A l’entame de cette nouvelle année 2014, nous avons jugé opportun d’analyser si les objectifs fixés en matière de promotion de la femme au Bénin, ont été atteints au cours de l’année écoulée. Ceci, afin de faire la lumière sur les réalisations, contraintes et défis s’imposant à cette lutte. Le Professeur Vicentia Boco, Présidente de l’Institut National pour la Promotion de la femme (Inpf), a bien voulu nous éclairer en la matière.
Rappelez-nous brièvement le rôle de l’Institut dont vous assurez la présidence ?
L’Institut National pour la Promotion de la femme (Inpf) est une structure dont l’objectif principal est de mener des actions pour que la situation des femmes du Bénin soit un peu meilleure d’ici à quelques années. C’est une structure qui est sous la responsabilité directe du Chef de l’Etat et donc dépend de la présidence de la République. Mais dans ses actions, elle essaie de travailler pour toutes les femmes, qu’elles soient intellectuelles ou rurales, et quel que soit leur bord politique. C’est très important de signaler cela. Nous essayons donc de travailler de manière à ce que toutes les femmes (et tous les hommes aussi) du Bénin, le reconnaissent comme un outil à la disposition de toute la population béninoise. L’Institut a donc 3 rôles importants .Premièrement conduire des études et des recherches pour faire le point et analyser la situation des femmes. Ensuite, Faire des propositions d’amélioration des conditions de la femme. C’est vous dire d’emblée que l’Institut n’a pas de rôle opérationnel, c’est-à-dire que nous n’allons pas sur le terrain pour organiser les femmes ou leur faire des dons, ce qui est le rôle du ministère de la famille. Nous avons plutôt un rôle de réflexion, un rôle prospectif. Enfin, nous faisons des formations dans le domaine du genre au profit des structures qui en éprouvent le besoin (les ministères, institutions privées) pour la prise en compte de manière égalitaire des hommes et des femmes dans tout acte posé, dans la mise en place d’une structure ou d’un programme, tel que le recommandent les Objectifs du millénaire pour le développement. Nous évaluons par la suite la prise en compte du genre par ces structures, en particulier dans leur Plan de travail annuel, et en général dans le domaine du développement, de la politique, afin de les réorienter si nécessaire. Nous nous occupons donc non seulement de la promotion de la femme, mais aussi des hommes. La femme étant manifestement lésée par rapport aux hommes en termes de bénéfices du développement (enseignement, éducation, logement, accès aux soins de santé, revenus), une institution comme la notre est nécessaire pour diminuer les inégalités entre les hommes et les femmes. Enfin, nous informons la population et surtout les structures de prise de décision sur tout ce qui concerne les femmes ; d’où la vulgarisation de toutes les recherches faites sur les femmes via notre site web et dans notre centre de documentation.
Quelles ont été les actions menées pour la promotion de la femme en 2013 ?
Nous avons un plan stratégique 2011-2015, et toutes nos actions découlent de ce plan stratégique. Nous déclinons ce plan stratégique tous les ans, en plan de travail annuel (Pta). Notre Pta de l’année dernière a prévu un certain nombre d’actions qui ont été exécutées. Je puis vous dire avec beaucoup de plaisir que nous avons exécuté en 2013, 95% de notre programme d’actions et qui n’était pas mince. D’abord, nous avons fait un certain nombre de recherches sur la femme telle une recherche sur la prise en compte du genre dans les programmes de santé. Cette recherche nous a fait réaliser que tous les programmes de santé ne tiennent pas compte des besoins spécifiques des femmes. Nous avons donc fait des propositions pour une meilleure prise en compte du genre dans les programmes de santé. Ce qui nous a amené à faire une seconde étude intitulée : institutionnalisation du genre dans les programmes de santé, pour amener ces programmes à tenir compte à la fois des besoins des femmes et des hommes. Nous avons fait une étude sur l’apport des femmes dans les revenus des ménages qui a montré que dans plus de 60% des ménages, dans les villes et globalement à l’échelle du Bénin, les revenus apportés par les femmes sont supérieurs aux revenus apportés par les hommes. Ce qui change complètement la vision économique qu’on doit avoir de l’apport des femmes. Celles-ci travaillent aussi dans l’informel. Or, quand on calcule le Pib, l’on ne prend pas en compte leurs besoins. C’est important de le dire, car cela implique que la mesure de notre économie tient très peu compte de ce que les femmes apportent au pays. C’est une forme d’injustice aussi, parce que cela veut dire que le travail des femmes n’est pas reconnu. Nous avons fait une autre étude sur la relation hommes et femmes et leur impact sur le développement. Cette étude a montré que si nous mettons tant de temps à nous développer, c’est justement parce que la relation homme-femme est déséquilibrée. Par exemple, si on donnait les mêmes chances aux filles qu’aux garçons, nous nous développerions beaucoup plus vite, parce qu’il y aurait plus de bras valides, plus de compétences, d’intelligence active et plus d’opportunités. Ainsi, la qualité de la relation actuelle entre les hommes et les femmes dessert non seulement la femme, parce qu’elle est considérée comme une quantité négligeable, mais surtout dessert le développement de notre pays. Nous sommes aussi en train de finaliser un film documentaire sur certains groupements féminins. Mais comme il y en a beaucoup, nous avons choisi des groupements féminins dans les milieux ruraux, et nous avons essayé de montrer ce que le fait d’être en groupement apporte de plus aux femmes et à l’économie nationale.
