Le rythme ‘’Lomba-Dagblisohoun’’, importé du bas Ouémé à travers le courant migratoire, s’est enraciné dans la région Agonlin grâce à la perspicacité de Pierre Agnihoun Dossou alias ‘’Gbèmawonmèdé’’, un artiste hors-pair de la musique béninoise. Cette percussion, bien qu’étant populaire, n’est pas ouverte à tout le monde.
La danse ‘’Lomba-Dagblisohoun’’ encore connue sous le vocable ‘’Tchocli-Gandjigbé’’ ou ‘’Tankpéhoun’’, est populaire mais très peu répandue à cause de son caractère sacré. Sur toute l’étendue du territoire national, seule la région Agonlin a le secret du rythme et en détient le monopole. Son origine reste mystique et insondable. En se plongeant dans ses réminiscences, Pierre Agnihoun Dossou raconte qu’il a été ramené de l’Ouémé-Akassa par le chasseur Davikèhoun Tokpon. Ce dernier a surpris au milieu de hautes herbes les animaux, fauves ou non, en pleine séance de répétition de la danse ‘’Lomba-Dagblisohoun’’. Là où le mystère reste entier est que, les animaux qui entre temps ne pouvaient pas se rencontrer, se sont réunis pour animer. N’est-ce pas ? Stupéfait de ce regroupement inédit, le chasseur, malin qu’il soit, a monté la cime d’un arbre où il est resté du début jusqu’à la fin pour nourrir sa curiosité et cerner les subtilités du rythme. Jupe ovale ou ‘’Avlaya’’ nouée à la taille, ces animaux avaient réuni deux gongs jumelés, deux castagnettes, deux tambourins dénommés ‘’Kpézin’’ en langue locale fon et un troisième plus long que les autres. Autour de ces instruments, ils avaient fait leur show sous une paillote de fortune faite d’un drapeau rouge de 8m sur 5m appelé ‘’Abèbè’’. Au cours de l’animation folklorique, l’un des membres de la troupe a aperçu Davikèhoun Tokpon et l’a interpellé. Celui-ci leur a fait part de son désir d’aller à leur école. Volontiers, ils lui ont transmis les rudiments de ‘’Lomba Dagblissohoun’’ avec les interdits y afférents. Ainsi, Davikèhoun Tokpon devient le dépositaire incontesté de cette percussion parce qu’il a réussir à ensemencer les premières graines sur la terre nourricière d’Agonlin. Elles portent leurs fruits depuis des générations jusqu’à nos jours. Le percussionniste « Gbèmawonmèdé » en est donc un>
Tout en gardant l’originalité du rythme sans trop s’intéresser au décor et à l’accoutrement, il a contribué à son rayonnement en y apportant sa touche personnelle. Grâce à lui, cette sonorité a franchi les frontières de la région Agonlin. Avec ses moyens de bord, il a été le tout premier artiste, quand bien même il en existait avant lui, à la mettre sur des supports magnétiques en vue de permettre à tout le peuple béninois de l’avoir à disposition et de le savourer. Il a donc à son palmarès, deux disques de 33 tours et 15 K7. Mais ce n’est pas tout. Il se prépare à mettre très prochainement sur le marché, d’autres produits en Cd audio et vidéo. Il tire son inspiration des saintes écritures, du vécu quotidien des citoyens et de la culture endogène nationale pour éduquer et sensibiliser le peuple. En homme de foi, il magnifie Dieu Tout Puissant à travers ses chansons.
Le ‘’Lomba’’ et ses tabous
« Tout le monde peut jouer le ‘’Lomba’’. Seulement, il faut savoir respecter ses principes » a déclaré Pierre Agnihoun Dossou. Comme tous rythmes sacrés, Lomba Dagblissohoun a donc des tabous auxquels on ne doit jamais se soustraire si l’on veut réellement pratiquer le rythme pendant longtemps. D’après les explications de l’artiste, le port du chapeau, la haine, l’adultère, l’infidélité, le vol, l’envoutement, la viande du mouton, les pratiques occultes sont formellement interdits. Le président du club, le chanteur principal, les membres et même les adhérents doivent respecter ces interdits au risque de subir le revers de l’entêtement. « Cette percussion est un fétiche. Lorsque tu outrepasses les interdits, tu meurs. Ça, c’est sans négociation » a-t-il martelé. Ainsi, il est très rare de voir des gens notamment les jeunes s’engagés dans ce rythme parce que personne ne veut entreprendre quelque chose et en mourir après. « Depuis que j’ai commencé, 22 personnes sont mortes pour leurs inconduites. Une dizaine ont abandonné. Ceux-là ne font pas partie de mon club » a-t-il souligné. Etant couvert par l’esprit des animaux, la sortie officielle de Lomba dans un milieu n’est pas subordonnée à un rituel particulier sauf qu’avant, il faut consulter l’oracle et savoir comment le pérenniser. Il est aussi nécessaire à celui qui anime avec ce rythme de rendre compte chaque année à la divinité de Touwégon.
Qui est
‘’Gbèmawonmèdé’’ ?
Né en 1937 à Houin dans la Commune de Covè, Pierre Agnihoun Dossou est un maître menuisier depuis 1966. Il a exercé ce métier pendant 7ans. Ayant reçu l’appel de la musique à l’âge de 35ans, il a fermé la baraque pour se consacrer à l’art. Il prend alors ‘’Gbèmawonmèdé’’ comme nom d’artiste. Selon lui, ce pseudonyme vient de ‘’Gbè’’ = la providence, ‘’mawon’’= n’oublie, ‘’mèdé’’= personne. C’est-à-dire, seul, Dieu décide de tout et même du destin de chacun. Héritier de la musique traditionnelle, il a tressé la nouvelle corde au bout de l’ancienne mais cette fois-ci avec le rythme Lomba. Ce choix, a-t-il justifié, répond au souci de marquer la différence et de chanter pour la vie et non souhaiter la mort à quelqu’un. A en croire ses propos, ce rythme est dédié à toutes les manifestations populaires. Malgré que ses forces le lâchent, l’artiste ne pense pas à une relève. « Je n’ai pas encore de dauphin » a-t-il confié. A défaut, il est une « bibliothèque » que les jeunes artistes d’Agonlin et d’ailleurs consultent à volonté pour se parfaire.
Zéphirin Toasségnitché