La religion Azaël révélée aux Béninois voire au monde le 29 janvier 2022 à la faveur d’un affrontement mortel entre fidèles et police républicaine, à Monkpa, était-elle aussi inconnue des autorités locales ? Comment s’est-elle installée à Agouégouédji dans la commune de Savalou, département des Collines ? Qui en étaient les fidèles ? Que retenir du pasteur fondateur? Qu’en est-il de cette histoire de prophétie sur la fin du monde ? Ce sont autant d’éléments qui constituent la charpente de cette deuxième et dernière partie de l’enquête « Sur les traces de l’Eglise Azaël », co-conduite sur le terrain par votre journal Matin Libre et la web radio Crystal News, et dont la première partie a été publiée dans la parution du vendredi 11 mars 2022 et sur le site www.matinlibre.com
L’église ou la religion Azaël est née des entrailles du Christianisme céleste. Avant qu’il ne crée, entre 2011 et 2012, sa propre église après un séjour au Nigeria, Mesmin Kpodékon et certains de ses frères coreligionnaires étaient ancrés dans le christianisme céleste à Logozohè (Savalou). Et c’est à la suite d’une brouille qu’intervint la dissidence. Selon un des frères du pasteur fondateur, qui a préféré l’anonymat, le nom donné à la religion est « Azaël La lumière ». A ses débuts, se souvient-il, « l’église était implantée un peu partout dans les Collines : Dassa-Zoumè, Aklamkpa, Savalou, Laman, Lahotan ». A Monkpa, le pasteur a d’abord squatté la maison familiale (de son feu père) avant d’aller prendre ses quartiers, en 2014, dans la ferme Agouégouédji, dans une plantation d’anacardiers clairsemée de plus de 10 ha dont il a aménagé une partie pour la cause. Visiblement, ce n’était pas une décision sur un coup de tête : « En 2014 il fit une révélation. Et dans la révélation, il a dit que quelque chose s’est abattu sur le monde et les gens mourraient par milliers et que la seule condition pour y échapper est que les gens se rassemblent quelque part pour prier », renseigne le frère. Ce récit ne serait rien d’autre que la genèse de l’histoire de « la fin du monde » (…) avec pour besoin ultime de vider leurs avoirs et de se départir de tous biens de toutes natures avant l’avènement de ladite fin du monde » dont a fait cas la police républicaine dans sa déclaration du 30 janvier au sujet de l’événement malheureux. « Oui, on nous enseignait qu’il y aura la fin du monde. Il y a longtemps que cette prophétie a été faite. Je dirai que c’est cela même l’objet de l’église », affirme Romaric Hèkponhoué, 18 ans, neveu du pasteur, élève en classe de Seconde, qui, faute de temps, a dû abandonner à un moment donné l’église pour ses études. Sur le terrain, à suivre les différents avis, seul le pasteur pourrait avoir une explication sans équivoque du concept. Charlotte Kpodékon, jeune sœur du pasteur et fidèle de l’église livre ici sa version : « Depuis 2014 il avait parlé de la fin du monde mais ce n’est pas que les gens vont périr mais pour qu’on s’arme contre les différentes maladies, épidémies qui envahissent le monde. Donc qu’on se réunisse en un lieu fixe pour prier afin que le pire n’arrive.
Il a dit si les gens ont envie de vendre de leurs biens qu’ils le fassent pour subvenir à leurs besoins une fois au lieu de regroupement ». Son frère qui a requis l’anonymat jure quant à lui : « Lorsque le pasteur a dit ça, les gens ont commencé par vendre leurs biens parce qu’ils se disaient une fois au lieu de regroupement il faut qu’ils aient de quoi manger. Sinon le pasteur n’a jamais dit à quelqu’un d’aller vendre ses biens. Je suis un homme de Dieu, je n’ai aucun intérêt à mentir. Il n’a non plus prophétisé la fin du monde mais un événement malheureux qui va dévaster le monde ». Observateur, Génial, un jeune de Monkpa a également suivi de loin l’évolution de cette religion : « Il fut un jour, il dit que le monde va finir. Il a même donné une date pour ça. Et comme ça ne s’est plus réalisé tout le monde a compris que c’est n’importe quoi. C’est comme ça les gens ont commencé par critiquer la religion. Sinon il avait pris ça au sérieux, il prédisait la fin du monde et les gens quittaient les villages voisins pour venir et leur concession était remplie parce qu’il disait que seuls ceux qui sont sous son règne ne vont pas périr. Et comme le monde est toujours monde jusqu’à aujourd’hui, les gens ne le considèrent plus ». Le frère de Mesmin Kpodékon qui a témoigné sous anonymat a reconnu qu’entre temps, l’effectif des fidèles a chuté : « De 2014 à 2015 il y a eu des démissions comme l’événement ne s’est plus produit. Mais d’autres sont restés ».
