Le prix du blé monte à nouveau en flèche, depuis le début de la crise ukrainienne. Acculés, les boulangers tournent leurs regards vers la farine de manioc.
Du pain à base de la farine de manioc. Ça ne court pas encore les rues. Mais des boulangers s’approprient déjà cette approche, pour faire face à la hausse du prix de la farine de blé. «Lors de notre tournée de sensibilisation sur le terrain sur le changement de grammage, nous avons constaté qu’un de nos compatriotes l’utilise dans la fabrication du pain. J’ai eu la chance de toucher du doigt cette technologie », confie Anselme Aguemon, président de l’Association des promoteurs et exploitants de boulangeries des départements de l’Atlantique et du Littoral. En effet, face à la hausse vertigineuse du prix du blé, les chercheurs béninois ont proposé le mixage avec la farine de manioc (Manihot esculenta, Crantz). L’Institut national des Recherches agricoles du Bénin (Inrab) a même publié une fiche technique en décembre 2011 sur la production et l’utilisation de la farine panifiable de manioc en alimentation humaine. Selon les recommandations, la farine panifiable de manioc peut être utilisée à 100 % pour la préparation des aliments tels que des galettes, des biscuits, etc. En substitution partielle, elle peut être utilisée pour préparer des produits de pâtisserie et de boulangerie tels que des gâteaux, des croissants, des viennoiseries de l’ordre de 30 à 50 % de taux de substitution et du pain du type français de l’ordre de 15 % de taux de substitution. Cependant, jusque-là, la technologie ne prospère pas, bien que le blé se fasse désirer cette dernière décennie.
Ces directives se retrouvent d’ailleurs en partie dans le décret n° 2008-571 du 15 octobre 2008 qui autorise l’utilisation de farines mixtes en panification et en pâtisserie. « Les boulangeries sont autorisées à utiliser pour la fabrication du pain de type français, de la farine panifiable de manioc ou de céréales locales dans la farine de blé au taux de 15 %, tout en respectant les bonnes pratiques d’hygiène, et les bonnes pratiques de fabrication. Pour les autres types de pain, le taux d’incorporation de farine locale peut aller de 15 % à 50 % », stipule l’article 2. Près de 14 ans après, la dépendance au blé est toujours préoccupante.
La crise force la main aux boulangers
Promoteur d’une boulangerie sise au carrefour Iita à Abomey-Calavi, Hyppolite Goïsso, en sait plus sur le manque d’engouement autour de la farine de blé. « Nous avons fait plusieurs essais de pain mixte par le passé, mais ça n’a pas prospéré. Si on dépasse un seuil donné du taux de farine de manioc, la texture n’est plus attrayante. On ne peut pas totalement remplacer la farine de blé. On peut aller à 10 %, voire 20 % pour le pain salé et à 30 % pour les produits de pâtisserie », explique ce membre du bureau de l’association des professionnels du pain salé et sucré et des produits de pâtisserie. Le manioc n’a donc pas réussi à gagner le pain.
Actuellement, la crise ukrainienne le ramène comme option face à une surenchère du blé qui reste sans issue. Les boulangers se retrouvent presque à ne plus avoir le choix. « C’est l’opportunité pour notre gouvernement de promouvoir le manioc. Ça va nous soulager un peu. Ça va réduire le coût de production du pain, même si c’est de moitié. Actuellement, la farine de blé est vendue sur le marché à 27 000 F Cfa. L’industrie locale sur laquelle nous comptons tous aujourd’hui cède cela à 24 000 F Cfa et vous ne trouvez même pas. Il faut attendre trois ou quatre jours pour être livré», souligne Anselme Aguemon. De son côté, Hyppolite Goisso a lui aussi le regard tourné vers la farine de manioc, même s’il hésite encore. « C’est possible qu’on l’incorpore dans la fabrication du pain. Si le gouvernement peut faire quelque chose dans ce sens, ça va diminuer la quantité de consommation de blé avec le temps», fait-il savoir.
Le blé n’est pas une production locale. Selon l’Inrab, il a été introduit au Bénin à l’époque coloniale où les colons, attachés à leur tradition alimentaire, importaient de la métropole de la farine de blé pour préparer du pain destiné à leur consommation. L’importation de blé se justifie par le fait que compte tenu de ses caractéristiques agronomiques, le blé ne pouvait pas se cultiver dans les régions situées entre les tropiques. Mais ce ne sont plus les alternatives à base de céréales, racines et tubercules locaux qui manquent.