angela kpéidja au sujet de la place de la radio dans l’éducation sexuelle des jeunes : « c’est une erreur de penser que la radio est réservée aux vieux »
Considération faite des obscénités qui ont déferlé sur la toile ces mois et des réactions qu’elles ont suscitées, la question des valeurs de la jeunesse actuelle se pose avec acuité. Si dans leur ensemble, face au numérique, l’amenuisement de l’impact des médias traditionnels sur la couche juvénile a été évoquée, la radio en particulier est taxée d’être en perte de vitesse auprès de cette jeunesse. C’est le sujet sur lequel s’est exprimée Angela Kpéidja, animatrice de l’émission radiophonique Santé en ligne et journaliste-chef du service web de la télévision nationale du Bénin.
Qu’entend-on par éducation sexuelle des jeunes ?
L’éducation sexuelle des jeunes, pour moi c’est l’ensemble des informations auxquelles on expose l’enfant dès ses premiers pas dans la communauté dans le but de construire sa sexualité. Ce sont des informations clés relatives par exemple à la différence des appareils génitaux, de leur fonctionnement, des transformations que subissent les corps que ce soit celui de la petite fille ou celui du garçon. Et puis il y a tout ce paquet de choses à savoir dans le domaine de la santé de la reproduction (la prévention des infections sexuellement transmissibles, la contraception, la reproduction …).
Quels sont les acteurs impliqués ?
Pour moi, il y a la cellule familiale qui est le tout premier des acteurs. Il faut qu’elle brise le tabou autour de la sexualité avec les enfants à travers une relation basée sur la confiance. Il y a ensuite les éducateurs que sont les enseignants de la maternelle, du primaire, du secondaire et de l’université. Et surtout aujourd’hui, il y a les médias traditionnels et ceux en ligne. Enfin, on dit souvent que l’on devient ce que la société fait de vous, donc l’environnement dans lequel l’enfant grandit va avoir aussi un impact sur son éducation sexuelle.
Pourquoi urge-t-il d’aborder le sujet aujourd’hui ?
Le sujet est urgent parce que le développement du numérique expose les enfants à des informations liées au sexe de façon anonyme de sorte que la capacité de discernement des enfants est très tôt éprouvée étant entendu que sur les réseaux sociaux y compris le moteur Google, il y a du bon comme du mauvais. En plus, le fait que le monde soit devenu un grand village planétaire de sorte que les cultures s’entremêlent est un facteur qui entraîne les mutations rapides des mœurs en Afrique. Ensuite, les violences sexuelles qui sont légion aujourd’hui puisent leur carburant dans l’absence d’éducation complète à la sexualité. Par exemple, alors que l’apparition des caractères sexuels secondaires du garçon est presqu’une fête, les premières règles de la fille sonnent son infériorisation par rapport au garçon. Grandir avec ce devoir de se protéger du garçon et ce sentiment d’être supérieur à la fille justifie dans une grande mesure les violences sexuelles. Donc si nous voulons un monde plus égalitaire, nous devons rapidement changer de paradigme en levant le tabou entretenu autour de la sexualité. Ça va jusqu’à la drague … parce que j’ai l’impression qu’aujourd’hui le réflexe, lorsque le jeune garçon ou l’homme veut exprimer son intérêt pour la jeune fille ou la femme, c’est de toucher ses parties intimes…
La radio est-elle le média par excellence pour traiter ce sujet ? Pourquoi ?
Le rôle des médias dans l’éducation de masse est indéniable. Et c’est vrai que la radio est un canal très pertinent quand il s’agit de faire changer de comportement à une communauté. Elle est très accessible, et moins coûteuse. Mais à cette époque, la génération montante n’a d’yeux que dans les portables. Il faut donc que la radio existe sur les plateformes dédiées aux podcasts. Et là encore les podcasts sont meilleurs parce que plus accessibles et moins coûteux (pas besoin de beaucoup de Mo) contrairement à la vidéo !!!
Quelle comparaison faites-vous entre l’approche adoptée dans le passé par la radio et son approche actuelle sur le même sujet ?