Que savoir de l’église Azael ?
Avant que le site ne brûle suite à l’intervention musclée de la police ce samedi 29 janvier, entre cent et cent-cinquante fidèles y étaient régulièrement présents. En dehors de Monkpa, « les fidèles viennent de Gobada, Tchetti, Lahotan, Ouèdèmè, Aklamkpa », des localités voisines de la Commune de Savalou, nous dit Romaric Hèkponhoué. Ces fidèles, des deux sexes, sont des enfants, des jeunes et des vieillards (0 à 90 voire 100 ans). Dans le village, ils se distinguent par leur look : leur accoutrement et leur chevelure. Pieds nus, ils ne se coiffent pas et sont, pour la plupart, dans leur boubous cousu avec un tissu s’apparentant à du satin couleur rose et des bandes jaunes par endroits. C’est une évidence que c’est Jésus-Christ qu’ils adorent puisque même si des motos, les habitations construites en matériaux précaires et d’autres objets ont brûlé sur le site, on peut y retrouver encore saine et sauve, une longue croix en bois cimentée au sol sur laquelle est fixée une représentation en miniature et en aluminium de Jésus-Christ. Certes, entre temps des fidèles sont partis. Mais d’autres sont restés depuis des années. Notre interlocuteur qui a requis l’anonymat explique cette fidélité à la religion Azael par le fait que « le pasteur faisait beaucoup de social. Il aidait beaucoup le village sur le plan financier et spirituel. Des gens qui sont malades et qui y vont trouvent guérison, des gens qui ont besoin d’enfant en trouvent ». Même Génial confesse que le pasteur « a des forces spirituelles qu’il utilise et chaque fois il démontre des choses ». Le maire de Savalou, Dèlidji Houindi ne dira pas le contraire : « Au départ il guérissait les gens. D’abord s’il ne guérissait pas, s’il ne faisait pas de miracle, il n’aurait pas du monde. Il y a des femmes qui sont allées là parce qu’elles sont à la recherche d’enfants et qui en ont effectivement eus. Des gens ont été là parce qu’ils sont malades et ils ont trouvé guérison. Donc chacun est parti là-bas avec son histoire et c’est peut-être là-bas qu’il a trouvé solution à son problème. Quoiqu’on dise ils ont une puissance et ils rendaient de service à la communauté ». Romaric Hèkponhoué en sait quelque chose. « Avant, le pasteur faisait des cultes comme chez les célestes et puis il guérissait des malades, des fous. Là, les gens sont obligés de rester après guérison ou satisfaction. Il y a des gens qui viennent de Cotonou, contactent le pasteur depuis l’Amérique… ». Et ce don de ‘’vision’’ et de guérison, pour les informations dont nous disposons, la nature à fait grâce à la famille Kpodékon, beaucoup de garçons de la famille l’ont. Place maintenant aux témoignages sur les motivations de quelques-uns des fidèles à avoir choisi Azaël et à y rester : « J’allais aussi sur le site là-bas parce que c’est mon oncle le pasteur qui avait sauvé ma petite sœur. Et c’est la raison qui a poussé mon père à être un fidèle de cette église », affirme Romaric. Charlotte Kpodékon nous a aussi confié que c’est la quête d’avoir la guérison qui l’a poussée à rejoindre son grand-frère sur site. Sinon qu’elle était Maîtresse à la Maternelle, ce qu’elle n’a pu exercer « à cause de beaucoup de maladies ». Originaire de Logozohè, le vieux Benoît Dossou, qui, avec sa femme, a rejoint le site depuis l’appel au rassemblement de 2014 nous a raconté ses déboires qu’il lie à la sorcellerie. Lui qui était nanti, propriétaire d’une boulangerie, d’un moulin, d’une scierie…, il a fallu qu’il entame une construction au village pour que ses problèmes commencent. Il y a même perdu un enfant et tout son argent. A la recherche de la guérison, il est allé à plusieurs endroits sans obtenir