A une période charnière pour l’avenir d’un continent dont la démographie est dominée par les jeunes, les questions liées à l’emploi feront partie des plus critiques durant ces prochaines années. La nomination d’un Africain à la tête de l’OIT, après 103 ans d’existence de l’organisation, se pressentait de plus en plus.
Le vendredi 25 mars, le Togolais Gilbert Houngbo a été élu à la tête de l'Organisation internationale du travail (OIT), devenant le premier Africain à exercer cette fonction. Il a été élu au second tour, battant la française Muriel Pénicaud. Il prendra officiellement ses fonctions début octobre, à la suite du britannique Guy Ryder, en poste depuis 10 ans. Sa nomination est importante pour l’Afrique : la démographie et le nombre de jeunes qui entreront sur le marché de l’emploi dans la prochaine décennie sont plus importants que jamais, et l’OIT aura un rôle clé à jouer.
Une élection en pleine mutation du monde du travail
« Cette élection est porteuse d’un symbolisme fort. Votre choix répond aux aspirations d’un jeune Africain, d’un jeune Africain dont l’humble éducation s’est transformée en une quête de justice sociale qui a duré toute une vie », a déclaré Gilbert Houngbo après l’annonce de son élection.
Il arrive à la tête de l’OIT alors que l’organisation doit s’adapter à un marché du travail en plein changement, sous l’effet des nouvelles technologies, entre autres. D’autant plus que la pandémie de Covid-19 a introduit le télétravail dans le fonctionnement de la plupart des entreprises et des institutions.
L’élection de Gilbert Houngbo est également importante pour l’Afrique. D’après l’OIT, le continent comptait 764 millions de personnes en âge de travailler, soit 59% de sa population totale en 2019.
L’élection de Gilbert Houngbo est également importante pour l’Afrique. D’après l’OIT, le continent comptait 764 millions de personnes en âge de travailler, soit 59% de sa population totale en 2019.
A cette date, 86% des emplois sur le continent se trouvaient dans le secteur informel. En plus d’inverser cette tendance, le continent doit faire avec sa démographie qui explose et le nombre considérable de personnes qui entreront sur le marché de l’emploi dans les 10 prochaines années.
Une tâche qui ne semble pas effrayer le moins du monde le nouveau DG. « Je suis ravi d’accepter ce défi et de continuer mon engagement pour la défense des personnes les plus vulnérables », a-t-il tweeté. De toutes les manières, que peut-on craindre avec un parcours comme celui du Togolais ?
Un habitué des organisations internationales
Né le 4 février 1961 au Togo, Gilbert Houngbo a passé la majorité de sa carrière au sein d’organisations internationales. Selon ses propres propos, c’est autre chose qui lui a permis de triompher lors de l’élection. « J’ai œuvré dans un gouvernement, dans le système onusien et le secteur privé. Je suis finalement très centriste. Et vu la géopolitique actuelle, je crois qu’une majorité d’Etats ont jugé bon de choisir un rassembleur et je crois répondre à ce critère.» Ayant grandi dans une région rurale du Togo, il a confié avoir déjà travaillé pour un dollar par jour sans la moindre protection sociale. On imagine bien que c’était avant d’émigrer au Canada et de débuter ses études de comptabilité à l'Université du Québec.
Ayant grandi dans une région rurale du Togo, il a confié avoir déjà travaillé pour un dollar par jour, sans la moindre protection sociale.
Quoi qu’il en soit, en 1986 après son diplôme, Gilbert Houngbo rejoint la branche canadienne du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC). Il travaille successivement aux services d'audit et de fusions-acquisitions. En 1994, il est nommé directeur des finances de la Banque internationale du Mali, poste qu’il occupe jusqu’en 1996. Cette année-là, il rejoint le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) dont il devient le directeur financier, puis Chef de Cabinet, puis Secrétaire Général Adjoint et Directeur Afrique.
En 2008, il quitte l’institution pour répondre à l’appel de son pays. En effet, de 2008 à 2012, Gilbert Houngbo est nommé premier ministre du Togo par le président Faure Gnassingbé. Ereinté par l’aspect politique de sa fonction, il démissionne le 12 juillet 2012.
Il décide alors de reprendre sa carrière internationale. Il est désigné en 2003, directeur général adjoint chargé des opérations de terrain au Bureau international du travail (BIT), le secrétariat permanent de l'Organisation internationale du Travail. Il occupe ce poste jusqu’en 2017 avant de rejoindre le Fonds international de développement agricole (FIDA). En janvier 2022, il est nommé président du conseil d’administration de Natural Resource Governance Institute (NRGI).
Quelques semaines plus tard, il annonce sa candidature pour diriger l’OIT. « Si je suis élu, j’entends insuffler un nouvel élan à l’OIT, la repositionner au cœur de l’architecture sociale mondiale et atténuer le risque de voir sa stature s’éroder. Pour cela, je propose un ambitieux programme mondial de justice sociale », avait-il déclaré.
« Si je suis élu, j’entends insuffler un nouvel élan à l’OIT, la repositionner au cœur de l’architecture sociale mondiale.»
Avant l’élection de Gilbert Houngbo, ni aucun Africain et ni aucune femme n’avaient jamais dirigé l’OIT. Lorsqu’il se retrouve au second tour contre la française Muriel Pénicaud, on sait qu’une de ces première fois est sur le point de se produire.
Le choix de Gilbert Houngbo semblait néanmoins beaucoup plus plausible. Il connaissait déjà bien l’institution, contrairement à la française dont la candidature a été vivement critiquée par les syndicats français. Ministre du Travail de mai 2017 à juillet 2020, elle avait en effet mené des réformes contestées du code du travail ou de l’assurance chômage.
Au final, le nom de Gilbert Houngbo s’ajoute à ceux de Ngozi Okonjo-Iweala à la tête de l’OMC, de Makhtar Diop aux manettes de la Société financière internationale et de Lazare Eloundou Assomo, patron du Centre du patrimoine mondial de l’Unesco. Désormais 4 Africains siègent à la tête d’organisations internationales de premier plan.