Enfin, nous avons mis en place une formation universitaire et professionnalisée de deux ans en genre à l’Université d’Abomey-Calavi. Car nous avons réalisé que les cadres qui animent les cellules genre des ministères ne sont pas toujours formés en la matière et que les compétences en genre sont nettement insuffisantes et vieillissantes. D’où la nécessité de former des personnes dans les ministères, les entreprises et organisations privées afin qu’elles aient les outils nécessaires pour conseiller efficacement les autorités sur les programmes à développer dans le domaine du genre. Le dossier de la formation est prêt, l’arrêté pour la formation est signé, mais nous n’avons pas encore démarré la formation. Nous sommes à l’étape de construction des curricula, et dès qu’ils seront terminés, nous lancerons cette formation qui sera sanctionnée par un diplôme. Ce qui implique que les personnes qui seront formées auront non seulement des compétences en genre, mais elles pourront aussi se prévaloir de cette formation académique qui est un levier important pour valoriser le genre et rompre avec sa conception galvaudée. Le genre est en réalité, la clé du développement. Les pays socialement et économiquement les plus avancés aujourd’hui, sont les pays où les inégalités entre les hommes et les femmes sont les moins importants. On ne va pas réinventer la roue, mais s’il faut cela pour que nous nous développions, c’est assez compréhensible. Il vaut mieux avoir quatre bras valides pour travailler plutôt que deux. Au quel cas, ce serait ralentir le développement de notre pays et ne pas lui donner réellement les chances d’être accompli.
Quelles sont les difficultés qui ont jalonné l’atteinte des missions de l’Inpf ?
L’institut a deux grandes difficultés tel un énorme déficit en ressources humaines pour exécuter nos actions. Ce qui est lié au fait que nous relevons de l’Etat. Ainsi, faute de ressources humaines, nous n’arrivons pas à trouver un personnel compétent. Ensuite, la seconde difficulté est liée aux ressources financières. Nous avons donc très peu de moyens financiers et nous sommes souvent obligés de faire des gymnastiques pour ne pas baisser les bras. Mais nous ne nous décourageons pas et nous essayons de faire de cet institut, un outil efficace au service des femmes.
Quels ont été les principaux acquis de votre lutte au cours de l’année écoulée ?
Il faut dire que les bénéfices de nos actions ne peuvent pas être visibles immédiatement. Car, comme je l’ai indiqué plus haut, nos actions rentrent dans le cadre de la prospection. Ce ne sont donc pas des actions qui peuvent porter tout de suite. Leurs bénéfices ne se verront concrètement que dans 5, 10 ou 20 ans, donc à moyen et long terme. Par exemple, il y a deux ans, nous avions fait une étude sur la formation des filles dans les séries techniques et scientifiques qui avait montré qu’elles y étaient très peu nombreuses, soit 3%, 5% voire 0% dans certaines disciplines. Mais depuis l’année dernière, l’Etat donne des bourses pour les filles qui veulent aller dans ces formations là. Quand nous avons fait également l’évaluation de certains ministères qui a montré que les cellules genre n’étaient pas fonctionnelles et que les cadres qui les animent n’étaient pas compétents, il y a une loi qui a été prise pour imposer aux ministères de consacrer au moins 30% de leur budget aux actions de genre. Il y a donc des avancées et c’est par de telles mesures que nous allons voir les avancées sur le terrain. Il faut surtout un changement de méthodes de travail des administrations publiques et privées pour que le genre soit mieux intégré dans leur fonctionnement. Ce qui ne peut se mesurer à court terme.
Des perspectives pour 2014?
Nous allons poursuivre nos enquêtes de terrain au cours desquelles nous avions rencontré les femmes qui ont fortement souhaité que l’institut soit déconcentré. Nous avons donc cette année, pour principal challenge, d’installer des antennes départementales de l’Inpf. Ne serait-ce que pour qu’elles jouent un rôle d’observatoires. Au lieu que ce soit de Cotonou que nous nous déplacions pour aller vers les départements, il y aurait donc une structure de promotion de la femme sur place dans chaque département. C’est notre grand défi. Par ailleurs, nous allons poursuivre l’exécution de notre programme d’actions en renouvelant notre Pta pour le compte de la nouvelle année. Nous allons aussi commencer par travailler sur notre plan stratégique de 2016 après avoir fait le bilan des résultats du plan stratégique actuel afin d’essayer de nous projeter pour les 5 prochaines années. Ceci, afin d’œuvrer davantage en faveur des femmes pour qu’elles soient mieux prises en compte dans les programmes de développement.
Que conclure ?
Comme nous sommes en début d’année, je voudrais profiter de votre tribune pour souhaiter une très bonne année à toutes les femmes du Bénin, en particulier à toutes les filles et de manière corollaire, à tous les hommes. Il est vrai que nous traversons actuellement une période un peu délicate. Mais il est important que chacun de nous prenne conscience que le salut ne viendra pas des autres. Que chacun à son poste de responsabilité ou dans la vie quotidienne joue sa partition et développe une manière d’être, de faire, qui puisse faire régner dans notre pays, la concorde et la paix. Nous en avons besoin pour notre développement. Restons donc unis pour construire ce pays et donner envie à nos nombreux frères vivant à l’extérieur, de rentrer pour construire leur pays au lieu de construire les pays d’autrui.
Interview réalisée par Monaliza Hounnou