soulagement. C’est ainsi qu’ayant entendu parler du perdu, un autre enfant à lui l’a conduit dans la ferme à Monkpa. Il se réjouit que depuis qu’il est dans les mains du pasteur Kpodékon sur le site, lui qui vomissait presque deux litres de sang et devrait en mourir, il est sorti d’affaire. C’est comme cela qu’il a décidé d’y rester. En dehors de ces fidèles que nous voudrions bien qualifier de citoyens lambda, d’autres acteurs et personnalités politiques défilent également à Agouégouédji chez le pasteur, qui pour solliciter son soutien spirituel, qui pour négocier son « grenier » d’électeurs, fidèles du site lors joutes électorales. Le commissariat de Monkpa ne manquait pas aussi de s’y rendre. Peut-être pas pour des visées spirituelles, mais pour les informations que nous avons eues sur place, avant ce samedi noir, elle faisait souvent des descentes sur le site, y passait quelques moments, échangeait avec le pasteur fondateur. Il semble que ce n’est pas informel puisque ces déplacements ont été mis ça sur le compte des « visites de secteur » qui se feraient également avec d’autres structures étatiques déconcentrés, selon nos sources. Le maire Dêlidji Houindo lui aussi connaît bien l’église Azael : « C’est des gens qui ne sont pas étrangers à moi. Je les connaissais, j’ai été aussi sur le site, ils me connaissent, je les connais aussi (…) Ils restent dans leur campement là-bas.
Ils ne viennent pas tous au village, c’est seulement les hommes qui viennent chercher de l’eau au village. Les hommes sont très fréquents au village mais les petits enfants sont très rares, ils ont peut-être leurs raisons. Donc régulièrement on voyait les hommes venir chercher de l’eau pour leur campement. Je sais qu’il y a un atelier de mécanique dirigé par un des fidèles et l’atelier est au chef-lieu de l’arrondissement de Monkpa. A part cela je ne saurais témoigner de rien d’autre ».
L’église Azael a-t-elle une existence légale ?
C’est vrai que nous aurions pu pousser loin notre curiosité en interrogeant les archives du ministère de l’intérieur, de la sécurité publique et des cultes pour confirmer ou infirmer une existence légale de l’église Azael. Mais protocole administratif oblige, nous nous sommes abstenus d’aller sur cette piste qui pourrait nous engager dans un labyrinthe. Ce qui paraît essentiel de retenir ici est que même s’il s’avérait que cette religion n’a pas une existence légale, elle n’a tout de même pas opéré dans la clandestinité et n’est pas restée inconnue des services étatiques. Sauf que là aussi, on n’a jamais pensé à une telle vérification d’autorisation. Ni la police, ni la mairie ne l’avaient fait avant l’inoubliable date du 29 janvier 2022. Ça, nous en avons eu la certitude sur place. « Ah non ! Je n’ai jamais vérifié, je n’ai pas eu cette présence d’esprit pour vérifier si l’église a une existence légale puisque l’église existait dix ans, quinze ans avant que je ne sois maire (…). Sinon par le passé, aucun contrôle sérieux ne se faisait ». Cependant, sans être péremptoire, le frère du pasteur qui a requis l’anonymat situe : « l’église a été enregistrée d’après ce que m’a dit le pasteur. Je ne me suis plus très bien rappelé parce que ça a pris un peu de temps lorsqu’il est allé déposer les dossiers. Il nous avait montré des documents, mais je parle au bénéfice du doute ». Hervé Kpodékon Azifan vivant aux Etats-Unis, lui aussi reste prudent : « je me rappelle bien qu’il courait pour ça et je l’avais aidé financièrement. Je ne me rappelle plus l’année. (…) Je n’ai pas vu le certificat mais je crois qu’il en avait un ». Le ministère des cultes pourrait mieux situer.
Des « fidèles drogués, violents et pilleurs de récoltes d’autrui » ?
