Maire de la ville touristique de Ouidah, l’ancien ministre de la défense nationale, Sévérin Adjovi est sorti de sa réserve pour s’adresser au Chef de l’Etat au lendemain de la sanglante répression de la marche des Centrales syndicales du vendredi 27 décembre dernier. Dans une lettre ouverte, l’homme qui a plusieurs cordes à son arc a, dans une démarche homéopathique dit sa vérité à Yayi Boni tout en l’exhortant à se reprendre rapidement afin que l’histoire ne retienne de lui une image hideuse. Lire la lettre ouverte de fofo Sévé...
Lettre ouverte de Severin Adjovi au président de la république à propos de la marche réprimée des syndicalistes
Monsieur le Président de la République,
En cette veille du nouvel an, permettez-moi de vous présenter mes vœux de santé, de paix, de sagesse et de bonheur. Que le Seigneur, dans sa miséricorde, vous bénisse et répande sa grâce sur vous et sur votre famille. Qu’il vous accorde sa bienveillance et vous emplisse de la sagesse de Salomon afin que vous conduisiez dans la cohésion, notre pays, le long des deux (02) années qui vous restent. Qu’il bénisse notre nation, le Bénin, ses fils et ses filles ! Qu’il bénisse tous les acteurs politiques et sociaux qui se battent pour tenir debout le flambeau de la démocratie et étouffe toute situation de nature à compromettre l’heureux processus démocratique qui fait notre renom depuis 1990 !
Monsieur le Président de la République,
Depuis un moment, je m’étais résolu à ne plus opiner sur aucun sujet, même brûlant, de l’actualité. J’ai voulu ainsi me consacrer uniquement aux tâches de développement de l’extraordinaire cité de Ouidah, terre de mes aïeux, dont j’ai le privilège, depuis plus de cinq (05) ans, de conduire les destinées. Je veux rendre hommage aux fils et filles de Ouidah qui m’ont fait confiance pour porter sur ma modeste personne une charge aussi exigeante. C’est pour eux, que je me suis établi à Ouidah, loin de Cotonou où chacun peut apprécier mes intérêts ; loin aussi des nombreux autres pays du monde où j’ai installé depuis quarante (40) ans, des affaires qui continuent de prospérer à différents rythmes, grâce au Seigneur que je bénis.
Mais si j’ai décidé de vous adresser cette lettre, c’est par amour pour notre patrie commune, le Bénin.
En effet, le vendredi 27 décembre dernier, câblé devant mon poste téléviseur, je m’évertuais à chercher sur les chaînes de télévision la diffusion de votre discours sur l’état de la nation. Je voulais y déceler par quel mécanisme vous alliez dégeler la tension qui couve dans le pays.
C’est dans ce contexte que j’ai reçu des informations de Cotonou sur la violente répression de la marche des syndicats organisée à la Bourse du Travail.
Je me suis alors précipité sur mon Ipad pour consulter les images, et quand j’ai vu des Syndicalistes reconnus tels que Pascal Todjinou, Paul Essé Iko et Kassa Mampo… étalés sur les lits du Cnhu, tout imbibés de sang, j’ai été bouleversé au fond de moi. Quel est ce message que vous envoyez à la nation ?
Je n’écris pas pour vous condamner. J’écris juste pour attirer votre attention de Père de la Nation aujourd’hui sur le sens de tels actes et l’image qu’ils peuvent donner de notre pays.
Il y a peu, j’ai écouté vos hommages à l’immense Président Nelson Mandela de l’Afrique du Sud et je vous ai entendu dire à son sujet qu’il a : « incarné les valeurs d’humanisme, de non violence, d’intégrité, de pardon, de don de soi, d’amour de la liberté. »
Alors, j’ai imaginé que vous seriez intéressé de marcher dans ses pas, afin de bénéficier vous-même d’un tel concert d’hommages, après vos deux (02) mandats constitutionnels, et au jour fatidique que le destin a établi devant toute personne qui voit le soleil.
Mais pourquoi donc réprimer si violemment une marche pacifique de la société civile autorisée par le maire de la ville où elle se déroule ?
Je n’écris pas pour vous condamner. Il n’est pas facile de diriger un pays. Mais je sais que vous êtes un croyant et je suis seulement embarrassé moi-même, en tant que croyant, par cet usage excessif de la violence contre une marche pacifique autorisée, et je voudrais m’assurer que vous n’êtes pas au courant de ces actes ; m’assurer que les forces de l’ordre usent peut-être de zèle, à votre insu et à votre détriment, parce que c’est votre régime qui est indexé aujourd’hui et le monde entier le voit et l’entend.
