y a pas de jour où des proches du pouvoir, ulcérés par l’acharnement systématique contre moi, viennent me rapporter les scénarii en gestation. Contrairement à sa profession de foi criée urbi et orbi, le gouvernement ne s’est jamais véritablement préoccupé de ma sécurité.
Moi qui n’ai eu aucune formation en stratégie, j’étais obligé d’improviser et de compter sur les conseils avisés de proches. Je découchais deux à trois fois par semaine. Tout autant, je changeais de véhicule pour tromper la vigilance de mes poursuivants et du dispositif de surveillance. Je ne circule jamais seul. A bord de mon véhicule, il fallait s’entourer de trois hommes au minimum. Assurer ma propre sécurité, survivre au cercle infernal de filature et de surveillance dont je faisais l’objet ont lourdement pesé sur mes maigres économies. Mais baisser la garde aurait sans doute été fatal…
Et je me décidai à quitter cette géhenne
Souvent à la veille des audiences à Paris, le sentiment d’insécurité atteint son pic. C’était vrai en septembre 2013. C’était encore vrai en octobre 2013 avec des productions médiatiques tendancieuses destinées à saper mon moral et à discréditer les ordonnances de non lieu pourtant confirmées par la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Cotonou le 1er juillet 2013.
Depuis le 23 octobre 2013, date où le Procureur général a pris à Paris des réquisitions défavorables devant la Chambre d’instruction chargée de décider de l’extradition ou non de Patrice Talon, le cercle infernal de la persécution prit de l’ampleur : les filatures reprirent, les signes de fébrilité des agents de sécurité devinrent ostensibles, les rumeurs d’enlèvement, d’assassinat et même de bavure policière déguisée sur ma personne abondèrent et surabondèrent dans mes oreilles…
A chaque jour son lot d’informateurs et de consolateurs qui tous, proches du pouvoir ou non, m’invitaient à la vigilance et à la prudence. La tourmente physique, morale et psychologique installa peu à peu son rideau d’enfer. En sus des informations concordantes, les mouvements suspects et parfois maladroits des forces diligentées montrèrent clairement que ça allait sentir le roussi. Je sentais la fin à plein nez, surtout après l’information reçue et relative au coup fatal en préparation contre ma personne après le 04 décembre 2013 en cas d’une décision de rejet a Paris.
Il y a quelques jours, l’instinct de conservation a fini par prendre le dessus sur le devoir de résistance d’un père de famille qui, parce qu’il a pris le parti du droit et choisi le camp de la justice, a perdu tout contrôle sur sa vie et est confiné dans une surveillance militaro-policière aux allures de séquestration dans son propre domicile, dans son propre pays.
Qui n’aurait pas envie de quitter cet enfer éprouvé au quotidien pendant plus de six mois durant ? Comment s’accommoder de cette vie en sursis ? Lorsqu’on étouffe une fumée, elle cherche et trouve le chemin de la liberté. J’ai trouvé le mien dans l’exil. Pour la première fois depuis des semaines, je respire l’air pur de la liberté avec le profond sentiment d’avoir échappé à la traque de la filature, l’isolement physique et psychologique vécus comme une détention affreuse.
Je suis parfaitement conscient que mon exil n’est qu’un palliatif, un geste de désespoir qui ne règle pas le problème de fond, celui d’un juge qui a osé dire le droit contre un chef d’Etat en fonction dans un Bénin de réputation démocratique à la fois solide et fragile. Quoique maintenant couvert par une sécurité, je reste préoccupé par la sécurité de ma famille restée au pays et qui au demeurant, m’a vivement conseillé de partir pour que cessent les manœuvres attentatoires à ma vie.
J’ai rendu les deux ordonnances de non-lieu en affirmant mon indépendance vis-à-vis du pouvoir et de toutes les parties au procès. Je ne l’ai pas fait par bravade ou par désir d’entêtement, mais dans l’intérêt supérieur de l’indépendance d’un pouvoir, celui de la justice. Ayant rendu un service éminent à l’indépendance de la Maison Justice, je reste persuadé, convaincu et rassuré que les juridictions de mon pays continueront d’être le dernier rempart contre l’arbitraire.
