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Professeur Roch Houngnihin, Anthropologue médical, à propos de la covid-19 : « Tout vaccin génère ses morts avec son cimetière… Mais, on devrait décider »

Publié le jeudi 19 mai 2022  |  Fraternité
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© Autre presse par DR
Professeur Roch Houngnihin, Anthropologue médical
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La Covid-19 reste sans doute la pandémie qui a le plus créé d’hécatombe dans le monde entier durant ces vingt dernières années. Au Bénin, il fera 163 cas décès sur les 6 260 000 signalés à l’organisation mondiale de la santé à la date du 8 mai 2022, laissant des familles dans la douleur sans père, mère, parents et amis. A travers cette interview, le professeur Roch Houngnihin, anthropologue de la santé, revient sur l’obligation de la vaccination, les précautions à prendre ainsi que les considérations et aspects sociologiques liés à cette maladie en Afrique.

Présentez-vous à nos lecteurs svp ?
On m’appelle Roch Houngnihin, je suis Professeur Titulaire d’Anthropologie de la santé et Directeur du Laboratoire d’Anthropologie Médicale Appliquée (LAMA) à l’Université d’Abomey-Calavi. Je suis membre du Comité d’Ethique de l’Institut Pasteur à Paris.

Parlez-nous un peu de l’épidémie de la COVID 19
Nous avons plusieurs fardeaux épidémiologiques en Afrique. Nous avons d’abord les maladies infectieuses comme le sida, le paludisme, etc. qui continuent de sévir. S’est ajoutée, ce que l’OMS a appelé depuis 2013, la « nouvelle épidémie des maladies non transmissibles » liées à l’exposition à des facteurs de risque, telles que l’hypertension artérielle, le diabète, l’asthme, etc. Il s’agit, en gros, des maladies dites chroniques, encore appelées maladies non transmissibles qui ont une longue durée et qui résultent d’une association de facteurs génétiques, physiologiques, environnementaux et comportementaux. Le 3ème fardeau concerne les épidémies dites émergentes ou réémergentes comme la COVID-19. Et il faut s’attendre. Les facteurs favorables sont connus ; il s’agit notamment des déplacements et des possibilités offertes dans ce domaine, des flux migratoires, de l’anthropisation des milieux naturels, l’accroissement de la densité humaine, ... Dans le cadre de la COVID-19, nous sommes dans un contexte d’épidémie de la peur, d’épidémie iconoclaste, c’est-à-dire que remettent en cause les normes et pratiques élémentaires de bienséance. La covid-19, c’est un nouveau virus, une nouvelle épidémie et personne ne sait comment ça peut agir. Donc tous les pays ont été prudents ; personne ne voulait prendre de risques ; c’est ce qui explique sans doute les mesures drastiques prises au Bénin, comme ailleurs et faisant l’objet d’interprétations persécutives par les populations. Face à la progression exponentielle des cas à l’échelle internationale, de nombreux pays ont suivi l’exemple de la Chine en prenant des mesures fortes : réglementation des sorties, confinement, couvre-feu, fermeture des frontières et des établissements scolaires, suspension des compétitions sportives et autres grands rassemblements. Au Bénin, dès le 30 mars 2020, le gouvernement a mis en place un cordon sanitaire constitué de douze communes (dont la capitale économique Cotonou et la capitale politique Porto-Novo) supposées à risques élevés et situées au sud du pays. Les mesures prises comprennent également, la fermeture des établissements scolaires et universitaires, la mise en quarantaine systématique et obligatoire de toute personne venant au Bénin par voie aérienne et la fermeture des lieux de culte. Contrairement à d’autres pays, le gouvernement a préféré ces mesures au détriment du confinement « pour lequel le pays n’a pas les moyens ». Dans un entretien en date du 29 mars 2020, le Président Patrice Talon déclarait que « le Bénin ne dispose pas des moyens des pays riches pour prendre des mesures de confinement strictes dans la lutte contre la propagation du coronavirus ». Il ajouta que « si nous prenons des mesures qui affament tout le monde, elles finiront très vite par être bravées et bafouées ». C’était, de mon point de vue, une approche judicieuse de l’épidémie.