La police a déclaré que les fidèles « étaient donc autorisés par leur gourou, à saccager les récoltes des populations, détruire les biens de leurs voisins puis commettre tous actes répréhensibles au motif qu’ils en ont reçu l’inspiration et l’autorisation du Saint Esprit ». Quelle perception la population a de ces fidèles qualifiés également de « drogués et violents » ? « (…) avec le temps, le comportement a changé. Ils ne veulent plus digérer la population et quand ils viennent puiser de l’eau, parce qu’ils sont allés s’installer dans une brousse à quelques deux kilomètres de Monkpa, si vous les regardez, parce que c’est des gens qui se présentent comme un spectacle, ils ont de cheveux touffus, de barbe et si vous les regardez c’est que pour eux vous les avez agressés. Donc il y a souvent de rivalités avec la population », décrit Génial, jeune de Monkpa. Dans sa description, il ajoute : « J’étais parti au Centre social où on a hébergé les 60, si vous les entendez parler, vous aurez envie de rire seulement que ce n’est pas bien. Ils ont instauré leur propre langue et quand on veut se saluer il paraît que c’est » djaouras » quelque chose du genre ». Il semble que cette façon de les regarder différemment, de les stigmatiser, parfois avec raillerie, fâche. Cela transparaît d’ailleurs dans les propos du nonagénaire Benoît Dossou qui raconte : « Moi comme je suis d’un certain âge, le pasteur n’aime pas que j’aille loin du site. Mais souvent quand les autres fidèles passent, des habitants de Monkpa les injurient. Moi-même quelqu’un que je connais très bien m’a lancé des injures. Un certain Romain a fait pareil. Ils me traitent de lâche et que j’ai vendu mes biens pour venir suivre un pasteur que je peux mettre au monde. Mais le pasteur nous a toujours dit de ne pas chercher à répondre à ces provocations. Étant notre guide, on suit ses conseils ». Pour ce qui serait de la création de leur propre langue, en tout cas sur les près de 60 minutes passées au centre d’accueil où il y a les 63 fidèles rescapés, nous ne les avons entendu s’exprimer que dans la langue Mahi du milieu. Mieux, sur une ancienne vidéo prise sur le site et que nous avons visualisée, nous c’est le même Mahi qui y était parlé. A en croire Charlotte Kpodékon, ce n’est pas de l’invention d’une langue qu’il s’agit. Mais c’est parfois dans la transmission des messages que t’envoie l’Esprit Saint que tu es obligé d’emprunter la langue du messager pour rester fidèle au message à décoder et à transmettre. Le même Génial soutient que les fidèles du pasteur Awignan sont violents : « C’est parce qu’ils sont violents que la population ne les aime pas. Sinon quand la police s’est portée vers eux, la population devrait être de leur côté, aller à leur secours. (…) Selon ma petite pensée, comme ils sont en grand nombre, le pasteur n’arrive pas à nourrir tout le monde. Donc ils sont obligés de passer de champ en champ pour piller et satisfaire leurs besoins alimentaires. Quand ils ont commencé à venir faire du bruit dans le village, les gens les convoquent et on ne sait comment le commissariat gère la chose avec eux et ça ne donne rien. Même si on les convoque, ça n’a pas d’effet ». Romaric Hèkponhoué ne se souvient pas avoir reçu des consignes particulières du pasteur. Il laisse entendre : « Mais je n’ai jamais appris qu’il nous ait dit d’aller piller les champs des autres. C’est des bla-bla. Ceux qui disent des choses pareilles ce sont des gens qui n’aiment pas voir les cheveux sur la tête des fidèles parce qu’ils disent que c’est broussailleux, sales. Les personnes sont là-bas, vous ne les avez jamais attrapés. Jusqu’ici je n’ai jamais appris qu’on a arrêté un des fidèles en train de voler les récoltes de quelqu’un et qu’il a été emmené au commissariat. Le comble, ceux qui n’ont pas de champ aussi accusent de vol les fidèles de l’église ». Il confie que l’église a de petits champs et mieux, le pasteur fait des engrais bio et ces produits sont vendus. « Il y a parmi les fidèles des gens qui sont des mécaniciens, tailleurs, eux autres travaillent. Ceux qui ont de métiers, ils vont et viennent. Ceux qui n’ont pas de métiers eux autres sont là en permanence mais parfois ils se lèvent pour aller travailler dans le champ. Par exemple mon père lui, il n’avait pas de métier. Il avait appris la maçonnerie, il sait faire photo, c’est un photographe. Comme il est venu là-bas, il n’exerce plus. Mais il était chargé de la production du charbon sur le site. Il négocie les arbres dans les champs et quand