Les complications se poursuivent pour le projet de budget général de l’Etat, exercice 2014. Selon les développements qui se font à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle, le 30 décembre 2013, ce budget aura connu toutes les polémiques possibles. Dans une analyse, Serge Prince Agbodjan, juriste de son état, explique comment le tout prochain acte de l’Assemblée nationale au sujet de cette affaire de budget pourrait aller contre la Constitution béninoise. Il met à l’index l’article 3 de la décision Dcc 13-171 du 30 décembre 2013 de la Cour constitutionnelle comme étant l’élément qui aura tout gâté.
Toutes les décisions qui seront prises par l’Assemblée Nationale du Bénin après le 31 décembre 2013 dans le cadre du vote de la loi de finances exercice 2014 sont contraires à la Constitution du 11 décembre 1990.
Dans le processus du vote de la loi de finances exercice 2014, notre pays est en train de montrer à la face du monde comment le non respect de la loi dans son esprit peut amener de graves contradictions dans le fonctionnement régulier des Institutions. Comme je le rappelle aussi souvent, « le droit n’est pas de la magie et lorsque nous parlons de l’Etat de droit, nous parlons tout simplement du respect de la loi. C’est la primauté de la loi qui s’impose à tous ». Un Etat de droit exige tout simplement le respect de la loi.
Chercher à biaiser les lois peut nous amener à être en contradiction avec nos propres textes. La situation dans notre pays au lendemain de la prise de l’ordonnance par le Président de la République conformément à l’article 110 de la Constitution du 11 décembre 1990 en est une belle illustration.
En effet, par décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013, la Cour Constitutionnelle dans une exceptionnelle décision a dit et jugé que :
Article 1er : - La procédure suivie pour le vote de la loi de finances portant budget général de l’Etat, exercice 2014, par l’Assemblée Nationale le jeudi 19 décembre 2013, est contraire à la Constitution.
Article 2 : -Le vote de la loi de finances portant budget général de l’Etat, exercice 2014, intervenu à l’Assemblée Nationale le jeudi 19 décembre 2013, est nul et de nul effet.
Article 3 :- L’Assemblée Nationale doit voter impérativement la loi de finances exercice 2014 le 31 décembre 2013 conformément aux dispositions de l’article 56 de son règlement Intérieur.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Messieurs Gilbert Bangana, Emile Tossou et Moussou Monhoussou, Députés à l’Assemblée Nationale, à Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, à Monsieur le Président de la République et publiée au Journal Officiel.
L’analyse de cette décision « controversée » du 30 décembre 2013 montre d’une part, que la Cour Constitutionnelle a procédé à l’annulation du vote de la loi de finances portant budget général de l’Etat, exercice 2014, par l’Assemblée Nationale le jeudi 19 décembre 2013 et d’autre part, l’obligation faite à l’Assemblée Nationale de voter impérativement la loi de finances exercice 2014, le 31 décembre 2013 conformément aux dispositions de l’article 56 de son Règlement Intérieur.
Si nous pouvons malgré tout, comprendre difficilement la remise en cause du vote secret pour la procédure de l’adoption du budget, l’injonction de la Cour Constitutionnelle à savoir : « de voter impérativement la loi de finances exercice 2014, le 31 décembre 2013 » est la décision la plus difficile à admettre lorsque nous analysons le processus allant à la tenue d’une session plénière à l’Assemblée Nationale.
En effet, l’utilisation de l’article 114 de la Constitution par la Cour Constitutionnelle en la matière n’est pas pertinente car, l’organe régulateur du fonctionnement des Institutions ne saurait faire une injonction aux députés de voter impérativement la loi de finances exercice 2014, le 31 décembre 2013 » dès lors que la Constitution elle-même a prévu des mécanismes pour faire face au refus des députés de se prononcer sur la loi de finances. Si notre loi suprême qui est la Constitution du 11 décembre 1990 a prévu cette possibilité, pourquoi la Haute juridiction voulait que l’Assemblée Nationale en moins de 24 heures tienne sa session pour opérer un vote ?
