Avec une hausse de 9,7 % de leurs recettes fiscales au premier trimestre 2022, les pays d’Afrique de l’Ouest ont démontré leur relative solidité face au choc économique hérité de la crise sanitaire et, plus indirectement, de la guerre en Ukraine. Dans le domaine de la part des recettes fiscales dans le PIB, les pays africains demeurent malgré tout en-deçà des standards internationaux et aspirent à diversifier leurs revenus fiscaux.
Quelques signaux sont au vert…
Selon l’édition 2021 du rapport de Tax Justice Network sur l’état de la justice fiscale dans le monde, les pertes fiscales de l’Afrique, liées aux stratégies d’évitement ou d’exil fiscal des entreprises et grandes fortunes, ont chuté de 17,1 milliards de dollars. La preuve de progrès notables dans la transparence fiscale d’une part et de la coopération régionale et internationale d’autre part. « Au total, les pays africains ont identifié plus de 233 millions EUR (244 millions USD) de recettes supplémentaires grâce au seul échange de renseignement sur demande (ERD) depuis 2014 », souligne le rapport 2022 de l’Initiative Afrique sur la transparence fiscale.
En République démocratique du Congo, les assignations budgétaires ont été dépassées de 130 % en 2021, selon le directeur général des impôts, Barnabé Muakadi Muamba, notamment grâce à une collecte plus efficace de la TVA. En Côte d’Ivoire, les recettes fiscales ont crû de 13 % au premier trimestre de l’année 2022 en rapport à l’exercice 2021. Des progrès qui révèlent aussi la résistance des économies africaines face à la crise sanitaire et le maintien d’une croissance économique solide. Comme souvent sur le continent, le Rwanda apparaît comme un cas d’école, avec une augmentation des « recettes de près de 50 % en 2001 et 2013 », permettant au gouvernement de faire grimper ses dépenses de santé de 3,2 % à 6,5 % du PIB.
Si un grand nombre de voyants sont au vert en Afrique, de nombreux aspects de la collecte fiscale conservent un goût d’inachevé. Car les besoins sont nombreux et la masse budgétaire à mobiliser face aux défis structurels qui attendent le continent dans les décennies à venir est colossale, notamment dans le domaine des infrastructures, de l’énergie ou de l’amélioration des services publics. Pour les seules infrastructures, le besoin en financement est ainsi estimé à 170 milliards de dollars par an jusqu’à 2025, selon les données de la Banque africaine de développement en 2020, soit un manque de 108 milliards, auquel ne pourront pas répondre les seuls mécanismes d’aide internationale.
… mais des faiblesses encore systémiques
Selon Errol Graham, économiste en chef pour l’Afrique à la Banque mondiale, et Moulaye Ibrahim Bamba, consultant « Macroéconomie, Commerce et Investissement » à la Banque mondiale, « la mobilisation des recettes intérieures est en réalité trop faible ». Les recettes fiscales ne représentaient en effet, en 2017, qu’à peine 17 % du PIB des pays africains, contre près de 23 % en Amérique latine et 34,2 % en OCDE. Point de satisfaction, ce taux était légèrement inférieur à 10 % en 2009, signe de progrès notable. Les causes sous-jacentes d’une telle faiblesse des revenus fiscaux dans le PIB africain sont multifactorielles et reposent notamment sur l’informalité systémique de l’économie, près de 90 % de la main-d’œuvre travaillant dans l’économie informelle, contre seulement 15 % dans les pays de l’OCDE.
Autres raisons structurelles : la faiblesse systémique du consentement à l’impôt, les faibles recettes tirées des ressources naturelles ou encore la moindre efficacité des administrations fiscales, les deuxièmes institutions les plus honnies sur un continent où la défiance envers l’État est prégnante, selon un rapport Afrobaromètre, daté de 2016. Comme l’Europe, le continent n’échappe pas non plus à la fraude fiscale, qui constitue une perte comprise entre « 50 et 80 milliards de dollars chaque année », selon les données de l’OCDE.
Les États du continent misent aussi sur d’autres recettes
La numérisation de la collecte fiscale a permis, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, quelques progrès majeurs, de l’ordre de « 20 à 30 % », selon les données recueillies dans les villes ivoiriennes de Yamoussoukro et San Pedro, qui accueillent les premières expérimentations. D’autres pistes d’actions sont explorées, notamment au niveau des droits d’accise -les impôts indirects sur certains produits-, qui représentent « un potentiel important de mobilisation supplémentaire », selon un rapport d’étude sur la fiscalité en Afrique de l’Ouest de la Banque mondiale.
Le Centre international pour la Fiscalité et le Développement suggère ainsi que les pays africains « augmentent les taxes sur le tabac pour améliorer la santé et les finances publiques » et luttent activement contre le trafic parallèle. Dans le monde, plusieurs cas d’école en ont en tout cas démontré la pertinence. Un récent rapport du fonds monétaire international, consacré à l’Albanie, a ainsi salué la direction albanaise des douanes et souligné qu’elle a « acheté à SICPA (NDLR. l’un des leaders de la traçabilité et du marquage fiscal), un système efficace de suivi et de traçabilité des timbres fiscaux pour le tabac et l’alcool », entraînant une hausse directe des revenus fiscaux. Le marché de la collecte des accises est d’ailleurs, en Afrique, particulièrement stratégique et les principaux acteurs du secteur se positionnent activement auprès des gouvernements désireux d’augmenter leurs recettes fiscales.
Aidé par la pandémie et en plein développement sur le continent, le numérique pourrait aussi devenir une niche fiscale intéressante pour les économies africaines. Au début de l’année 2021, le Kenya a ainsi fait entrer en vigueur une taxe sur les services numériques « prélevée sur la vente de livres électroniques, de films, de musique, de jeux et d’autres contenus numériques », qui « s’élève à 1,5 % de la valeur brute des transactions et s’applique aux entreprises étrangères ». La Tanzanie souhaite instaurer une taxe de 2% sur les revenus réalisés par les géants du numérique, « destinée à suivre le rythme de croissance rapide de l’économie numérique ». Une « balle dans le pied », selon les observateurs qui prônent au contraire une absence de fiscalité sur le numérique afin de ne pas grever le développement des États africains dans le secteur.
A terme, un régime fiscal personnalisé au continent ?
Selon Errol Graham et Moulaye Ibrahim Bamba, l’un des principaux maux du système fiscal africain est son héritage occidental, dont l’application sur le continent reste peu adaptée aux économies africaines. Ils prônent notamment « de faibles « taux d’imposition forfaitaire » pour les entreprises du secteur informel », « de fortes incitations pour attirer les entreprises à se lancer dans l’économie numérique » ou encore « de faibles coûts de banque mobile pour faciliter les transactions ». Autant d’éléments clés nécessaires à la création d’un « régime fiscal personnalisé », propre au continent et adapté à ses spécificités économiques.
Source : afrik.com