Avis du Prof Adéloui et du Juriste Landry Adélakoun
Saisie d’une requête en date du 14 février 2022 par le Président de la Commission électorale nationale autonome (Céna) aux fins d’un avis sur la date légale des élections législatives de 2023, la Cour constitutionnelle a précisé, dans sa décision DCC 22-065 du 24 février 2022, que « les élections législatives se tiendront en cette année le 08 février 2023 ». La Cour ne s’est pas juste contentée de préciser la date des élections, elle a précisé dans son troisième considérant que « les députés à élire dans le cadre du scrutin du 08 janvier 2023 entreront en fonction le 12 février 2023 ».
Après le vote du Code électoral en 2019, des députés s’étaient rapprochés de la Cour aux fins de se faire interpréter la loi qu’ils ont eux-mêmes votée. La décision de la Cour en son temps, ajoutée à celle qui fixe la date des Législatives de 2023, fait naître chez des Béninois le sentiment que la Cour s’écarte de ses prérogatives. Leur argumentaire repose sur les dispositions de l’article 114 de la Constitution : « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ».
Rapproché afin d’avoir un avis technique sur la question, le Professeur Arsène-Joël Adéloui de la Faculté de Droit et Science Politique de l’Université d’Abomey Calavi et Directeur de l’Ecole doctorale pense que la Cour peut jouer le rôle d’interprète de la Constitution ou de tout texte et actes a lui soumis. A la question de savoir si fixer la date exacte des élections n’est pas exagérée, du fait que cela enlève au chef de l’Etat sa prérogative de convocation du corps électoral, le Prof Adeloui affirme que la Cour a réagi sur saisine de la Céna et que son pouvoir d’interprétation des textes de loi élargit ses compétences.
Pour le Juriste-Expert en décryptage des textes électoraux Landry Angelo Adélakoun, la question de l’irruption de la Cour constitutionnelle sur le terrain du pouvoir constituant dérivé ou encore du législateur béninois de 2019 est pertinente et légitime. A ses dires, la Cour constitutionnelle n’est pas seulement compétente en matière de violation des droits fondamentaux de la personne humaine ou de constitutionnalité des lois ou actes règlementaires. « Elle est aussi compétente pour statuer obligatoirement sur la régularité de l’élection du duo Président de la République et vice-président de la République. Elle examine les réclamations, statue sur les irrégularités qu’elle aurait pu, par elle-même, constater et proclame les résultats du scrutin, statue sur la régularité du référendum et en proclame les résultats. Parlant des élections législatives, la Haute Juridiction statue sur leur régularité », a-t-il laissé entendre. De ce fait donc, la lecture combinée de ces prévisions des articles 3 ; 114 ; 117 et 119 de la Constitution, sur le champ de compétence de la Cour, permettent de faire remarquer, dans un premier temps, que la requête du Président de la Céna aux fins d’avis technique sur la date des élections et par ricochet l’interprétation des dispositions constitutionnelles et législatives ne pouvaient qu’être déclarées irrecevables, ce qui n’aurait pas été le cas si elle était l’œuvre du Président de la République comme précisé à l’article 119 de la Constitution et 51 du règlement intérieur sur la Cour constitutionnelle, affirme le Juriste Landry Adelakoun. Pour lui, du fait que les élections législatives permettent le renouvellement et l’installation d’une nouvelle mandature de l’Assemblée nationale qui est un organe de la République qui plus est le pouvoir législatif, l’imprécision de la Constitution et du Code électoral sur la date des prochaines législatives pourrait porter un coup au fonctionnement régulier des institutions de la République. C’est donc pour éviter ce blocage qu’en se fondant sur son rôle d’« organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » que la Haute Juridiction, après avoir déclaré irrecevable la requête du Président de la Commission nationale électorale autonome, s’est prononcée d’office sur la préoccupation qui lui a été soumise. Elle a alors, après avoir combiné les articles 157-3 de la Constitution, 7 et 147 aliné1 de la loi n°2019-43 du 15 novembre 2019 portant Code électoral, trouvé réponse à la difficulté soulevée. Elle est donc restée dans son champ de compétence pour régler la difficulté, soutient le Juriste-Expert en décryptage des textes électoraux.
Légèreté dans le vote des lois
Bien que reconnaissant que la Cour constitutionnelle reste le seul rempart face à l’imprécision de la Constitution et le Code électoral sur les élections législatives prochaines, Landry Adelakoun déplore la légèreté avec laquelle les lois touchant à la vie de la nation sont adoptées depuis quelques années. A l’entendre, la Cour ne serait pas contrainte d’aller jusqu’à fixer la date des élections législatives si le constituant était précis. « Certes, la loi ne peut tout prévoir, mais elle doit prévoir le minimum. Si le constituant a pu être précis sur les élections présidentielles de 2021 et celles d’après 2023, il pouvait l’être pour celles de 2023 également », a-t-il laissé entendre. Le Juriste espère tout de même qu’avec le nouveau parlement qui sera installé le 12 février 2023, les lois ne soient plus des réceptacles de dispositions imprécises, floues, car la transparence et l’intégrité dans les élections commencent par l’adoption des lois électorales claires et qui limitent au maximum le recours à des interprétations parfois tendancieuses voire incendiaires.