Pascal Todjinou est un militant des libertés depuis de longues dates. Je l’ai connu au moment où je me battais contre le régime marxiste-léniniste. Je me souviens des risques qu’il prenait en passant me voir à Paris, 71/73 Avenue des Ternes, chaque fois qu’il se rendait aux réunions du Bit à Genève, alors que je vivais en exil et étais sur la liste noire du régime. Je lui sais gré d’ailleurs pour son courage et sa participation active aux réflexions du Club Perspective 99 qui ont débouché sur l’organisation de la Table Ronde de Versailles.
Il a apporté une contribution de qualité à cette grande réunion qui, sous ma houlette, a réuni à Paris de nombreux cadres de notre pays parmi lesquels l’un des actuels membres de votre gouvernement, une personne que j’apprécie beaucoup et qui se reconnaît. A ce titre, il est l’un des géniteurs de la Conférence nationale des Forces Vives de la Nation, parce que c’est à Versailles que la proposition d’une Conférence Nationale a été faite pour la première fois et consignée comme recommandation le 03 décembre 1989.
Depuis lors, Pascal Todjinou a continué de s’illustrer constamment comme un des piliers du mouvement syndical dans notre pays. De même, Paul Essè Iko et Kassa Mampo violemment blessés lors de cette marche, sont des militants qui ont payé depuis plus d’un quart de siècle, un tribut particulièrement lourd au militantisme politique dans notre pays. M. Iko a passé cinq (05) ans de prison politique sous le régime marxiste et est depuis un syndicaliste renommé, comme son mentor Gaston Azoua à qui il a succédé. Méritait-il d’être traité comme un vulgaire délinquant dans une marche où se revendiquent la préservation des acquis démocratiques ? On peut être en désaccord avec leurs idées ; on doit du respect à leur liberté d’opinion et à leur courage.
Monsieur le Président de la République, je ne vous condamne pas. J’attire seulement votre attention sur ces faits, en votre qualité de père de la famille béninoise, car je doute que vous soyez d’accord avec le traitement infligé à vos partenaires sociaux que sont les syndicalistes, à l’occasion de cette marche.
M. Kassa Mampo, Secrétaire Général Adjoint, le plus grièvement blessé de tous, je ne le connaissais pas beaucoup. Mais selon mes renseignements, il a déjà été emprisonné cinq (05) fois depuis votre arrivée au pouvoir en 2006, après avoir purgé cinq (05) ans de peine sous le régime marxiste. Il est sorti de la prison de Missérété il y a six (06) mois.
Il n’est pas un malfrat. Il était en prison pour avoir pris part à une marche à Natitingou où les populations réclamaient l’accélération des travaux du 1er août. N’est-ce pas là par hasard une démarche de patriote ? Je ne souhaiterais pas que votre régime soit assimilé à la triste époque du marxisme. Le Président Mathieu Kérékou s’en était repenti, et lorsque le peuple lui en a redonné sa chance, il a fait l’effort de tirer un trait sur ces méthodes du passé ?
J’ai écouté votre discours sur l’état de la Nation.
Les bonnes intentions que vous y avez exprimées m’impressionnent. Mais elles ne peuvent se concrétiser sans un climat de paix sociale. Je continue de croire que vous avez de très belles ambitions pour notre pays et que vous êtes un travailleur. Mais si les fruits ne portent pas la promesse des fleurs, vous pourriez gagner à vous rendre humble devant le Seigneur et l’implorer, afin qu’il vous accorde la sagesse dont il a fait grâce au Roi Salomon, pour bien conduire son peuple.
L’Etat de la Nation sur le plan économique
Monsieur le Président de la République, le taux de chômage juvénile est à 70% dans notre pays selon les chiffres mêmes de l’Uemoa dont vous êtes le Président en exercice ; sur l’Indice de développement humain (Idh), notre pays est 155ème sur 156 pays évalués ; nous avons l’économie la moins performante de l’Uemoa et je vous ai entendu dire, qu’en bon Wassangari, vous avez honte. Je ne prétends pas détenir la solution miracle.
Mais je pense que si vous travailliez de façon sincère et concertée avec les acteurs politiques, les opérateurs économiques et les partenaires sociaux, vous pourriez commencer par trouver quelques pistes de solution et la tension sociale pourrait s’apaiser d’elle-même. Le consensus est l’un des piliers de la Conférence nationale. C’est ce facteur qui unit les couches de notre société et les générations anciennes aux plus jeunes.
Mais les jeunes, dans notre pays aujourd’hui, sont-ils épanouis ?
