Contestation de la tutelle du Ministère de la santé par l’Ordre des pharmaciens : « C’est une grave méconnaissance des textes… », selon le Pr Frédéric Loko
Depuis plusieurs mois, le Ministère de la santé et l’Ordre national des pharmaciens du Bénin (Onpb) ne parlent plus le même langage. A l’origine de ces divergences, la contestation par l’Ordre de la tutelle du ministère de la Santé. La répétition étant pédagogique, le Pr Frédéric Loko revient au devant de la scène pour repréciser les liens qui régissent les rapports entre l’Ordre des pharmaciens et le ministère de la santé.
Monsieur le directeur, l’Ordre des pharmaciens conteste toujours la tutelle du ministère de la santé. En tant que directeur des pharmacies donc en lien direct avec l’ordre, pouvez-vous nous expliquer ce qu’on entend par tutelle ?
En droit administratif, selon le Lexique des termes juridiques, la tutelle est un contrôle exercé par l’Etat sur des structures de droit public ou de droit privé dans le but de sauvegarder la légalité et l’intérêt général. La tutelle est toujours assurée par une autorité publique, c’est-à-dire une structure ou une autorité représentant l’Etat ou exerçant un pouvoir déconcentré de l’Etat.
Il y a lieu d’éviter de confondre le pouvoir de tutelle avec le pouvoir hiérarchique. En effet, le pouvoir hiérarchique est exercé par une autorité publique sur une structure ou sur une autre autorité qui lui est subordonnée et à qui l’autorité hiérarchique donne des ordres. En matière d’exercice du pouvoir hiérarchique, l’autorité hiérarchique possède à l’égard des actes du subordonné, les pouvoirs les plus larges pour les reformer, les annuler ou apprécier leur opportunité sans que sa décision ne puisse être attaquée devant une juridiction administrative sauf en cas de violation de la légalité.
Mais plus flexible que le pouvoir hiérarchique, le pouvoir de tutelle permet à l’autorité d’obliger la structure sous tutelle à respecter la légalité et à préserver l’intérêt général dans tous les actes de participation à la gestion du service public.
Concrètement, en quoi consiste la tutelle ?
Elle consiste pour l’autorité de tutelle à contrôler la conformité à la légalité, des actes posés par les structures sous tutelle, ainsi que la sauvegarde de l’intérêt général. Ainsi, les actes posés par les ordres professionnels de la santé étant des actes de participation à la gestion de service public, ils sont systématiquement soumis au contrôle de la légalité et à la vérification du respect de l’intérêt général, toutes choses qui relèvent des compétences du pouvoir exécutif dont le ministre de la santé exerce la branche sanitaire.
Mieux, lorsqu’on sait que selon l’article 41 de la Constitution, « le président de la République est le garant de la Constitution, des traités et accords internationaux », on comprend aisément que toutes les structures n’ayant pas le statut d’institutions de la République et qui participent à la gestion d’un service public comme les ordres professionnels de la santé sont systématiquement soumises à un contrôle de tutelle exercé par le ministère sectoriel concerné. Dans le cas d’espèce, il s’agit du ministère de la santé.
A cet effet, le président de la République a délégué au ministre de la santé son pouvoir de tutelle sur les ordres professionnels de la santé à travers le décret no 2012-272 du 13 août 2012. Aussi, l’article 1er de ce décret dispose : « le ministère de la santé a pour mission, la conception, la mise en œuvre et le suivi-évaluation de la politique de l’Etat en matière de santé, conformément aux lois et règlements en vigueur au Bénin et aux visions et politiques de développement du Gouvernement... »
Dans le cadre des ordres, sommes-nous dans le schéma d’un pouvoir de tutelle ou d’un pouvoir hiérarchique ?
Les ordres professionnels de santé exercent une mission de santé publique. Aussi, l’ordonnance 73-38 du 21 avril 1973 portant création et organisation des Ordres des médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes et des sages- femmes définit leur mission ainsi qu’il suit : « ces ordres veillent au maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement indispensable à l’exercice de la médecine, de la pharmacie, de l’art dentaire et de la profession de sage-femme et à l’observation par tous leurs membres des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie. Ils assurent la défense de l’honneur et de l’indépendance des professions respectives… ».
Il résulte de ces dispositions que les Ordres professionnels de santé participent à la mission de santé publique à travers leur implication dans la gestion des activités des sous-secteurs de la médecine, de la pharmacie, de l’art dentaire et des accouchements. Ce faisant, les Ordres professionnels de la santé, dont l’Ordre des pharmaciens, participent à la gestion du service public.
Pour assurer le respect du principe de la moralité, de la probité et l’observance des devoirs professionnels conformément aux dispositions législatives et réglementaires dont les règles édictées dans les codes de déontologie, les Ordres donnent leur avis sur les dossiers de demande d’autorisation d’exercice en clientèle privée et d’ouverture ou d’exploitation des établissements sanitaires. Mais les missions des Ordres comportent des limites légales ou réglementaires à savoir que :
- leurs actes doivent être conformes à la Constitution et à la légalité ;
- les Ordres de santé n’ont pas le pouvoir réglementaire, c’est-à-dire que l’édiction des lois, des décrets et arrêtés ne relève pas de leur compétence, car c’est le Président de la République qui exerce le pouvoir réglementaire (article 54 de la Constitution). Les Ordres doivent simplement exécuter leur mission comme rappelée ci-dessus en respectant les lois et règlements de la République. Il s’agit donc d’un pouvoir de tutelle, qu’en tant que délégataire de la branche sanitaire des attributions du chef de l’Etat, le ministre de la santé exerce sur les Ordres professionnels de la santé.
L’Ordre des pharmaciens se considère comme une institution. Sur quoi se base le ministère de la santé pour contester cela ?
Les dispositions de la Constitution du 11 décembre 1990 contenues dans les articles 41 à 143 définissent les Institutions de la République et leur mission. Or, ces dispositions ne citent nulle part, les Ordres professionnels de la santé comme étant des Institutions. C’est le lieu de préciser que toute structure, qui n’est pas constitutionnellement consacrée comme étant une institution de la République et qui participe à la gestion du service public est systématiquement placée sous la tutelle du pouvoir exécutif.
En effet, n’étant pas des institutions de la République et participant, de par leur mission de santé publique, à la gestion du service public, les Ordres sont chargés d’exercer une partie des attributions du pouvoir exécutif dont le seul détenteur est le président de la République.
C’est ce que confirme l’article 54 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui dispose « le président de la République est le détenteur du pouvoir exécutif. Il est le chef du Gouvernement et à ce titre il détermine et conduit la politique de la Nation. Il exerce le pouvoir réglementaire. Il dispose de l’Administration… »
Le ministre de la santé étant investi d’une délégation de pouvoir du président de la République pour veiller, dans le domaine de la santé, à la sauvegarde de l’intérêt général, à travers des Ordres professionnels de santé, aux lois et règlements de la République, ces ordres sont par conséquent placés sous sa tutelle.
Dire donc que l’Ordre des pharmaciens est une institution est une grave méconnaissance des dispositions légales en vigueur dans notre pays. Notre devoir, c’est aussi d’expliquer cela à ces Ordres en leur apportant la vérité qu’ils feignent d’ignorer.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU
Moïse DOSSOUMOU