La gestion du coronavirus, que retenir en résumé ?
Aujourd’hui, on peut se réjouir parce que chaque gouvernant a commencé par réduire les mesures draconiennes qui ont été prises. Mais au départ, c’est un contexte de la peur. On était dans un contexte d’absence de remède. En l’absence de traitement spécifique face à la COVID-19, les stratégies de riposte ont consisté, partout dans le monde, en l’adoption de mesures de gestes barrières, de distanciation physique, de restriction de mobilité et de dépistage de masse. Dans cette situation, l’urgence de développer un vaccin s’est imposée comme l’alternative la plus efficace des interventions sanitaires pour contrôler la pandémie. Au départ, il n’y avait pas de vaccin pour tout le monde. Si vous vous rappelez bien, le Bénin faisait partie de l’initiative Covax avec d’autres pays de l’Afrique. Les puissances économiques disposaient des vaccins mais ont choisi de les conserver à leur niveau. Certaines d’entre elles avaient dix fois plus que leurs besoins, plus que leurs populations en avaient besoin. L’OMS a accordé une autorisation d’utilisation d’urgence au vaccin contre la COVID-19 de Pfizer (BNT162b2), le 31 décembre 2020. Le 15 février 2021, elle a autorisé l’utilisation d’urgence de deux versions du vaccin AstraZeneca/Oxford, fabriquées par le Serum Institute of India et SKBio. Le 12 mars 2021, l’OMS a autorisé l’utilisation d’urgence du vaccin Ad26. COV2.S, développé par Janssen (Johnson & Johnson). Plus tard, les vaccins Moderna, Sputnik et CoronaVac/Sinovac ont également reçu des autorisations d’utilisation. Il a fallu plusieurs mois après l’intervention de l’OMS et de la Banque Mondiale avec d’autres partenaires pour les amener à penser aux autres. C’est ce qui a permis aux pays africains de disposer de quelques quantités. Avec ces petites quantités, il fallait s’intéresser aux acteurs les plus vulnérables : les personnes âgées, celles plus exposées et les agents de santé. Au Bénin, au départ, deux vaccins au choix étaient disponibles : Covidshield/ AstraZeneca (144000 doses reçues) et CoronaVac/ Sinovac (203000 doses reçues). Puis, le 26 juillet 2021, le pays a réceptionné 302 400 doses de vaccin Johnson & Johnson/Janssen du gouvernement américain. À partir du 15 mai 2021, la campagne a été ouverte à tous les sujets de plus de 18 ans.

Alors, l’obligation du passvacinal aux agents de santé, aux garde-malades avant toute visite en milieu hospitalier et même dans les administrations publiques. N’est-ce pas une violation ou restriction des droits de l’homme ?
Non pas du tout. La santé publique est coercitive. Le gouvernement n’a pas besoin de demander votre permission pour vous protéger. C’est un principe de la santé publique. On ne peut pas dire, se vaccine qui veut, respecte les gestes barrières qui veut ou obtient son passvaccinal qui veut. Et pourtant c’est votre santé. Le gouvernement a le devoir de vous protéger contre votre volonté lorsqu’il s’agit des questions de santé. L’agent de santé devrait suivre ces politiques parce que le fait de se protéger lui-même, il protège son entourage. C’est comme ça dans tous les pays, ça n’a rien à voir avec les droits de l’homme. Un défi important reste à relever en ce qui concerne l’acceptation sociale de la vaccination contre la COVID-19. La détention d’informations erronées ou tronquées reste le principal facteur en jeu. En effet, l’acceptabilité du vaccin contre la COVID-19 est assez faible en Afrique, sauf lorsque les pays sont confrontés à des vagues épidémiques. Au Bénin, le scepticisme a longtemps persisté, malgré la vaccination des plus hautes autorités nationales. Les travaux réalisés par le Laboratoire d’Anthropologie Médicale Appliquée (LAMA) ont révélé la persistance des infox, un facteur non négligeable de l’hésitation vaccinale. Les réseaux sociaux restent la principale source d’information pour une population hautement connectée. Cette situation entretient la défiance quant à la sécurité et à l’efficacité des vaccins. La rapidité avec laquelle se sont déroulées les recherches a paru suspecte pour certains ; tandis que d’autres craignent que les effets secondaires de la vaccination soient plus graves que la COVID-19 elle-même. Il s’agit là d’autant de paramètres qui ont tôt fait d’éloigner la population d’une « expédition vaccinale ».

Si l’on voit les cas de décès et de malaises enregistrés chez les personnes vaccinées associés aux conditions précoces de fabrication des vaccins sans le respect rigoureux du processus normal de validation, peut-on parler de la violation de l’article 8 de la convention MEDICRIME ?
Tout vaccin comme tout médicament a des effets secondaires. Mais il fallait décider entre les avantages et les inconvénients. Tout vaccin génère ses morts avec son cimetière. Les vaccins contre la COVID-19 ont eu aussi leur cimetière. Mais, on devrait décider. C’est qu’il y avait une urgence. Ça s’est très vite passé pour la production des vaccins. C’est vrai qu’on peut reprocher aux firmes cette concurrence qu’on n’a jamais vue auparavant. On n’a pas eu assez de temps pour expérimenter convenablement les vaccins disponibles mais les essais minimums ont été réalisés. Dans un contexte de manque de traitements face à un nouveau virus ou une nouvelle épidémie, il fallait prendre des décisions rapidement. Ce qu’on peut reprocher, c’est qu’on n’a pas éprouvé la médecine traditionnelle. Il y avait plusieurs remèdes qui ont été exposés à foison, mais qui n’ont pas été éprouvés ni au Bénin ni en Afrique de l’Ouest.