Dans votre discours sur l’état de la nation, vous avez d’ailleurs vous-même identifié la problématique de l’emploi des jeunes et des femmes, comme l’un des problèmes les plus importants de notre pays aujourd’hui.
« Une jeunesse au travail est source de prospérité et également facteur de stabilité et de paix. En revanche une jeunesse en proie au chômage est une véritable bombe à retardement », aviez-vous martelé.
Mon expérience d’opérateur économique et d’homme public me convainc que c’est le secteur privé qui crée la richesse, donc l’emploi.
C’est pourquoi, tout en louant, vos efforts pour la création d’emploi et les milliards que votre gouvernement injecte pour l’emploi des jeunes, je voudrais vous signaler respectueusement qu’ils sont vains si vous n’associez pas le secteur privé.
Je pense donc que notre nation gagnerait si vous enterrez la hache de guerre et que, en bon père de famille, vous faites la paix avec les opérateurs économiques comme Patrice Talon, Sébastien Ajavon, Issa Salifou, et bien d’autres, créateurs d’emploi.
Je ne voudrais pas revenir sur mon propre cas avec Télécel-Moov/Etissalat parce qu’il pend toujours devant les instances d’arbitrage au niveau régional.
Je m’adresse à vous au nom de notre commune nation, afin que vous fassiez travailler M. Moïse Mensah, mon doyen et ami, conseiller du Club Perspective 99 depuis 1987, qui a beaucoup contribué aux réflexions sur la Table Ronde de Versailles, et par conséquent aux réflexions sur la Conférence nationale, tandis qu’il était haut fonctionnaire au Fao à Rome. Vous l’avez nommé Haut Commissaire à la Gouvernance Concertée. Cela montre que vous êtes préoccupé par la cohésion sociale. Veuillez bien essayer de tirer le meilleur de lui, car il est très bon.
Certains de nos compatriotes sont en prison pour une affaire de tentative de coup d’Etat greffée à une autre d’empoisonnement. De l’avis général, ils apparaissent comme des prisonniers politiques et les victimes de votre persécution. Je ne dis pas forcément que c’est le cas. Je n’en sais rien. Mais je ne suis pas vraiment libre, si je prive quelqu’un de sa liberté…car un homme qui prive un autre de sa liberté est prisonnier de la haine », disait votre bien aimé Nelson Mandela dans son ouvrage un si long chemin vers la liberté. Je voudrais vous prier humblement de suivre son exemple pour finir votre dernier mandat en beauté : car « la fin de toute chose vaut mieux que son commencement », dit le livre de l’Ecclésiaste.
L’humilité n’est pas chose facile pour un homme qui détient le pouvoir.
Je suis peut-être prétentieux de vous conseiller, n’ayant jamais été Président de la République.
Plus encore, je n’ai pas et ne pourrai jamais prétendre m’approcher de l’éminence de Mandela. Combien d’ailleurs parmi nous arrivent à sa cheville ?
Mais sa vie me fascine et j’ai toujours essayé de répandre la justice qu’il incarne autour de moi, dans toutes mes charges, que ce soit comme chef d’entreprise, député, ministre, maire, ou même simplement, père de famille. Je crois que le jour où je m’en irai, je saurai défendre mon dossier devant le Juge Suprême. Je lui dirai que j’ai essayé de vivre en homme juste. Je lui dirai ce que j’ai pu faire de juste. J’ai combattu l’oppression.
J’ai relevé l’humble qu’on a brimé. J’ai secouru ceux que le sort a brisés. J’ai partagé la douleur de la veuve et de l’orphelin. J’ai relevé ceux qui chancelaient. J’ai fortifié les mains languissantes. J’ai affermi les genoux qui pliaient. J’ai essayé de concilier les acteurs politiques de mon pays. Je tente d’éviter l’affrontement entre les fils de notre pays. Je sais que ce n’est pas suffisant. Mais je ne suis pas Mandela.
Au reste, j’adresse mes bons vœux à toute la nation, aux fils et filles de Ouidah, aux sages de notre pays, au clergé catholique, aux croyants de toutes obédiences.
J’adresse mes bons vœux aux hommes qui ont eu la charge de diriger ce pays et qui l’ont gardé intact et entier depuis cinquante (50) ans, le président Zinsou, le président Kérékou, le président Soglo.
A toutes les forces politiques et sociales de notre pays !
Au président Adrien Houngbédji, à mes amis de l’Union Fait la Nation, aux partisans du Chef de l’Etat, à Abdoulaye Bio Tchané, à Pascal Irénée Koupaki !