C’est pourquoi, en ce moment de désarroi mêlé de fierté du devoir accompli, je voudrais prendre l’opinion publique nationale et internationale à témoin sur les dangers réels qui pèsent sur ma vie et celle de ma famille restée au pays. Au-delà de ma petite personne et de l’importance que représente, à mes yeux, la sécurité de ma famille, je souhaite que ce mémorandum soit le témoignage – s’il en est encore besoin – de la nécessité de protéger le juge béninois contre la toute puissance de l’Exécutif. « Les rapports entre le judiciaire et le politique expriment parfaitement le cercle vicieux », ont écrit Hubert Haenel et Marie-Anne Frison-Roche, Le juge et le Politique). Pour moi, le pouvoir exécutif peut se révéler très nocif à l’administration d’une justice indépendante. Les nations modernes sont celles qui ont réussi à faire de la justice un facteur de développement économique et de progrès social.
Fière chandelle à tous !
A présent, je voudrais rendre grâce pour tous les bienfaits du Tout-puissant ! Il m’a conduit dans les sentiers de la justice à cause de son Nom. Quand j’ai marché dans l’ombre de la mort, je n’ai point été ébranlé, car sa houlette et son bâton me rassuraient. En face de mes persécuteurs, il a oint ma tête d’huile de bénédictions et de sécurité ! Gloire à Lui !
Ensuite, je tiens à rendre un vibrant hommage au peuple béninois pour sa grande mobilisation autour de ma cause. Certains ont risqué leur vie, leur carrière, leur avenir politique. Je pense en occurrence à Martin ASSOGBA, qui a été victime le lundi 09 décembre dernier d’une tentative d’assassinat. Cette extraordinaire chaîne de solidarité visible ou invisible à laquelle se sont joints des gens à travers le monde est la seule chose qui m’ait ébranlé dans ce processus : cela m’a ému aux larmes !
Je tiens notamment à remercier l’Union Nationale des Magistrats du Bénin (UNAMAB) qui a fait de ma sécurité une revendication majeure, à travers ses assemblées générales et communiqués de presse consacrés à ma situation. Même à la prise de service de l’actuel Garde des Sceaux, Valentin DJENONTIN, l’UNAMAB, à travers la voix de son Président Michel ADJAKA, a inscrit ma sécurité au cœur de ses réclamations. Il en a été de même dans les motifs de la grève déclenchée depuis le mardi 03decembre 2013 par les magistrats. En vérité, le bureau a montré un bel exemple d’engagement. Au-delà des intérêts collectifs de la magistrature, c’est une lutte acharnée contre l’accaparement programmé de l’appareil judiciaire par le pouvoir exécutif, une lutte essentielle pour la préservation des acquis de la démocratie.
Que dire de tous mes collègues, hommes et femmes, aînés et jeunes, en fonction comme a la retraite, qui tous émus par le traitement avilissant dont j’ai été l’objet, se sont de diverses manières, indignés contre cette farouche volonté de domestiquer de la justice. Je pense surtout à certains collègues aînées qui se donnaient la peine de m’appeler pour avoir chaque fois de mes nouvelles relativement à ma sécurité. Je m’en voudrais de ne pas saluer votre combat discret, mais déterminant pour que la magistrature conserve sa dignité, sa noblesse et surtout sa crédibilité. Je voudrais vous inviter à garder le sens de l’effort dans cette résistance et cette mobilisation contre l’arbitraire et à continuer dans la sérénité à cueillir des lauriers pour faire fleurir notre maison commune, qui sous la forte pression politique, peut manquer de couleurs, celles du droit et de la justice. Car dans un pays où tout s’écroule, la magistrature doit rester debout et garder une veille permanente par rapport à toutes manœuvres de déstabilisation du pouvoir judiciaire.
Le Barreau, les Centrales syndicales, la Société civile, les Partis politiques, d’illustres personnalités au plan national, sous-régional et international m’ont apporté un soutien au-delà de mes espérances et de ma petite personne, montrant que le Bénin a conservé intacte sa capacité à s’insurger contre tout régime de terreur. Je suis fier d’appartenir à ce peuple qui, dans le dénuement qui est le nôtre, a une extraordinaire force d’indignation face aux réflexes totalitaires.
