Message de la Dre Matshidiso Moeti, Directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique
Le 31 mai de chaque année, le monde entier célèbre la Journée mondiale sans tabac pour souligner les effets négatifs de la production et de la consommation de tabac sur la santé, la société, l’économie et l’environnement.
Le thème retenu pour l’édition de cette année, à savoir « le tabac : une menace pour notre environnement » vise à mettre en évidence l’impact environnemental de l’ensemble du cycle du tabac, depuis la culture, la production et la distribution, jusqu’aux déchets toxiques qu’il génère.
Bien que 24 pays africains aient instauré une interdiction de fumer dans les lieux publics et 35 aient instauré une interdiction de toute publicité en faveur du tabac ainsi que de toute promotion et de tout parrainage, un adolescent africain sur 10 consomme du tabac, selon nos estimations. Les nouveaux produits apparus, comme les inhalateurs électroniques de nicotine et les produits du tabac, se révèlent également attrayants pour les jeunes, ce qui accentue nos préoccupations.
Étant donné que 44 des 47 pays de la Région africaine de l’OMS ont ratifié la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, qui les engage à adopter des mesures efficaces et reposant sur des bases factuelles pour réduire la consommation de tabac, la nécessité d’atténuer les dommages environnementaux causés par le tabac a amené l’OMS redoubler ses efforts visant à lutter contrer la menace globale.
Les impacts environnementaux liés à la culture du tabac se manifestent notamment par l’utilisation excessive de l’eau, qui est une ressource rare sur la majeure partie du continent, par la déforestation à grande échelle et par la contamination de l’air et de l’eau.
Les terres utilisées pour la culture du tabac pourraient également être exploitées de manière beaucoup plus judicieuse, notamment dans les pays en proie à l’insécurité alimentaire. Pour contrer cette menace, l’OMS s’est associée à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et au Gouvernement du Kenya pour mettre en place le projet intitulé « Tobacco-Free Farms » (Fermes sans tabac).
Lancé en mars, le projet vise à aider les fermes à passer du tabac à d’autres cultures vivrières, qui contribueront à nourrir les communautés plutôt qu’à nuire à leur santé. Les agences des Nations unies et le Gouvernement du Kenya fournissent des formations, des intrants, à savoir des semences et des engrais, ainsi qu’un marché pour leur récolte grâce aux initiatives d’approvisionnement local du Programme alimentaire mondial.
Jusqu’ici, 330 agriculteurs kenyans se sont tournés vers la culture de haricots, la première récolte ayant rapporté plus de 200 tonnes métriques. Pour la deuxième saison, qui vient de commencer, plus de 1 000 autres agriculteurs sont désormais engagés dans cette culture. Ces résultats sont extrêmement encourageants dans la mesure où nous prévoyons de déployer ce programme dans d’autres pays producteurs de tabac sur le continent.
Ces données concrètes sont essentielles pour faire évoluer les mentalités des agriculteurs et des gouvernements qui croient que le tabac est une culture de rapport ayant le potentiel de générer de la croissance économique. Au Malawi par exemple, le tabac représente environ 50 % de toutes les exportations. À titre comparatif, ce chiffre est de 13 % pour le Zimbabwe, et de 6 % et 3 % respectivement pour le Mozambique et la Tanzanie.
Cependant, il est moins admis qu’il s’agit malheureusement de gains à court terme, qui sont éclipsés par les conséquences à long terme d’une insécurité alimentaire accrue, d’une dette durable pour les agriculteurs, de la maladie et de la pauvreté chez les travailleurs agricoles et des dommages environnementaux généralisés. Dans la Région africaine, le traitement des maladies liées au tabagisme représente 3,5 % du total annuel des dépenses de santé.
Bien que la production de feuilles de tabac soit en baisse à l’échelle mondiale, elle augmente dans la Région africaine de l’OMS, qui produit désormais environ 12 % des feuilles de tabac au niveau international. Près de 90 % de la culture du tabac dans la Région est concentrée dans les sous-régions de l’Est et du Sud, notamment au Zimbabwe (26 %), en Zambie (16,4 %), en République-Unie de Tanzanie (14,4 %), au Malawi (13,3 %) et au Mozambique (13 %).
La culture du tabac est également un facteur majeur de déforestation, en raison des grandes quantités de bois nécessaires au séchage. La déforestation est, en soi, l’un des principaux facteurs d’émissions de dioxyde de carbone et de changement climatique, contribuant également à la perte de biodiversité, à la dégradation des terres et à la désertification. Selon les estimations, le bois nécessaire au séchage du tabac contribue à 12 % de toute la déforestation en Afrique australe.
En outre, la culture du tabac expose les agriculteurs à plusieurs risques pour la santé, notamment la « maladie du tabac vert », qui résulte de l’absorption de nicotine par la peau lors de la manipulation de feuilles de tabac humides, ainsi que de l’exposition aux pesticides et à la poussière de tabac.
Les mégots de cigarettes, quant à eux, sont de loin la plus grande catégorie de déchets, des recherches ayant montré que les filtres à cigarettes à base d’acétate de cellulose sont largement non biodégradables. Les mégots de cigarettes salissent les trottoirs, les parcs et les plages, se retrouvent dans les voies d’eau et libèrent des substances chimiques nocives qui empoisonnent les animaux, la vie aquatique et les enfants.
À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, je lance un appel aux gouvernements africains pour qu’ils imposent des taxes environnementales sur le tabac dans toutes les chaînes de valeur et d’approvisionnement, notamment la production, le traitement, la distribution, la vente, la consommation et la gestion des déchets. Pour les pays producteurs de tabac, j’engage pleinement le soutien de l’OMS pour aider les agriculteurs à passer à d’autres cultures.
J’encourage également nos pays à accélérer la mise en œuvre de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, qui fournit les orientations nécessaires pour faire progresser la création d’environnements sans tabac, mettre en place des programmes destinés à aider les consommateurs de tabac à arrêter, et apporter un soutien à l’application des droits d’accise et d’autres mesures financières.
La réduction de la consommation de tabac joue un rôle clé de catalyseur dans la réalisation des objectifs de développement durable liés à la santé, mais, comme l’illustrent les données environnementales, les avantages vont bien au‑delà de la santé.... suite de l'article sur Autre presse