Cette position de la Cour constitutionnelle cache quoi ?
Comment rendre cette exigence opérationnelle lorsqu’on sait que les députés ne sont pas tous sur place à Porto-Novo et que certains sont déjà dans leur fief électoral ou pas sur le territoire national ?
La Constitution elle-même dans le dernier alinéa de l’article 68 (cas de la prise de mesures exceptionnelles) n’a pas fixé un délai aux députés de se réunir mais plutôt a indiqué tout simplement à l’Assemblée Nationale de se réunir de plein droit en session extraordinaire. Dans le cas de l’article 110, le Constitution a donné un délai de 15 jours. Si le Constituant de la loi fondamentale l’a fait ainsi, c’est certainement parce qu’il savait que la participation d’un député à une session plénière exige le respect de certaines exigences constitutionnelles.
Avant la tenue d’une session même si elle est extraordinaire, la Conférence des Présidents doit émettre son avis sur l’ordre du jour. C’est ce que reprend l’article 38 du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale qui dispose que : « La Conférence des Présidents émet un avis sur l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée Nationale proposé par son Président. Elle peut être consultée sur tout autre sujet par tout membre de ladite Conférence ».
Même si l’ordre du jour de cette rencontre du 31 décembre 2013 était connu et qu’il s’agissait pour l’Assemblée Nationale de reprendre son vote, la sagesse et le respect des textes exigent la convocation de cette instance du parlement pour ne pas tomber dans la violation des textes de l’Assemblée Nationale, motif de la requête objet de la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013.
La Cour Constitutionnelle avait peut être omis cette phase de la procédure au parlement sinon elle aurait indiqué au Président de l’Assemblée Nationale dans sa décision du 30 décembre 2013 de « mettre en veilleuse » toutes les règles et procédures réglementant la tenue d’une session plénière à l’Assemblée Nationale.
Si nous savons aussi à travers l’article 48.2 du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale qu’ « Aucune affaire ne peut être soumise aux délibérations de l’Assemblée Nationale sans avoir, au préalable fait l’objet d’un rapport écrit (ou verbal en cas de discussion immédiate) de la commission compétente au fond », l’on est en droit de se demander vu le délai de l’injonction de la Cour Constitutionnelle comment tenir cette exigence pour le 31 décembre 2013 ?
L’évidence de l’inapplication de cette partie de la décision du 30 décembre 2013 est venue nous montrer que la prise d’une bonne décision passe par une approche factuelle pour la prise de décision. C’est ce qu’on nous enseigne dans le 7ème principe de Management de la qualité lorsqu’on nous rappelle que « les décisions efficaces se fondent sur l’analyse de données et d’informations ».
Quel sort pour les décisions qui seront prises par l’Assemblée Nationale du Bénin après le 31 décembre 2013 dans le cadre du vote de la loi de finances exercice 2014 ?
La réponse à cette question se retrouve dans l’article 124 de la Constitution du 11 décembre 1990 qui dispose que : « - Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.
Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.
La Cour a dit et jugé dans l’article 3 de sa décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 que : « L’Assemblée Nationale doit voter impérativement la loi de finances exercice 2014, le 31 décembre 2013 conformément aux dispositions de l’article 56 de son Règlement Intérieur ».
Manifestement nous venons de constater que cette décision qui est sans recours n’a pas pu se réaliser. La conséquence de droit qui découle de cette situation est sans ambages. Toutes les décisions qui seront prises et les votes opérés dans le cadre de l’adoption de la loi de finances exercice 2014 après le 31 décembre 2013 au mépris de la décision DCC 13-171 du 30 décembre 2013 seront purement et simplement contraires à la Constitution et donc nulles et non avenues comme le prescrit l’article 3 alinéa 3 de la Constitution du 11 décembre 1990.
Dura lex, sed lex ", la loi est dure, mais c’est la loi.
Pour moi, tout vote fait par l’Assemblée Nationale sur ce sujet de la loi de finances exercice 2014 après le 31 décembre 2013 est nul et non avenu.