Parlez-nous un peu des considérations sociologiques associées à cette pandémie ainsi qu’aux mesures de lutte mises en place
Vous savez, les épidémies émergentes comme la COVID-19 sont des épidémies iconoclastes qui remettent en cause les façons de faire, les normes de bienséance sociale. C’est des épidémies de survenue imprévisible et qui détruisent les solidarités humaines de par la mise en danger des proches. Nous avons connu des agents de santé qui, parce qu’ils ont été à l’hôpital et ont vécu dans le même espace pendant quelques heures avec un malade, ne sont plus rentrés chez eux. C’est des épidémies iconoclastes qui interpellent le sociologue, l’épidémiologiste, l’économiste, etc. Parce que les gouvernants mettent en place des centres d’isolement, on proscrit la consommation de la principale source de protéines (la viande de brousse), on fait la restriction des déplacements, on interdit les enterrements dits non sécurisés et on dit aux parents qu’ils n’ont pas droit au corps ; donc des enterrements sans tenir compte des rites funéraires. Alors que nous savons que nous sommes dans un contexte où le mort est plus craint parce qu’il peut intercéder pour nous dans l’au-delà.

Quelle perception sociologique était associée au port de masque ?
En tant que mesure préventive de santé publique, le port obligatoire du masque a été institué le 8 avril 2020 au sein du cordon sanitaire. Perçu comme l’un des clés de la lutte contre la propagation de la COVID-19, ce dispositif a été généralisé le 28 avril 2020 à tout le pays. Ainsi, le 11 mai 2020, un vaste programme de production et de distribution gratuite de masque a été mis en place par le gouvernement dans les écoles, les collèges et les universités publics. Il s’agit du masque chirurgical à usage unique dit « de protection à visée collective », à destination de la population générale. Très tôt, les populations se sont approprié le masque. Celui-ci est devenu un élément essentiel de la riposte contre la COVID-19. La mobilisation du secteur artisanal local reste emblématique de cette appropriation. Ainsi, de nombreux ateliers de couture ont été mutés en structures de fabrication de masques. A cette organisation, s’ajoute l’implication des ONG, des églises, ... dans la production et la distribution du masque. On a observé une présence massive du masque dans les rues marquée par l’existence d’une gamme variée du produit distinguable par la texture, la qualité apparente et le prix. La filière de vente de masques a explosé depuis le début de la pandémie de COVID-19 au Bénin. L’institutionnalisation du port obligatoire du masque a constitué une opportunité financière pour certaines catégories de populations. Il aura fallu quelques jours seulement après l’adoption de cette mesure gouvernementale pour que plusieurs variétés de masques envahissent le marché à Cotonou. Plusieurs catégories socioprofessionnelles ont instauré un commerce très lucratif, profitant de l’économie informelle très développée. Ce commerce lucratif a fait émerger des modèles contrefaits du masque pharmaceutique, qui se vendent surtout dans les feux tricolores. Le masque est également devenu un support prisé de communication pour maintes institutions publiques, associatives ou confessionnelles. Son introduction a constitué une aubaine pour ces dernières, en tant qu’un nouveau moyen de s’adresser au public. Plusieurs facteurs sont associés au port du masque au niveau des utilisateurs, notamment la crainte de la répression policière, les habitudes au sein de professions spécifiques, le caractère incommodant du masque, l’influence des rumeurs persistantes, ... Beaucoup de personnes réfutent le port du masque dans un souci d’évitement de la stigmatisation sociale. En effet, le porteur du masque expose sa provenance et son statut social. Dans un contexte qui ne lui est pas familier, cette identité est vite perçue, et la réprobation sociale se vit à travers le regard désapprobateur des autres, comme si le porteur du masque avait enfreint la norme sociale régie par le rejet du masque. Ainsi, dans les quartiers dortoirs de Cotonou, hors des grandes rues et des administrations, le réflexe de port du masque est souvent vite abandonné.

Que faut-il faire dans l’avenir pour contrer une nouvelle vague d’autres variants ?
Bonne question. Il faut de la recherche pour documenter les expériences que nous avons vécues. Sans la recherche on ne peut pas savoir ce qui s’est réellement passé. En matière de communication, il faut que le gouvernement essaie de prévenir l’épidémie, préparer la population en avance sans attendre que ça arrive. Même si on me dit un jour qu’il y a une autre vague d’épidémie, je ne serai pas étonné. Il faut donc les préparer en avance avant de commencer par parler des gestes barrières, des mesures préventives, ce qui permettra à chaque Etat de mieux se préparer pour affronter de nouvelles épidémies.

Vous avez publié plusieurs livres sur la Covid 19 en 2021. Qu’est-ce qui vous y a poussé et comment vous y en êtes arrivé ?
Nous avons beaucoup de travaux en cours dont au moins quatre mémoires de master 2 sur différents aspects de l’épidémie. Dans le but d’accompagner les systèmes de santé, nous avons publié plusieurs documents sur le sujet dont celui-ci afin de permettre une autre façon de voir les épidémies en Afrique en général et au Bénin en particulier. Nous avons eu des subventions qui nous ont permis de reproduire ces documents.

Votre mot de la fin.
Les vaccins sont efficaces, sûres, volontaires et gratuits. Il faut que la population comprenne cela. L’Etat ne peut jamais aller contre la santé des populations. Tout Etat ne peut que chercher à protéger la population.
Propos recueillis par Paul FANDJI (Coll)
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