il fait le charbon, il partage ça avec les propriétaires du champ. C’est comme ça qu’il parvenait à nourrir la famille. D’autres fidèles vont faire de petits jobs aussi pour les gens du village. Voilà les principales sources de revenus qui servent à nourrir les fidèles », a ajouté Romaric. Charlotte donne ici la preuve que sur le site elle ne reste pas les bras de croisés : « Après j’ai commencé par vendre du riz, du maïs, les divers sur le site. Le jour de marché, je vais acheter et je reviens ». Et pourtant le roi de Monkpa se souvient qu’il a été sur le site se plaindre au pasteur pour ces cas de vol : « J’ai été là deux fois pour intervenir pour des cas de vol dans les champs de ceux qui sont à côté d’eux. Moi, ils sont venus dans ma ferme arracher de l’arachide. Et j’ai reçu une autre plainte concernant du manioc je ne sais pas s’ils ont mangé ou pas. C’est ça qui m’a poussé à rencontrer le responsable. Et quand je l’ai rencontré, il m’a reçu en me disant » d’accord Dah. J’ai entendu, il n’y aura plus ça ». Mais ça fait un moment ». Lorsque le cas du roi a été posé à ces fidèles déplacés, cela a suscité une levée de boucliers sans qu’ils ne se concertent. « Ce sont des racontars. Ceux qui le disent pourquoi n’arrêtent-ils jamais un fidèle pour vol? Le commissaire est venu chez nous mais il n’a pas pu nous dire si quelqu’un a pu être attrapé par les plaignants. Et depuis toujours, tous les vols signalés, ce sont les fidèles du pasteur », interroge Charlotte. Elle poursuit : « Dans notre champ, nous faisons du riz, du mais, le haricot. On a 21 ha de cajou mais comment allez ramasser les noix de cajou de quelqu’un qui n’a pas 1ha? C’est de l’opprobre jeté sur nous par la haine ». Charlotte va renchérir : « Les bois de chauffe sur notre site, ceux qui ont des champs qui nous entourent viennent pourtant en chercher. Quand ils viennent parfois pour en chercher et que nous devons nous opposer, c’est le même pasteur qui nous demande de les laisser. Mais une fois que c’est fini chez nous et que nous devons aller en chercher chez eux en retour, les problèmes surviennent. Et le pasteur leur dit et pourtant vous veniez chercher chez moi ici. Nous sommes pourtant les mêmes dans le village ». Le frère du pasteur qui a requis l’anonymat rappelle néanmoins « qu’il y a de cela quelques années, des fidèles sont allés chercher des mangues, mais quand bien même dans le village les mangues c’est pour tout le monde, ils ont été sérieusement sanctionnés dans l’église. Mais dans le village et aux environs du site, il y a des gens qui ne nous regardent pas d’un bon œil, ils ne veulent pas du tout qu’on mette pied dans leurs champs. Il y a ces menaces mais le pasteur ne peut jamais dire à ses fidèles d’aller voler ». Il profite pour citer autant d’interdits alimentaires aux fidèles sur le site. Entre autres : l’igname, le manioc, l’huile rouge, la viande, le piment ; le gombo… D’où il s’étonne que malgré ces interdits qu’on pointe du doigt les fidèles de Azael comme étant des pilleurs de champs d’autrui. « Dans l’église, le vol est proscrit. Si tu voles, on te chicotte ou on te punit, que tu sois petit ou grand. De même, on ne doit pas se chamailler sur le site. Quand les gens nous accusent de vol, quel fidèle d’ Awignan a-t-on une fois arrêté et conduit à la Brigade ? Vous n’entendrez aucun nom », lance Benoît Dossou. Quant aux accusations de vol dont font l’objet les fidèles, il pense au contraire ce sont eux sur le site qui arrêtent des voleurs et signalent aux propriétaires des champs mitoyens. « Le nommé Lètèfè, c’est deux fois que nous avons arrêté de voleurs dans son champ de cajou et nous l’avons appelé au téléphone pour le lui dire. Et il vient les voir. Il y a également un fils du nommé Sindémin que nous avons arrêté sur notre site ici en train de ramasser nos noix de cajou. Conduit chez le pasteur, il nous a interdit de lui faire quoi que ce soit. En retour, le pasteur nous a plutôt remis la somme de 10.000 F à lui remettre pour qu’il aille s’acheter une machette et une houe afin qu’il se lance dans le labour pour se faire un peu d’argent et pouvoir subvenir à ses besoins », relate le nonagénaire. Au tour de la première autorité communale de Savalou de dire sa perception de l’église et de ses fidèles : « C’est une église qui est sur le territoire il y a plus de dix ans. Ces pratiques qu’on leur reproche aujourd’hui, je ne saurais dire que j’ai été mis au courant. Même jusqu’à ce que la police n’aille sur le terrain. C’est quand il y a eu