Avant c’étaient des émissions interactives, des productions in situ … des jeux radiophoniques … Mais je pense qu’aujourd’hui avec ces mêmes formats il faut virer sur les plateformes. Donc, il faudra proposer des podcasts dans des formats qui accrochent et qui utilisent les jeunes eux-mêmes ou qui utilisent leur langage. Il y a les émissions interactives à mettre en ligne aussi. Mais à chaque fois, il faut faire participer les pairs (les émissions des jeunes pour les jeunes) . Il y a aussi les jeux radiophoniques à travers des applications Web et les films radiophoniques…
Pourquoi faut-il donner la parole aux jeunes sur les antennes ?
Les plus jeunes sont le canal idéal de changement des comportements. Ils ont une grande capacité à en adopter de nouveaux. C’est également plus productif de bons résultats de faire participer les personnes cibles d’une action. A mes débuts à la radio, j’ai déjà eu à voir tout l’intérêt que les jeunes peuvent porter lorsqu’ils sont approchés sur des sujets qui les concernent. La jeunesse aujourd’hui a besoin de faire des choix responsables en matière de sexualité. Il faut tout leur expliquer, les responsabiliser pour espérer un éveil pour renverser la tendance ! Il y a des parents qui ont de la peine à s’adapter aux mutations actuelles. Il ne s’agit plus de faire de la sensibilisation moralisante mais de se mettre au niveau des jeunes pour mieux appréhender leurs besoins dans le but de les éclairer.
Que faut-il changer dans cette approche aujourd’hui ?
Il faudra améliorer le contenu des émissions. Les jeunes doivent se sentir totalement impliqués dans les émissions de sensibilisation. Il serait même formidable que des jeunes aient la charge de ces programmes. Ainsi, l’atmosphère est plus détendue et leurs semblables qui écoutent, sont accrochés. Tout ceci doit se faire de façon décontractée mais appliquée. On pourrait y insérer des moments de détente pour renforcer l’attachement des jeunes aux actions de communication à leur profit.
Que répondez-vous à ces jeunes qui pensent que la radio est réservée aux vieux ?
C’est une erreur de penser que la radio est réservée aux vieux. C’est le média le plus dynamique, le plus accessible à tous. Avec nos smartphones, on a tous la possibilité d’avoir accès à la radio sans dépenser un kopeck. La radio a traversé les temps. Il suffit d’être accroché à un programme pour sentir la nécessité d’écouter la radio. Mais il faut que le programme proposé soit aussi de qualité pour que les jeunes se sentent concernés.
Vous animez l’émission radiophonique Santé en ligne. Quelles difficultés rencontrez-vous pour la réalisation des numéros dédiés à l’éducation sexuelle des jeunes ?
A ces occasions, je me demande souvent si je parviens à toucher le grand nombre de jeunes comme cela est envisagé. Après, parler de l’éducation sexuelle de façon décomplexée peut être encore mal perçu dans notre société. Mais il est absolument nécessaire qu’on brise les codes tout en utilisant le langage approprié. Je dois tout de même reconnaître qu’il y a eu des avancées. Puisque jusqu’à un passé récent, il était encore délicat de parler du sexe sur nos médias.
Quelle place pourrait prendre la radio universitaire en matière d’éducation sexuelle ?
Je crois que la radio universitaire doit être le média par excellence de l’éducation sexuelle dans notre pays. Elle a un atout indéniable puisqu’elle est, a priori, suivie par les étudiants qui constituent sa cible prioritaire. Ce serait donc formidable si elle parvient déjà à toucher la majorité des jeunes qui fréquentent le Campus d’Abomey-Calavi.
L’essor du numérique est-il une menace pour la radio ?
En réalité, l’essor du numérique est une menace pour tous les médias qui ne s’adaptent pas à leur temps. Toutes les radios sont contraintes aujourd’hui d’être présentes sur internet, de proposer des podcasts pour toucher la grande masse. La digitalisation des radios est primordiale pour en faire un outil qui colle aux enjeux actuels. Cela permet aussi de traverser les frontières et de se faire écouter partout dans le monde.
Propos recueillis par Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)