Arsène K. Fado sur la production de masse en période de crise : « …le facteur manquant, c’est l’expertise technique pour aller vers l’industrialisation »
Arsène K. Fado est Ingénieur Expert industriel. A travers l’interview ci-dessous, il a montré que la production de masse serait l’une des solutions pour permettre au Bénin d’amortir le choc induit par la crise actuelle. Selon lui, elle passe par l’industrialisation de tous les procédés de transformation des matières premières. En temps de crise alimentaire, elle doit intervenir surtout dans la production des produits de première nécessité. Pour y arriver, selon lui, les entreprises et les instances étatiques doivent respecter les normes d’hiérarchisation d’une production de masse.
Pourquoi opter pour une production de masse ?
De façon basique, tout le monde sait que lorsqu’on produit en quantité industrielle, le coût de production baisse. Et c’est tout à fait naturel. Effectivement, nous voyons beaucoup de slogans qui poussent tout le monde, notamment les jeunes et les femmes à l’entreprenariat. C’est une solution, mais qui a des limites. Parce que, si tout le monde entreprend, on risque de se retrouver à long terme avec beaucoup de micro-entreprises. De toutes petites entreprises qui ne sont pas en mesure de compétir sur le marché local, régional ou même international. Donc, à ce titre, il faut effectivement penser à une production de masse afin de produire à l’échelle industrielle. Et pour produire à l’échelle industrielle, on se retrouve dans un cas de figure où soit, on a l’expertise, on est en partenariat avec une personne ou une entreprise qui a l’expertise qu’on importe, qui vient pour assurer la production, soit il va falloir trouver le moyen de fédérer des petites et micro-entreprises pour en faire une plus grande structure afin que la production soit massive et que les coûts de production baissent. Cela entrainera la baisse du coût de vente et permettra la compétitivité. Il faut noter dans cette analyse que deux notions apparaissent. Il y a la notion de qualité du produit qui satisfait le client a titre individuel, et la quantité, c’est-à-dire, le nombre de produits qui satisfait la demande. En général les industries ont plus de facilité à satisfaire cette demande que les micro-entreprises.
Quel sont les produits de première nécessité qui peuvent être industrialisés ?
Il faut dire que, compte tenu des habitudes alimentaires et de la catégorisation des couches sociales, à savoir les classes ouvrière, moyenne et bourgeoise, il y a des aliments qui sont communs à toutes ces couches. C’est le cas du maïs qui est une matière première importante au Benin dont les mets dérivés sont très consommés. C’est l’exemple des ‘’Corn flakes’’ qui sont des flocons de maïs très utilisés pour le petit déjeuner des enfants. Nous ne pouvons pas avoir du maïs et ne pas être capables de faire des corn flakes. Nous importons des corn flakes à base de maïs, et c’est une hérésie. Ce sont des choses que nous pouvons corriger très vite. Mais pour faire des corn flakes, nous avons besoin d’industrie. Il faut qu’on pense à l’expertise. Il faut qu’on sache que pousser les gens au micro entreprenariat ne va pas résoudre à termes, le problème de satisfaction de la demande.
Il faut aussi penser aux agrumes, aux fruits, c’est très important. Avec tous les vergers que nous avons, nous devrions être en mesure aujourd’hui de fournir des jus de fruit en saison, en contre-saison et à tout moment à la population pour pouvoir réduire un tant soit peu la quantité des jus à base de poudre, de colorants et autres.
Le manioc également ferait des produits très intéressants dans le domaine de la transformation. L’un des secteurs phares que je juge important, c’est celui du palmier à huile qui peut fournir beaucoup de choses, notamment l’huile raffinée qui est aujourd’hui utilisée par la classe bourgeoise. Ce secteur fournit également beaucoup de sous-produits comme les savons, des combustibles pour la cuisson, des charbons à base de noix palmistes… Donc, il y a du potentiel sur ses matières premières que nous avons en grande quantité.
Quels seraient les avantages de la production de masse sur l’économie du Bénin ?
La production de masse permet de structurer l’économie. Structurer l’économie veut déjà dire que, du début de la production jusqu’à la vente du produit, beaucoup de couches en bénéficieraient. Si nous prenons le cas des palmiers à huile, on peut décider de commencer par produire à partir du palmier à huile. Ça veut dire qu’on démarre l’économie à partir des fournisseurs d’intrants. Cela prend en compte la mise en valeur des terres, on enchaîne avec les producteurs en passant par les transporteurs, les manutentionnaires, les électriciens. Tout le monde, même l’Etat trouve déjà son compte de même que les techniciens formés dans les lycées, les chimistes. L’entreprise va tout de suite embaucher des juristes, des personnes chargées de la communication ; donc, vous voyez toute l’économie qui va se structurer autour de cette activité. A la fin, l’Etat perçoit ses taxes et les impôts. Par la suite, ces chefs d’entreprises profitent de ces bénéfices qu’ils peuvent réinvestir dans la même activité ou soit dans une autre. C’est un travail à la chaine qui permet à tout le monde de faire des profits.
Quelles sont les dispositions à prendre concernant la disponibilité de la matière première ?
La production de masse est une chaine. Dès que le premier maillon est en mouvement, il tire les autres. Aujourd’hui, on dit que le Bénin est le deuxième producteur de produits vivriers en Afrique de l’Ouest. Si on lance l’industrialisation, nous allons en produire plus, étant donné que c’est une chaine. Si on ne lance pas l’industrialisation, le niveau actuel de production va baisser. Plus la demande est grande, plus la production augmente. Une fois qu’on lance l’industrialisation, on va manquer peut-être de matières premières qu’on va compléter par l’importation comme c’est le cas des produits finis.
