Depuis le 4 mars dernier, la collecte d’épargne communément appelée « Adogbè » sans agrément est interdite au Bénin. Si certains citoyens saluent cette décision, d’autres y voient une difficulté d’arrêter cette pratique malgré les cas d’abus de confiance des promoteurs et optent pour d’autres alternatives plus ou moins fiables.
50 mille francs CFA, poulets, ustensiles de cuisine, pagnes voire motos et voitures. Ce sont là quelques uns des objets et vivres dont bénéficient à chaque fin d’année les participants de la tontine Adogbè en fonction de leur mise. Une pratique que plusieurs voient comme un ouf de soulagement surtout quand les revenus des populations sont très maigres voire instables. « J’aime faire la tontine. Je ne peux pas laisser, c’est bon pour moi. Si l’on met l’argent dans la chambre, lorsqu’on en a besoin, on prend et ça finit vite », s’est exclamé une commerçante à Abomey-Calavi. « A la fin de l’année, ça chauffe. Où aller acheter les poulets et tout ? Quand on fait ces tontines, ça soulage et aide à fêter », a complété un jeune cadre de Cotonou. Si visiblement, cette pratique permet de célébrer facilement les fêtes de fin d’année en toute harmonie avec la famille, il n’en demeure pas moins qu’elle comporte des risques manifestes. Puisque, « plus de 600 plaintes rien qu’à Porto-Novo ont été enregistrées contre les promoteurs d’Adogbè du fait de leur disparition, et ceci un peu partout au Bénin », s’est exprimé Louis Biao, DG de l’Agence Nationale de Surveillance des Systèmes Financiers Décentralisés (Anssfd) sur l’émission Actu Matin du 16 mars 2022. Des abus de confiance que confirme le jeune cadre pour avoir été victime plusieurs fois des fausses promesses des promoteurs même s’il a fini par avoir gain de cause chez d’autres sans difficulté. En outre, « lorsque les clients des Sfd font Adogbè chez des promoteurs informels, cela ne les arrange pas. Ceci parce qu’ils ont, au fil du temps, des difficultés de remboursement des fonds empruntés du fait de la dispersion de leurs revenus dans des tontines », a expliqué Rodolphe, un financier et employé d’une structure de microfinance de la place. Mieux, ces promoteurs informels de Adogbè ont plus de facilité à accorder des prêts aux souscrits sans grandes formalités. Ce qui constitue de grands concurrents pour les Sfd, et pire avec des taux de remboursement beaucoup plus élevés, a martelé le financier. Et tout ceci sans aucune contribution à la fiscalité nationale. Des constats qui ont conduit les ministres des finances et de l’intérieur à prendre un arrêté interdisant cette activité sous toutes ses formes sans agrément.
Adogbè, un produit d’épargne désormais réglementé
« …...l’Etat dans son rôle de protecteur des populations a été obligé de prendre cet arrêté pour encore fixer les esprits et dire que l’activité de collecte de l’épargne sous toutes ses formes est une activité réglementée », souligne Louis Biao. Une décision qui selon Justin, Juriste, est la bienvenue pour régler l’escroquerie des présidents, secrétaires et trésoriers des clubs de tontine dite ‘’Adogbè’’, pilleurs des maigres fonds de pauvres épargnants n’ayant « aucune arme juridique pour se défendre », a-t-il continué. Et donc, « ne peuvent exercer cette activité que des personnes qui ont de l’agrément à savoir les systèmes financiers décentralisés ou les banques », a ajouté Louis Biao. « Cette tontine qui se fait sur le public où c’est le promoteur seul qui connait tout le monde et les membres ne se connaissent pas, si vous n’êtes pas autorisés, ce n’est pas possible », s’est plus indigné le DG tout en rappelant l’article 7 de la loi 2012-14 du 22 mars 2012 portant règlementation des Sfd qui oblige à l’obtention d’agrément avant l’exercice de toute activité de collecte d’épargne ou du crédit. Il faudrait donc obtenir un agrément et être enregistré par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) avant de prétendre mettre en place un système de collecte d’Adogbè sous n’importe quelle forme. Une procédure qui peut durer jusqu’à 6 mois si les pièces fournies sont complètes, le dossier bien monté et déposé. « Une fois les dossiers déposés à l’Anssfd, ils sont envoyés 3 mois après étude à la Bceao qui met 2 mois pour répondre. Le ministre des finances ayant un mois pour signer une fois l’avis favorable de la Bceao obtenu », a expliqué Louis Biao. Ainsi, bien que cela soit qualifié d’illégal et interdit officiellement, plusieurs béninois ont exprimé leur volonté de continuer sous d’autres formes.
Tontine entre confrères, une alternative à réglementation
Il serait difficile d’interdire complètement Adogbè au Bénin, ont avoué plusieurs acteurs béninois dont Louis Biao. Si certains collecteurs informels de cette tontine souhaitent se soumettre au décret interministériel et arrêter leur activité d’ici la fin de l’année, d’autres espèrent continuer et contourner cette décision par d’autres manières. C’est le cas de certaines sociétés qui, au lieu d’introduire leur demande d’agrément, se sont ralliées à des structures de microfinance. Mieux, ‘’Poste Tontine Adogbè’’, un produit d’épargne de la Poste du Bénin, est aussi une préférence pour certains. Pour d’autres, adopter la tontine de groupe entre collègues ou confrères serait leur alternative. Ce qui pourrait-être aussi une meilleure option. « Lorsque la tontine se fait dans un cercle fermé où les membres se connaissent, il n’y a pas de problème », a confié le Dg l’Anssfd sur Actu Matin. Cependant, Flore, une promotrice d’Adogbè, se voit contrainte malgré elle de se conformer à cette interdiction et arrêter son activité une fois que la vague en cours cette année sera terminée. Il revient donc à toute personne désireuse de participer à cette tontine de se rapprocher des structures agréées afin d’éviter à long terme des cas d’abus de confiance.
Paul FANDJI (Stag)