affrontement avec des dégâts que j’ai été informé par le préfet que quelque chose se passe sur mon territoire. Ce qui est arrivé est un accident. Cette violence à laquelle nous avons assistée a été inédite dans l’histoire de leur existence. Ils ne sont pas pour autant mauvais, méchants, sauvages qu’on le pense. Personnellement je n’ai pas reçu de plaintes ». Pour conclure, Bertin Assogba, Directeur Exécutif de l’Ong Repère et développement durable dit être foncièrement contre l’extrémisme religieux et le pillage des champs d’autrui. « Mais là où je ne suis pas très d’accord, j’ai vu des soulèvements dans d’autres pays contre la police et on a pu les maîtriser. La police peut avoir d’autres moyens au-delà des tirs nourris qui ont conduit à la mort. Je condamne l’assassinat de policiers. Mais le pire criminel peut devenir ou devient parfois la meilleure personne qu’on pourrait obtenir dans une société. Mais, le fait qu’on ait abattu ces fidèles et leurs corps brûlés, est-ce que ça a permis de résoudre le problème. Certes, je suis d’accord qu’on ferme une fois pour de bon cette religion qui peut-être prône la violence. Mais est-ce que c’était la meilleure manière de résoudre le problème ? Je ne crois pas », se désole l’acteur de la société civile.
Qui est le pasteur » Awignan » ?
Àgé de 43 ans, Mesmin Kpodékon (photo) a une dizaine d’enfants (des deux sexes) de cinq femmes. Lui-même est d’une fratrie de 18 dont 10 de sa maman aujourd’hui affaiblie, se trouvant parmi les 63 survivants de l’événement malheureux, en résidence surveillée au » Centre d’accueil » de Savalou. Mesmin a été à l’école jusqu’au premier cycle au cours secondaire où il a raccroché en 4è ou 3è. Avant d’être pasteur fondateur de Azael La lumière, il aurait en plus fait des études bibliques. « Son surnom, son nom de la religion c’est »awignan » », informe Génial. On peut donc se faire une idée de l’origine de « Azael Awignan » usité par la police tout au long de sa déclaration, le lendemain du drame. En pays Mahi, « awignan » signifie « pierre » (en français). Et pourquoi ce surnom plus connu que son nom à l’état civil ? Hervé Kpodékon Azifan, grand-frère du pasteur, se remémore : « Après lui était nés deux jumeaux (une jumelle et un jumeau). Quand ces jumeaux firent leur premiers pas de locution, l’une des choses les plus impactantes qu’ils ont dites est d’appeler Mesmin « pierre ». Plus impressionnant, c’est que les parents avaient tenté de leur faire prononcer le nom Pierre, mais ils préféraient prononcer pierre comme un morceau de roche. Jamais ils n’ont cessé de l’appeler ‘pierre ». Le nom a en effet eu le temps de se faire connaître ». Dans le village Monkpa, nous nous sommes intéressés un peu à savoir quel type d’homme est Mesmin Kpodékon au-delà de son côté spirituel. Aussi bien son entourage que la population ont témoigné. Benoît Dossou, le plus vieux des fidèles (90 ans voire 100 ans), dit qu’il n’a plus l’âge de mentir et confie que le pasteur Awignan a fait beaucoup de social. « Par exemple des enfants qui ne pouvaient pas se rendre à l’école, il les aidait financièrement à y aller. Des débiteurs qui n’arrivaient pas à payer leurs dettes passaient le voir et il les aidait à solder. Parfois on est là et des personnes l’appellent pour solliciter son appui financier pour des soins à l’hôpital. Récemment il en a aidé comme ça. La personne l’a appelé depuis l’hôpital de Savalou pour lui faire savoir que son enfant est hospitalisé et qu’il a besoin de son soutien. C’est 30.000 F qu’il a remis pour qu’on fasse un dépôt Mobile Money sur le compte de l’intéressé ». Le nonagénaire nous a également fait savoir que le pasteur est aussi bien connu pour des engrais qu’il a fabriqués et a mis à disposition des cultivateurs de la localité. Selon le récit fait par le vieux, parfois ses fidèles l’interpellent pour qu’il entre en possession de ses sous mais il leur dit que ce n’est pas le plus important, et que lui sa mission sur terre c’est d’aider ses semblables. Génial qui n’est pas un fidèle, confirme l’information d’engrais et renchérit : « sinon il fabrique des herbicides et vous passez, ça marche. Des produits insecticides à base de l’eau plus sel et autres, vous utilisez ça marche. Il a même créé d’insecticide, on passe dans les chambres et il n’y a plus de moustiques. Et ça marchait correctement…. ». A Charlotte, la sœur du pasteur de préciser que c’est « de l’engrais bio, une inspiration divine ». C’est un produit qui serait même connu au-delà des frontières béninoises.
