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Interview avec Jean Gabin Houézo : « Le Bénin a atteint le seuil d’élimination de la lèpre mais pas le seuil de transmission »

Publié le vendredi 3 juin 2022  |  Fraternité
Jean
© Autre presse par DR
Jean Gabin Houézo, Coordonnateur national du projet de lutte contre la lèpre et l’ulcère de buruli au Bénin
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La lèpre est une maladie tropicale infectieuse qui attaque la peau et les nerfs. Selon l’organisation mondiale de la santé, cette maladie a atteint son seuil d’élimination au Bénin au début des années 2000, c’est-à-dire, 1 cas sur 10000 habitants. Aujourd’hui, on dénombre près de 300 cas sur toute l’étendue du territoire national. Jean Gabin Houézo, Coordonnateur national du projet de lutte contre la lèpre et l’ulcère de buruli au Bénin nous donne plus de détails sur cette maladie à travers cet entretien.

Comment peut-on définir la lèpre ?

La lèpre est aussi une maladie tropicale négligée. C’est une maladie préférentiellement de la peau due à un microbe appelé mycobactérium leprae. C’est un microbe issu de la même famille que celui qui donne la tuberculose et l’ulcère de buruli à la différence que le microbe qui cause la lèpre, attaque la peau et les nerfs.

Comment une personne peut-elle contracter la lèpre ?

A la différence de l’ulcère de buruli, la lèpre se contracte d’homme à homme. Le germe colonise les voies respiratoires supérieures et la salive. Donc, lors des échanges avec un malade, il peut, en éternuant ou en toussant, propulser le germe. Une fois exposé, vous contractez la lèpre. Il faut dire que la période d’incubation de la lèpre est très longue. Une fois exposé au microbe, un individu sain peut passer 5 ans avant que les premiers signes n’apparaissent. Pour dire que nous avons déjà en préparation les cas de 2027 ; mais tout cela dépend de l’immunité de chacun. Il y a des porteurs sains qui ont le germe dans leur organisme mais qui ne développent pas la maladie simplement parce que leur système immunitaire a pu circonscrire le germe.

Comment reconnaitre une personne atteinte de la lèpre ?

Avant de parler des manifestations de la lèpre, parlons d’abord de ce qui ne l’est pas. En effet, beaucoup de personnes pensent que la lèpre se caractérise par les griffes ; c’est une idée erronée. En réalité, la lèpre se manifeste toujours par une tache au niveau de la peau. C’est quand on passe à côté de la tache que, dans l’évolution, il y a des complications qui conduisent à ces griffes. Il s’agit de tache claire, un peu plus claire que la peau, et insensible au toucher. Après ces tâches, il y a notamment d’autres signes comme des douleurs et des gonflements ou encore des faiblesses au niveau des filets nerveux. Par exemple, une personne marchait normalement, mais commence subitement par ressentir des engourdissements au niveau du pied, parfois de petits boutons sous la peau ou une infiltration du nodule de l’oreille. Ce sont les signes au début. Pendant l’évolution, si ces signes ne sont pas vite découverts et pris en charge, il peut y avoir des complications comme des griffes au niveau des mains ou alors des amputations des doigts, c’est-à-dire des doigts ou les orteils qui tombent d’eux-mêmes. Parce que le microbe s’attaque aux nerfs et à la peau. Lorsque les nerfs sont imprégnés, le malade ne ressent aucune douleur. Le malade perd toute sensibilité, il peut marcher sur de la braise ou se blesser. Il ne sentira rien, car toute les fonctions du nerf sont altérées.

Quelles sont les complications liées à la lèpre ?

Une des complications majeures de la lèpre, c’est la cécité. Lorsque le germe attaque les filets nerveux oculaires, le malade n’arrive plus à cligner des yeux et perd la vue.
Nous assistons à ces cas graves parce que beaucoup se disent que la lèpre n’existe plus. Dans les années 2000, l’OMS a décrété qu’au Bénin, la lèpre a atteint un seuil d’élimination qui est de moins d’un cas pour 10000 habitants. Dès cet instant, les efforts de lutte ont été dirigés vers d’autres maladies. Parce que l’OMS ne considère plus cela comme un problème de santé publique. Or, en tenant compte de la durée d’incubation, il y a lieu d’intensifier la lutte contre la lèpre parce que, si l’incubation dure 5 ans, lorsqu’on dépiste, il faut prendre des mesures. C’est pourquoi dans la stratégie de lutte aujourd’hui lorsque nous dépistons un cas, nous faisons l’effort d’examiner les proches du malade, la famille, également les contacts sociaux. S’il n’y a pas de cas, nous faisons une chimio-prophylaxie préventive en donnant un médicament à tous ces contacts. Au bout de 2 ans, on retourne les examiner et un autre examen deux ans après pour voir si pendant cette période, une personne a développé la maladie. Si on fait comme ça très tôt, on arrivera à diminuer la courbe d’équation de la maladie.

Combien de cas dénombre-t-on actuellement au Bénin ?
Au cours de l’année 2021, on dénombrait 80 nouveau cas. Mais depuis les 5 dernières années, nous tournons autour de 150 à 200 nouveaux cas par an en termes de prévalence, les anciens et les nouveaux cas que nous avons en hospitalisation tournent autour de 300.