Quelles sont les difficultés actuelles de l’industrialisation qui peuvent empêcher le pays de se lancer dans la production de masse ?
Aujourd’hui, les premières difficultés sont la disponibilité de l’énergie, de l’expertise et de l’environnement économique. Cet environnement permet de développer et d’attirer l’investissement. On va considérer qu’aujourd’hui, on travaille sur l’environnement agro-économique, et les choses vont dans le bon sens. En ce qui concerne la question de l’énergie, le gouvernement y travaille afin qu’elle soit prise en compte. Je pense que le facteur manquant, c’est l’expertise technique pour aller vers l’industrialisation. Le gouvernement est en train d’importer cette expertise pour la zone économique. Le problème de l’importation de l’expertise, c’est ‘’est-ce qu’elle peut être tropicalisée ? Va-t-elle demeurer ? La compétence peut-elle être transférée ? Lorsqu’on importe quelque chose qu’on consomme, il y a une addiction et l’on y est lié. Mais lorsque vous décidez d’importer la technique et la technologie, si vous y êtes accrochés, cela veut dire que le jour où ils décident de partir avec, vous revenez à zéro. On parle d’un état de dépendance vis-à-vis de l’importation. Lorsque nous parlons de l’expertise, il y a des niveaux. Il y a ce qu’on appelle l’expertise managériale et stratégique. On parle des cadres supérieurs, des ingénieurs qui ont développé des compétences dans le domaine industriel ou dans le cadre qui lui est approprié. Après vient le niveau des techniciens, puis des ouvriers qualifiés. Ce qu’on peut retenir d’intéressant est qu’on est progressivement entrain de révéler les nouveautés. Une fois que ces trois points seront réglés, il ne restera qu’à rehausser vraiment le niveau de production.
Qu’est-ce que le Gouvernement peut faire dans ce sens ?
La première des choses que le gouvernement fait, c’est de créer un espace qui offre un environnement attractif à l’investissement. Cela va permettre à ceux qui ont les moyens de venir investir. Deuxième chose, le gouvernement lui-même recherche les expertises ; c’est-à-dire des industriels avérés, reconnus dans le monde et leur demande de venir investir. S’ils ne sont pas suffisamment prêts financièrement pour investir, il leur demande de venir avec l’expertise. Le gouvernement a mis en place aujourd’hui au Bénin des mécanismes pour appuyer l’investissement. Pour être succinct, on dira que le gouvernement crée l’espace, importe l’expertise et tout le reste peut être installé. Il essaie d’appuyer et d’apporter le nécessaire. C’est ce qui est en train d’être fait aujourd’hui. Maintenant, pour pouvoir intéresser et faire intégrer le pays, ils ont décidé de booster la formation technique pour pouvoir rendre disponible une main-d’œuvre pour ces industries. Et la bonne nouvelle, toujours dans cette zone pour ce qui a été identifié, le gouvernement a lancé, il y a deux semaines, le projet de construction d’une centrale électrique pour leur fournir l’électricité. Cela montre bien qu’il cherche à faire de cette zone, un début d’industrialisation du Bénin. Nous sommes toujours dans le système d’importation. Ce qui nous reste à faire est de s’assurer qu’il y ait un transfert.
Que doivent faire les Petites et Moyennes Entreprises qui sont dans ce domaine ?
On est dans un marché de transfert. Les PME ont pour vocation de s’actualiser, se mettre au pas. De mon point de vue, ces entreprises doivent actualiser leurs méthodes de fabrication, pouvoir être fusionnelles. On pense que les entreprises doivent être conscientes, surtout les PME. Elles doivent et très rapidement s’adapter ; surtout que l’investissement industriel prend du temps. Lorsqu’on annonce l’entreprise qui va s’installer dans la zone économique, il faut a minima deux ans pour que ses activités démarrent. Cela veut dire que la PME a deux ans pour se préparer. Si elle ne s’ajuste pas, elle risque de mourir. Très souvent, si elle ne s’est pas préparée, elle risque de s’orienter vers un autre domaine. Sans une planification, cela lui coûte une absence de but et le propriétaire verra son entreprise disparaitre. Le bon côté des choses, c’est qu’il y a d’autres qui vont comprendre très vite et réagir. L’exemple typique au Bénin, c’est vrai que ce n’est pas dans le secteur agricole, mais des produits de première nécessité. En 2013, une cimenterie vendait la tonne du ciment sorti d’usine à 90 et 100 mille FCFA. Au fil du temps, il y a une nouvelle qui est venue. Elle a baissé de prix jusqu’à 65 mille FCFA. Toutes les autres cimenteries pouvaient faire d’investissement qu’elles auraient dû faire depuis 10 ans pour se moderniser. Elles ont investi en baissant de prix et la demande est montée. C’est une règle. Il faut dire que sur 100 entreprises, certaines mourront, par contre certaines subsisteront, d’autres vont se fusionner. A ce moment-là, elles auront besoin des experts pour pouvoir les accompagner à vite se réajuster. Je pense que c’est la vie économique qui est ainsi faite.
Propos recueillis par Yasmine ALONOMBA et Julienne ADJIGNON (Stag)