Peu connues et ignorées, les Maladies tropicales négligées (Mtn) touchent les femmes et jeunes filles des communautés pauvres. Si ces dernières années, la lutte contre ces maladies en Afrique mobilise de plus en plus de monde, leur élimination est loin d’être gagnée. Les femmes et les jeunes filles constituant une des couches les plus vulnérables continuent de payer un lourd tribut faisant d’elles, des prisonnières de la pauvreté.
70% des personnes touchées par le trachome, une maladie due à une infection bactérienne contagieuse de l’œil touche les femmes selon l’ancien Coordonnateur du Programme National de Lutte contre les Maladies Transmissibles, Dr Wilfrid Batcho. Le trachome fait partie des 17 Maladies Tropicales Négligées répertoriées par l’OMS qui affectent 1,5 milliard de personnes, dont 40 % vivent en Afrique.
Selon Dr Amadou Alphabio, la prévalence du trachome est plus élevée chez les femmes que chez les hommes à cause des enfants qui une fois infectés, infectent à leur tour, leurs mères qui les portaient pendant leurs jeunes âges. A l’âge adulte, les enfants qui ont grandi ainsi que leurs mères développent des complications. Pourtant, avertit l’ancien Coordonnateur du Programme National de Lutte contre les Maladies Transmissibles, Dr Wilfrid Batcho, « Quand le trachome n’est pas traité, il entraine une cécité irréversible ».
Au Bénin, en dehors du trachome, une grande proportion de femmes sont aussi touchées par plusieurs autres MTN. C’est le cas de l’ulcère de Burili où en 2020, sur l’ensemble des 197 cas dépistés, on dénombre 103 hommes (52%) contre 94 femmes (48%). Parmi les 14 MTN, 10 sont endémiques et sont pratiquement présentes sur plus de la moitié des 77 communes. Selon Dr Liamidi Salami au ministère de la santé intervenant en novembre 2019 au cours d’un atelier consacré à la lutte contre les MTN, « l’analyse de la situation au Bénin indique l’existence d’un nombre significatif de MTN avec la présence de co-infection. Les populations vivant dans les zones endémiques sont coinfectées avec au moins 2 de ces maladies ».
Les conséquences des MTN sont fâcheuses. Si elles provoquent chez les enfants un retard du développement physique et cognitif, les femmes se retrouvent avec un handicap, des déformations dans le cas de la lèpre, la filariose lymphatique (éléphantiasis), l’ulcère de Buruli ou la cécité dans le cas de l’onchocercose et du trachome.
Selon la directrice du département « Lutte contre les maladies tropicales négligées » à l’OMS, Mwelecele Ntuli Malecela, « ces maladies perpétuent un cycle de souffrance et de pauvreté et causent souvent de graves défigurations et d’autres handicaps à long terme qui constituent des obstacles à l’éducation, la croissance économique et le développement en général ».
Une lutte ciblée au profit des femmes
Avec un Plan directeur national de lutte intégrée contre les MTN 2016-2020, le Bénin a fait de la lutte contre le trachome et les MTN en général, une priorité. Dans les objectifs stratégiques, le Bénin ambitionne d’éliminer le trachome et de réduire sa prévalence à moins de 5% en assurant la prise en charge des complications, la distribution de masse de médicaments et la promotion de l’hygiène et de l’assainissement du cadre de vie.
Avec cette vision clairement affichée, plusieurs partenaires et Organisations de la société civile appuient le ministère de la santé dans ce combat inlassable contre ces « maladies des pauvres ». C’est le cas de l’USAID à travers le programme Rti (Research Triangle Institute) qui, sur la base d’une enquête sur la cartographie de 26 communes au nord du Bénin, a soutenu des traitements de masse dans 8 communes endémiques à partir de 2016. Deux à trois ans plus tard, les actions menées ont permis de sauver 144 hommes et 531 femmes des risques de cécité. Mais pour réussir une telle opération, Dr Amadou Alphabio, médecin au Centre hospitalier universitaire du Borgou, en première ligne dans cette lutte, souligne qu’il a fallu mener une campagne de mobilisation pour retrouver les femmes malades de Trachome. « Notre démarche utilisée, c’est d’aller chercher les femmes. Nous ne sommes pas restés dans un hôpital pour attendre les gens. Nous sommes allés les chercher, les diagnostiquer avec le concours également des relais communautaires au niveau local », confie-t-il.
Si cette démarche et ce soutien ont permis de voler au secours de nombreuses femmes dans cette partie du Bénin, plusieurs organisations de la société civile ont décidé également de sonner la mobilisation. Présente au Bénin depuis 2020, l’organisation d’action politique et de plaidoyer Speak Up Africa basée à Dakar, a initié avec le Musée de la femme béninoise en octobre 2021, un panel de discussions dans le cadre de la Journée Internationale de la Jeune Fille. Autour du thème « Combattre conjointement les MTN et le paludisme pour favoriser l’égalité des genres », ce rendez-vous a permis aux intervenants de croiser leurs réflexions sur les avancées et les défis majeurs de la lutte avec un accent particulier sur la dimension genre. Aujourd’hui, les OSC qui ont constitué une plateforme dispose d’un Plan de plaidoyer pour la priorisation et le financement de la lutte contre les MTN et le paludisme. Déjà, l’association VIA-ME portée par Dr Odry Agbéssi, chirurgienne réparatrice, mène sur le terrain, des actions auprès des jeunes filles, notamment celles qui sont déscolarisées à travers des projets tels que ‘’She is great’’ ou ‘’Gnonnou Assouka’’ pour leur autonomisation et le développement de leur leadership. « La lutte efficace contre le paludisme et les MTN nécessite l’implication de tous », signale Dr Odry Agbéssi. L’association VIA-ME est activement impliquée dans la campagne régionale « En marche vers Kigali » qui est une excellente occasion pour les OSC, de porter leur voix pour la priorisation de la lutte contre les MTN et le paludisme auprès des élus locaux.
Pour Dr Wilfrid Batcho, « Il faut accentuer les actions de sensibilisation, et mettre en place un dispositif efficace de lutte contre ces maladies dévastatrices parmi les populations les plus pauvres ». Si les MTN touchent principalement les communautés les plus pauvres, ces maladies perpétuent un cycle de souffrance pour les femmes.