Alors que le pays traverse une période délicate, du fait de la tension socio- politico-judiciaire, le mécontentement est de plus en plus général dans le monde syndical. Les violences qui s’abattent sur les citoyens exacerbent la tension qui risque de déboucher sur une explosion sociale. Le retour des grèves générales en est le mauvais présage.
Du sang. Encore du sang. Hier, pour ne pas dire le 10 décembre dernier, des individus non encore identifiés ont tenté d’assassiner Martin Assogba. Le président de l’Ong Alcrer a été la cible d’une fusillade. Il a reçu sept balles qui l’ont plongé dans un état critique. Mais après des soins et suite à son évacuation en France, sa vie est hors de danger. Aujourd’hui, on parle des leaders syndicaux qui ont été gazés par les Forces de sécurité publique vendredi 27 décembre dernier.
Une manifestation des travailleurs dont ils sont les initiateurs a été réprimée dans le sang. La Police et la Gendarmerie nationale ont fait usage excessif de la force pour empêcher la marche pacifique. Le bilan est déplorable. Au-dela du nombre de blessés, une vingtaine, c’est un triste bilan pour la démocratie béninoise. Cela vient s’ajouter aux nombreuses dérives et violations flagrantes des libertés démocratiques et individuelles dont s’est rendu coupable le gouvernement de Yayi Boni.
A propos des évènements du vendredi dernier, ce sont le préfet de l’Atlantique-Littoral, Placide Azandé et le commissaire central de la ville de Cotonou, Pierre Coovi Agbossadou, qui sont dans la ligne de mire des syndicalistes. Ils ont demandé qu’ils soient remplacés, sinon c’est tout le pays qui en souffrira. Les syndicalistes sont clairs : ils vont paralyser le pays jusqu’à obtenir la démission des deux autorités. Alors, on regarde en face nos leaders syndicaux et on leur dit qu’on les comprend. Parce qu’ils ont raison.
Comment peut-on accepter de faire usage des explosifs contre des pères de famille et représentants des travailleurs. Pourquoi vouloir les exténuer au moyen du gaz lacrymogène, alors que la Police et la Gendarmerie disposent d’autres moyens moins dangereux pour disperser la foule. Où sont passés les camions à jet d’eau ? Ou encore les techniques d’étouffement des rassemblements de foule par le positionnement des agents de sécurité. Ils ont laissé tout cela de côté en préférant le recours à la force. Dans ces conditions, comment calmer les victimes des évènements de vendredi dernier.
On ne peut pas empêcher des travailleurs de choisir la rue pour s’exprimer et exiger du gouvernement d’avoir un peu plus de regard en leur endroit quant aux revendications qui leur tiennent à cœur. Il est donc inadmissible que le Pouvoir se montre insensible à la rue et fasse preuve d’une lâcheté pour répondre aux manifestants. D’ailleurs les choses se gâtaient déjà, quand brusquement la colère noire des travailleurs s’est retournée contre le préfet Placide Azandé et le commissaire de Police, Pierre Coovi Agbossadou. Cela ne voudra pas dire que les slogans hostiles au gouvernement se transformeront en une mobilisation contre les deux personnalités visées. En exigeant leur remplacement, les syndicalistes veulent pousser le gouvernement à prendre ses responsabilités. Seront-ils entendus ou non ? Toute la question est là.
Une pression énorme sur Yayi Boni
Mais déjà, le chef de l’Etat et son équipe savent ce qui les attend si les exigences des centrales syndicales ne trouvaient pas de réponse satisfaisante. En tout cas, les menaces de paralysie de l’Administration et et des campus sont à l’ordre du jour. C’est une pression énorme qui pèse sur les épaules de Yayi Boni dans un contexte de crise sociopolitique majeure. Coincé à l’Assemblée nationale pour le budget général de l’Etat exercice 2014, confronté à une crise de sa majorité parlementaire, ébranlé par les revers subits au niveau de la justice béninoise et française dans les affaires d’empoisonnement et de coup d’Etat présumé contre sa personne, le chef de l’Etat est dans l’engrenage des syndicalistes de presque tous les secteurs de la vie socioprofessionnelle.
La justice, des professionnels de santé déjà en grève ou c’est imminent, seront rejoints par les plus grandes centrales syndicales du pays. Les organisations des travailleurs et les étudiants projettent un mouvement général. A partir de ce jour, les hostilités démarrent. Campus mort et coup d’arrêt dans l’administration. A partir de la semaine prochaine, la mobilisation va se poursuivre avec le durcissement du mouvement. Certains diront, ils le feront jusqu’à quand. D’autres ajouteront pour avoir été gazé, il faut une riposte appropriée.
Quand on y voit de près, cette riposte fera plus mal aux populations qu’à Yayi Boni. Les actions envisagées ne suffiront pas à calmer la colère des syndicalistes, mais elles aideront plutôt à pousser le pays dans un nouveau cycle d’agitations sociales avec toutes ses conséquences. Beaucoup de secteurs d’activités ne seront pas épargnés. Mais, il faut éviter à tout prix que cette période que nous traversons nous conduise sur des théâtres de nouveaux incidents, peut-être plus graves et déplorables.
On a comme l’impression d’être en face d’un matériau fragile qui peut se briser entre les mains de ceux qui le tiennent, si chacun ne fasse pas preuve de retenue. Personne ne voudrait se rappeler les évènements de 1988-1989, qui ont vu des déceptions générales, le fiasco au niveau des libertés et le désenchantement total se transformer en une révolte du peuple, terreau d’une nouvelle ère. Aujourd’hui, n’oublions pas les opinions générées par la tentative d’assassinat contre Martin Assogba. Pour résumer tout cela, on dira que tout le monde a peur et craint le pire pour le pays. A l’exception peut-être de ceux qui rêvent de voir le Bénin dans une situation insoutenable.
Attention à ce que vit le Bénin à la veille d’une nouvelle année. Ce qui nous arrive en cette fin d’année s’apprécie comme un mauvais présage pour 2014. En l’espace de quelques jours, le pays a rompu avec sa tranquillité légendaire. C’est pourquoi, même si on admet que les syndicalistes ont raison, soufflons leur qu’ils ont intérêt à ne pas dresser le terreau au régime pour faire du pays un champ de ruine. Et demain, le même gouvernement réputé belliqueux et agissant contre les intérêts des citoyens s’en lavera les mains.