Le drame de Monkpa ouvre les yeux aux autorités locales
Après le carnage de Monkpa, le 29 janvier 2022, y-a-t-il éventuellement eu des mesures spécifiques concernant tout ce qui est religions ou églises dans le département des Collines ou à Savalou en particulier ? A notre préoccupation, le maire de la commune de la cité des Soha a répondu sans ambages : « Juste après l’événement malheureux, au niveau du département, à notre réunion du conseil département de maintien d’ordre public nous avons pris cette décision : le préfet nous a instruits, chacun des maires à l’effet de recenser sur leurs territoires respectifs toutes les églises qui existent ». L’autorité communale renseigne davantage : « Toutes les églises qui sont sur nos territoires respectifs seront recensées et nous allons vérifier leur existence légale. Une fois l’existence légale est vérifiée et avérée, nous prenons les noms des trois premiers responsables de l’église avec leurs contacts, la photocopie de leur pièce d’identité pour qu’en cas de qu’est-ce qu’il y a, on puisse dire voilà au niveau de tel regroupement voilà ceux qui sont responsables. Donc il y a ce travail de fourmi que nous sommes en train de faire avec les élus locaux, les chefs village, les chefs quartier de ville que nous appelons communément les délégués et les chefs d’arrondissement ». Et dans une stratégie de prévention, ce sera tout comme mesures ? Dêlidji Houindo pour conclure, décclare : « Le contenu des enseignements, des évangiles fait partie de ce que nous sommes appelés à collecter au niveau de chaque regroupement ; c’est-à-dire l’existence légale, les trois premiers responsables, l’enregistrement qui est fait, quelle apologie ils font ». Eu égard à ces mesures qu’on pourrait qualifier de préventives, il est une évidence que cet affrontement entre fidèles de la religion Azael et la police républicaine a contribué à réveiller d’un sommeil profond les autorités aux niveaux départemental et locales. A quelque chose malheur est bon, est-on tenté de dire.
Jacques BOCO
ENCADRE
…que la balle soit ronde pour tout le monde
Comme votre journal Matin Libre l’avait titré en manchette dans sa parution du mercredi 02 Février 2022 : « Page lugubre d’un extrémisme religieux à Savalou: L’Etat a failli (Les insuffisances de la déclaration de la Police), on peut constater ici, après les données croisées du terrain, que Azael n’est pas une religion ou une église qui a opéré à l’insu des structures compétentes. Pour cela donc, depuis bien des années qu’on sait qu’elle s’est installée et on la sait dans l’ « endoctrinement » avec à la clé la prophétie de la fin du monde et des « fidèles drogués et violents » qu’on envoie « piller » systématiquement des récoltes appartenant à autrui, pourquoi n’avait-on pas décidé de parer au plus pressé ? D’aucuns diront qu’il n’est jamais tard pour bien faire. Admettons. Aujourd’hui, c’est qui est sur le banc des accusés et semble donner le ton pour qu’on n’assiste plus à ces genres d’escalade. Et après ? Cette question mérite d’être posée si l’on reste collé aux réactions sur les réseaux sociaux depuis la publication, vendredi, de la première partie de cette enquête. En effet, ce qui revient constamment est que dans ce désir d’assainissement et cette rigueur appliquée à Monkpa le soient pour tout le reste, sans exception. Autrement dit, il faudrait que la balle soit ronde pour tout le monde au nom de l’équité et de la justice.