Vu que la lèpre est contagieuse, comment est-elle traitée ?

L’idée selon laquelle la lèpre est hautement contagieuse est totalement fausse. C’est vrai que c’est une maladie infectieuse transmissible mais dès qu’un malade est diagnostiqué et sous traitement, il n’est plus contagieux. Sinon tout le personnel qui s’occupe de ces malades serait infecté.
Le traitement associe trois antibiotiques spécifiques. Il faut dire qu’en fonction de la classification de la lèpre, le traitement dure entre 6 mois et 1 an.
Comme je le disais au départ, la lèpre se manifeste toujours par une tache claire insensible sur le corps. Ce qui fait qu’on classe la lèpre en deux grands groupes à savoir la lèpre pauci bacillaires qui se diagnostique à partir de 5 taches insensibles sur le corps et le traitement médicamenteux dure 6 mois. Au-delà de 5 taches, on parle de lèpre multi bacillaire qui est la forme la plus contagieuse et dont le traitement dure 1 an. Au cours du traitement, on suit le malade. S’il est dépisté à l’étape de tache, on le laisse rentrer chez lui et il vient faire la prise, se fait superviser chaque début du mois et repart chez lui avec les médicaments qu’il prend tous les jours. A deux jours de la fin du stock, il vient le renouveler chaque mois jusqu’à la fin du traitement.

Quels sont les moyens préventifs dont vous disposez ?

En termes de prévention, il y a les préventions primaires, secondaires et tertiaires. Par rapport à la prévention primaire, les maladies tropicales négligées ont un dénominateur commun. Elles touchent les personnes pauvres vivant dans la précarité avec un cadre de vie insalubre, avec un accès difficile à l’eau potable, et à l’assainissement du cadre de vie. C’est un grand défi que, seul, le système de santé ne peut pas gérer. Il faut des actions pluri disciplinaires. Ce que nous faisons, c’est la sensibilisation à un meilleur cadre de vie et à l’hygiène corporelle. On ne peut pas lutter contre la promiscuité, car tout dépend des moyens de chacun pour s’offrir un cadre de vie aisé. Par contre, en termes de prévention secondaire, les efforts que nous faisons consistent à aider la communauté à se faire dépister tôt au stade de tache. Donc, nous faisons des séances de vulgarisation, d’information de communication pour qu’en communauté, si une tache apparait sur le corps, les gens puissent se faire prendre en charge. Alors nous faisons régulièrement des dépistages intégrés. C’est-à-dire qu’on va en communauté, on sensibilise, on examine toute les personnes qui ont pris part à cette sensibilisation pour voir s’il y a des problèmes de peau. En fonction de ces problèmes de peau, s’il y a des cas de lèpre, on les prend en charge. J’en ai parlé un peu plus haut. Une fois que nous avons dépisté la lèpre chez une personne, ses proches sont pris en charge. S’ils sont négatifs, on leur donne un traitement préventif appelé chimio-prophylaxie préventive. En termes de prévention tertiaire, c’est la prise en charge des complications. On fait des réhabilitations, des réadaptations communautaires. On essaie d’aider les malades. On leur apporte des aides pour la marche d’une part, d’autre part, on essaie d’apporter un soutien psychologique aux parents pour leur permettre de le soutenir aussi. Sans compter que les gens ont dans la tête que souffrir de la lèpre est une malédiction ou un mauvais sort. Ces malades sont stigmatisés et discriminés. C’est vrai qu’il y a des textes contre la discrimination, mais ces textes ne sont ni vulgarisés ni appliqués. L’effort que nous faisons avec l’aide des organisations de la société civile vise à vulgariser ces textes.

Quelles sont les zones du Bénin touchées par cette maladie ?

En fait, la lèpre est endémique dans tout le pays. Mais l’endémicité varie d’une région à une autre. Après des dizaines d’années de lutte, nous avons pu identifier trois gros foyers de la maladie. Il s’agit du Nord-Ouest du pays, du Sud-Est et de la zone méridionale. Dans le Nord-Ouest, il s’agit de Matéri, Tanguiéta, Boukoumbé, Djougou Natitingou. Dans la zone méridionale, il y a Zogbodomey, Djidja, Agbangnizoun, Zangnannado, Ouinhi,… dans le plateau d’Abomey. Mais à l’intérieur du pays, il y a les zones comme Kandi, les départements comme l’Alibori-Borgou et le Mono-Couffo. Nous avons beaucoup de cas autochtones. Nous avons aussi des cas venus d’ailleurs. Le plan aujourd’hui, c’est d’intensifier les dépistages intégrés pour avoir les cas précoces et enfin la chimio-prophylaxie préventive pour les proches pour réduire la transmission. L’OMS a vite fait de dire que nous avons atteint le seuil d’élimination, mais nous n’avons pas atteint le seuil de transmission. Même à Cotonou, nous avons des cas dans les banlieues comme Ladji, Agbodjèdo, Agbato et à Cadjehoun.
Propos recueillis par Yasmine ALONOMBA (stag)
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