La nouvelle était tombée comme une bombe en cette soirée du jeudi 15 avril 2021. L’élection présidentielle du 11 avril était terminée et les résultats officiels proclamés. L’universitaire béninois dont la candidature avait été rejetée pour défaut de parrainage et qui avait repris ses activités académiques, venait d’être arrêté par un impressionnant détachement de police, alors qu’il revenait d’un cours à l’Université d’Abomey-Calavi.
Sa candidature, méthodiquement construite dans un contexte difficile d’érosion progressive de la compétition électorale et de débat démocratique au Bénin, avait suscité un grand espoir au sein de la population qui avait perdu confiance en sa démocratie. Ignorée au début, puis raillée par ses détracteurs, cette candidature était devenue de plus en plus menaçante à mesure que grandissait l’intérêt de la population pour ce jeune intellectuel qui osait proposer une alternative à la gouvernance de celui qui était désormais considéré comme l’unique avaliseur de l’activité politique au Bénin.
Le dialogue itinérant
Joël Aïvo avait en effet réussi en deux ans à devenir la figure politique la plus importante du pays après le président Patrice Talon. Il assumait patiemment et habilement le statut de principale alternative à la politique du régime en place. Mais son plus grand exploit n’était sans doute pas d’être devenu le challenger le plus sérieux du président Talon, mais d’avoir réussi à revitaliser un débat démocratique qui s’était progressivement éteint au cours du premier mandat du président Talon. Celui que l’on définit comme « le fils spirituel » d’Albert Tévoédjrè savait peut-être mieux que beaucoup qu’il y aura toujours de la place pour la démocratie, même dans les pires systèmes autoritaires. Face aux menaces qui pesaient sur lui et sur son staff, le constitutionnaliste avait toujours répondu que « quand il faut se taire, il ne faut pas parler, mais quand vient le moment de parler, il ne faut jamais se taire ». Le constitutionnaliste, privé de parole dans les grands médias nationaux, avait alors inventé le « Dialogue Itinérant » fortement relayé sur les réseaux sociaux et qui l’avait emmené, lui et ses fidèles compagnons, presque partout au Bénin. « Ils nous ont refusé les écrans de télévision, nous allons prendre les écrans de leurs téléphones. » L’ancien directeur de cabinet et porte-parole de Me Adrien Houngbédji avait un seul message, celui de l’apaisement du débat public et du rassemblement des Béninois de toutes les obédiences afin, disait-il, de « faire renaitre le Bénin que nous aimons ».
Le choc de son arrestation
Devant les participants dont le nombre gonflait à chaque nouveau meeting du dialogue itinérant, le juriste avait la critique précise mais un discours extrêmement mesuré. « N’ayez pas peur de la démocratie », avait-il lancé le 7 novembre 2020 à l’endroit du Président de la République, du Président de l’Assemblée nationale et de celui de la Cour constitutionnelle, devant environ 500 partisans réunis à Ekpè dans la commune de Sèmè-Podji. L’un de ses conseillés témoigne : « le professeur Aïvo est l’homme politique le plus circonspect que j’aie jamais conseillé ». Lorsque les accusations de plan B du régime avaient commencé à fuser contre lui, confie-t-il, il s’était systématiquement opposé à l’idée d’un durcissement de son discours dans le but de contrer l’attaque. « Cela ne servira qu’à nous faire tomber dans le piège qui nous est tendu par nos adversaires. A l’autocratie, il faut opposer la démocratie, face à l’opprobre et à la lâcheté d’adversaires qui se cachent pour attaquer, il faut rester digne », aurait répondu Joël Aïvo à son entourage. Il ne changera donc rien à sa ligne. Ni même après son éviction de la course. Jusqu’à l’annonce de son arrestation.
10 ans de prison ferme
Bien que redoutée par à peu près tout le monde à cause du climat de terreur généralisée qui prévalait dans la période, l’arrestation du professeur Joël Aïvo avait surpris et choqué beaucoup de personnes, y compris dans les rangs du régime. Les accusations de tentative de coup d’état et de blanchiment d’argent, encore plus, tant l’image de l’expert constitutionnaliste est celle d’un homme courtois et modéré et son parcours professionnel et politique est dévoué à la défense de la démocratie, à son pays et à l’Afrique. Les nombreux soutiens qu’il a reçus de partout, ni même sa combativité devant une procédure judiciaire viciée dès les premières minutes de son arrestation n’y changeront rien. Joël Aïvo sera condamné dans la nuit du 6 décembre 2021 par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) à 10 ans de réclusion criminelle, au grand dam de ses avocats dont l’un dénoncera une élimination politique pure et simple. Depuis, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer sa libération ainsi que celle de tous les prisonniers politiques, dans le cadre d’une solution politique à cette crise. Une demande qui jusque là est restée lettre morte.