Qu’ils soient dans le « In » ou le « Off » de l’exposition publique diptyque, c’est pratiquement le même sentiment qui les anime. Les artistes contemporains béninois sont heureux de voir une partie des trésors royaux revenir sur leur terre et exposés au public dans un lieu assez symbolique qu’est la présidence de la République. A côté, l’exposition d’art contemporain leur donne beaucoup plus de visibilité mais surtout de l’espoir quant à la volonté politique de promouvoir le secteur, et ils en sont ravis. Six d’entre eux expriment ici leurs impressions.
Ponce Zannou, artiste plasticien et sculpteur
« Le retour de nos trésors royaux est triomphal. Béhanzin l’aurait voulu plus tôt. C’est avec joie que nous accueillons ces œuvres qui reviennent sur leur terre; la terre qui les a vues naître; leur terre de prédilection. Du coup, je suis très fier et je remercie tous ceux et celles qui ont effectué les démarches nécessaires afin que ces œuvres nous reviennent. C’est d’abord une volonté politique et de cette volonté est née la présente exposition publique diptyque. Elle permet que le peuple béninois ait conscience de notre métier, et elle nous donne plus de visibilité que par le passé. Donc, non seule-ment l’exposition est pour nous un ouf de soulagement, mais elle nous offre également un temps de réflexion, un questionnement puisque nous devons nous interroger sur le parcours intermédiaire, c’est-à-dire entre le temps passé et ce que nous faisons aujourd’hui. Qu’est-ce que ce serait si on connaissait tout ce temps-là ? Donc, il y a eu une coupure à un moment donné et bien qu’il y ait des œuvres qui restent, l’arrivée et l’engouement que suscitent ces œuvres nous donnent plus à réfléchir et ça nous met dans une nouvelle conscience culturelle, une nouvelle conscience artistique. »
Dominique Zinkpè, artiste plasticien et sculpteur
« Il faut reconnaître qu’il y a eu un engagement politique très fort qui a permis de ramener une partie des œuvres de nos ancêtres. Ça a été long mais on peut célébrer ça actuellement. On le vit au quotidien et même l’argument qui était mis en avant où on nous disait : oui les œuvres on sait très bien d’où elles viennent mais vous ne pouvez pas les prendre parce que vous ne sauriez les entretenir autant que nous. Mais de quoi nous parle-t-on ? Comment peut-on imaginer que ceux qui ont créé leurs œuvres ne sauront plus les garder ? Pour moi, ce sont des arguments futiles, et heureusement qu’aujourd’hui, il y a eu une meilleure compréhension des choses et une volonté des deux parties et des autres acteurs impliqués. Ce qui a conduit à une belle première expérience de restitution. On ne peut que s’en féliciter et les négociations pourraient continuer pour qu’on en ait d’autres parce que les œuvres doivent retrouver leur place…
J’ai remarqué qu’il y a un grand engouement autour de l’exposition en cours et les Béninois sont fiers de se redécouvrir à travers l’histoire de ces œuvres. C’est vraiment sublime et l’intelligence la plus forte encore des organisateurs, c’est d’y associer les artistes contemporains pour mettre en dialogue ce qui se faisait avant et ce qui se fait aujourd’hui. Ça donne une belle harmonie d’exposition assez importante que le Bénin n’a jamais réussi à faire. C’est pour le bonheur de notre peuple, de notre pays et moi en tant que plasticien, je ne peux que la célébrer. Je suis heureux de remarquer que tout ça est fait en bonne intelligence et qu’il y a une grande volonté de parta-ger l’art de nos ancêtres et l’art contemporain avec nos concitoyens. Avec l’exposition diptyque, nous sommes arrivés à un niveau supérieur en termes de qualité de travail : installations, scénographie, etc. L’intelligence de ce projet, moi je la sublime tous les jours…
Souvent, pour honorer nos ancêtres artistes, c’est au palais royal que ça se faisait. Présentement, les œuvres sont arrivées au Bénin et c’est au palais présidentiel qu’elles sont célébrées. Je pense que l’intelligence est belle puisque le système politique a changé.
De plus, il est rare de voir, de nos jours, des artistes plasticiens exposer au palais présidentiel. Je trouve que ça nous fait grandir, ça nous fait honneur et ça nous donne plus de visibilité auprès du peuple béninois et africain. Donc, c’est beau, c’est fort, c’est intelligent… »
Laeila Adjovi, artiste visuelle
« Je suis particulièrement contente de participer à la cause des restitutions. Je suis également très contente que le Bénin soit en pole position et j’espère vraiment que c’est le haut de l’iceberg, le début de quelque chose. Là, on est au début de la route et je fais confiance au gouvernement pour continuer à la fois à accompagner les artistes contemporains mais aussi vraiment se poser des questions de fond sur la valorisation de notre patrimoine et de notre cul-ture. Pour avoir exposé dans plusieurs pays européens, américains et africains, je dirai que l’exposition que nous avons en ce moment au palais de la Marina est de très haut niveau, y compris si on inclut les standards internationaux. C’est une exposition qui n’a rien à envier à ce qui se ferait au Tate Modern ou au Quai-Branly… Donc ici, on n’a rien à envier à des institutions internationales. Que ça soit en termes de sélection des œuvres des artistes contemporains, de scénographie (qui est absolument magique), les nocturnes, etc., cette exposition est réussie. Je pense que n’importe quel artiste international serait fier d’y participer parce que ça fonctionne ! »
Claudine Dan, artiste peintre
« Pour une première au Bénin, je trouve que l’exposition est très bien installée. J’ai eu l’occasion de voir les trésors royaux au musée Quai-Branly à Paris. Au palais de la Marina, je trouve que la scénographie, les installations, etc. sont de très haut niveau. La qualité de l’exposition est à la hauteur de ce que j’ai vu ailleurs. On n’a rien à dire sur ce point ; on n’a rien à envier à ce qui se fait sous d’autres cieux. C’est une bonne occasion pour les Béninois, surtout la jeune génération, d’être sensibilisés à l’art. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les ateliers peintures avec les enfants sont bien conseillés pour pouvoir préparer la jeune génération à cette sensibilité à l’art. S’il était possible que l’on introduise le volet artistique dans les programmes des écoles afin que les enfants puissent avoir cette sensibilité depuis leur jeune âge, ça serait génial »
Frigg Toss, jeune artiste visuel et sculpteur
« L’exposition publique diptyque est une aubaine en termes d’ouverture d’esprit parce qu’à travers elle, le public béninois va mieux appréhender ce qu’on appelle art en général et art africain en particulier. Et cette exposition met bien en exergue l’art béninois dans toute sa splendeur. Je ne peux qu’être fier de cela. »
Cortex Asquith Sognigbé, jeune artiste visuel
« Voir ces trésors royaux me permet de savoir que s’il y a plus de 130 ans, des personnes ont pensé des motifs ou taillé le bois d’une certaine façon, c’est qu’aujourd’hui, on doit être à une étape beaucoup plus évoluée pour montrer qu’effectivement on est parti de quelque part pour arriver à un niveau assez élevé.
L’exposition publique diptyque, ça parle du passé, ça parle du présent. C’est au bout de l’ancienne corde qu’on tisse la nouvelle. C’est une découverte pour nous en tant que Béninois de pouvoir connaître ce qui a été fait, comment ça a été fait et aussi d’apprécier l’esthétique de ce qui était fait dans le temps pour savoir en fonction de ce qui est fait aujourd’hui, s’il y a eu une certaine évolution. Donc, le dialogue créé entre le passé et le présent permet d’analyser l’évolution de l’art au Bénin avec les artistes aujourd’hui. »