Ma reconnaissance va également à mes avocats conseils. D’abord et avant tout a Maître Alain OROUNLA pour son courage et sa détermination. A sa suite, Maîtres Prosper AHOUNOU et Hugues POGNON, ainsi que leurs confrères aînés, les bâtonniers Alfred POGNON, Jacques MIGAN et Gabriel DOSSOU pour leur engagement au-delà de leurs obligations professionnelles.
Je n’oublie pas mes frères et sœurs bien aimés, enfants de la veuve qui, ayant été touché par la séquestration et l’acharnement dont je fais l’objet de la part du régime en place, ont toujours eu de pensées positives envers moi dans la chaîne d’union. Que le Grand Architecte de l’Univers nous aide à tailler davantage notre pierre et qu’il nous rende plus fraternels.
Je remercie également la police newyorkaise, les agents du service de l’immigration américaine, ainsi que tous les Béninois qui sont venus me soutenir au centre de détention d’Elisabeth de New Jersey pendant les dix huit jours qu’a durée ma rétention.
Je n’oublie pas la presse. En effet, j’ai tout vu dans mon pays : la presse qui m’a vilipendé et m’a voué aux gémonies, a aussi porté ma voix inaudible en dénonçant les abus dont j’étais victime. Grâce aux lumières qu’elle avait dardés sur moi, les forces des ténèbres ont reculé à plusieurs reprises. La presse béninoise, malgré ses dérives et ses brebis galeuses dont certaines ont parfois subi le glaive de l’ODEM (Observatoire de déontologie et de l’Ethique dans les Médias) pour leurs travers contre moi, est l’une des fières chandelles de notre acquis démocratique.
Leçons de vie
Dans cette aventure, j’ai découvert, par ricochet, les méandres sordides de la politique, les liens pornographiques entre milieux politiques et cercles mafieux. Pour l’instant, j’attends de sortir du coma et de la commotion dans lesquels cela m’a plongé pour en parler un jour.
On m’a traité de tous les noms de mauvais oiseaux. Je retiens tout au début de ces deux procédures les critiques sur mon jeune âge et mon manque d’expérience. Je n’ai nullement ici l’intention de chapitrer qui que ce soit ni sur ma passion irrépressible pour le droit ni mes états de services universitaires où j’étais plus proche de l’excellence que de la médiocrité. Je rappelle que je suis sorti 3eme de l’école de la magistrature sur une promotion de 47. Je ne parle pas de mes six ans à la Cour Constitutionnelle où j’ai été initié à la recherche et à la rigueur dans l’analyse juridique.
Je tiens simplement à rappeler que depuis le Cid de Pierre Corneille au moins, on devrait savoir qu’il n’y a point de passerelle nécessaire entre la valeur, la compétence et le nombre des ans. Confucius nous apprend d’ailleurs opportunément que l’expérience est une lampe placée dans le dos : si elle éclaire le passé, elle n’illumine guère l’avenir. Et je conclus avec l’éminent juge d’instruction français Eric HALPHEN : « On ne se demande plus pourquoi on est là, on y est, on fait le travail pour lequel on est préparé. En une année et demie, on devient suffisamment juge dans sa tête pour l’être efficacement dans ses actes » (Sept ans de solitude).
Depuis le début de cette affaire, j’ai éprouvé la traîtrise, la trahison, l’ingratitude et les crocs de tant de gens. Mais quelle superbe récompense d’avoir pu compter en retour sur l’amitié, la fidélité et la sollicitude de tant d’autres. C’est à tous ceux qui, anonymes ou non, m’ont soutenu que je dois d’avoir survécu. D’autres ont payé de leur personne et de leur intelligence pour que je sorte enfin de l’ornière. D’autres encore ont été jetés en prison pour avoir commis le délit d’être trop proches de moi. Même l’adversité de ceux qui m’ont combattu m’a fortifié et grandi. J’en conclus fatalement que c’est ma destinée. Eva Joly a raison quand elle écrit : « le destin ne se laisse pas enfermer. Il frappe à votre porte sans prévenir, même lorsqu’il s’abat sur un juge d’instruction, un rouage anonyme de la vieille machine à instruire et à juger » (Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?).
Je retiens également et surtout les accusations trop faciles et saugrenues relatives à la corruption et aux pratiques de charlatanisme étalées par le gouvernement sur ma personne. Je retiens également la sortie maladroite de mon collègue Cyprien TCHIBOZO, président d’un certain syndicat. Il ne me semble pas opportun de répondre au gouvernement dont je considère les agissements comme la réaction normale d’un animal qui après avoir reçu un coup mortel ne peut s’empêcher de faire des soubresauts avant de mourir. Il en va de même de Cyprien TCHIBOZO a qui je ne veux répondre. En effet, je le considère comme le président d’un syndicat mort encrée de toute pièce par le gouvernement pour diviser, un syndicat composé d’au plus 7 magistrats trop peu courageux, trouillards et manipulables. Je considère donc pour cela les déclarations de mon collègue comme non avenue et donc sans importance.
En tout état de cause, l’histoire témoignera pour chacun et la toute petite portion de Béninois qui continue d’accorder quelque attention aux déclarations tapageuses et parfaitement infondées de mes détracteurs agonisants, saura bientôt le vrai visage de ceux qui nous dirigent.
Il est enfin important que le gouvernement retienne que la bouche qui dit la vérité, quand bien même vous coupez la tête qui la porte, il existera toujours une autre tête pour la porter. Le juge Angelo HOUSSOU a été contraint à l’exil. Mais dans la magistrature béninoise, il existe encore bien d’autres Angelo HOUSSOU pour dire non aux manœuvres d’instrumentalisation du pouvoir judiciaire par l’exécutif. Le courage du collègue Apollinaire DASSI, procureur de la République près le tribunal d’Abomey Calavi, est à ce titre illustratif. En effet, il vient de donner un bel exemple a suivre aux procureurs trouillards et garçons de course du gouvernement en montrant que même étant dans un lien de subordination hiérarchique par rapport au pouvoir exécutif, on peut bien rester totalement libre dans l’appréciation des procès verbaux d’enquête préliminaire surtout quand ceux-ci ont été montées de toute pièce par les officiers de Police Judiciaire.
Ferme confiance en l’avenir
Que chacun trouve ici le témoignage vivant de ma reconnaissance infinie ! Le combat est loin d’être terminé. Mon départ du Bénin n’est pas la fin de l’aventure. Je reviendrai très bientôt car dans ce Bénin, j’ai ma place à occuper, ma destinée à accomplir. En moins d’un mois en dehors du Bénin, tout me manque déjà. D’abord ma famille qui, sans faire de bruit, s’est offerte en holocauste, pendant le péril, en faisant un cordon de sécurité autour de moi. De jour comme de nuit, elle est là pour faire face au danger avec moi et pourvoir à mes besoins. Les âmes de mes enfants qui pour la plupart sont en très bas âge, pleurent. Le délibère de leur cri de détresse est assurément pour avril 2016.
Le pays aussi me manque : les bruits infernaux des courses inlassables de nos braves conducteurs de taxi moto que je salue au passage, les débats oiseux sur les faits divers politiques, etc.
Ce qui me manque le plus, c’est ce besoin réel quotidien qu’il y a à rendre justice, à dire le droit. Ma fonction de juge, en moins de trois ans d’expérience, m’a transformé et doté d’une écoute sensible face au Bénin majoritairement fait de petites gens éhontément abusés qui, sans aucun soutien susceptible de provenir du système politique partisan ou religieux, n’ont que la Justice pour dernier recours. C’est la raison pour laquelle je reviendrai même plus tôt qu’on le pense…Je reviendrai célébrer la fin d’un régime qui contraint un juge qui a dit le droit à l’exil, un régime qui de plus en plus s’illustre dans son incapacité pathologique à procéder a de nominations de magistrats qui respectent les règles essentielles qui gouvernent ce corps.
Aux enfants du Bénin debout, je veux dire qu’il urge de faire passer le temps de l’indignation pour agir sur les leviers démocratiques, rallumer les consciences et faire entrer le pays dans le cercle vertueux de la bonne gouvernance et du développement durable.
Et pourtant, il s’agit des affaires non lieu.
Merci à chacun et à tous !
« J’arrive à présent au pays des élans nouveaux »
Henri Michaux, Lieux de la planète bleue