Ingénieur des ponts et chaussées, directeur général des infrastructures de transport, Jacques Ayadji est également actif sur la scène politique. Depuis juillet 2018, il tient les rênes du Mouvement des élites engagées pour l’émancipation du Bénin (Moele-Bénin). Recalé à deux reprises lors des législatives de 2019 et des municipales et communales de 2020, ce parti s’active pour participer pour la première fois à un scrutin. Les législatives du 8 janvier prochain constituent donc un test de légitimité pour cette formation politique qui devra enfin prouver de quoi elle est capable dans les urnes. Paradoxalement, à six mois de cette consultation électorale, l’actualité est fournie au sein de ce creuset où des démissions et suspensions de militants promus à des postes de responsabilité s’enregistrent. Que se passe-t-il au sein de Moele-Bénin ? Malgré ces soubresauts, le parti pourra-t-il compétir et tirer son épingle du jeu ? Sur quoi se fonde ce cercle politique pour prétendre challenger les autres creusets et arracher le gain de la victoire ? Telles sont les questions auxquelles a voulu répondre Jacques Ayadji, sans langue de bois.
Que se passe-t-il au sein de votre parti pour qu’il y ait tant de remous manifestés par des démissions et suspensions ?
D’emblée, je vous dis que le parti Moele-Bénin se porte très bien. Il prépare très bien les législatives à venir, élections au terme desquelles il entend se révéler avec des résultats satisfaisants. Au niveau du parti, nous ne nous intéressons pas à ceux qui partent ou à ceux qui veulent partir. Ce qui importe pour nous, c’est ceux qui viennent. Et Dieu sait chaque jour, nous n’enregistrons que des adhésions et des ralliements du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest.
C’est vrai, certains militants à des niveaux divers de responsabilité ont entrepris de rompre les amarres avec le parti pour des raisons sur lesquelles je ne veux pas insister. Ce qui se passe à leur niveau et qui n’est pas régulier et qui a conduit le Bureau politique national du parti lors de sa session extraordinaire le mercredi 20 juillet 2022 à constater leur non démission parce que la démission est réglementée au niveau des textes fondamentaux du parti. Pour démissionner de Moele-Bénin, il faut adresser une lettre au président et y joindre sa carte de membre, faire le point de ses cotisations et les solder. Dès que le président reçoit la lettre, il l’affecte au bureau directeur national qui dispose d’un délai de deux mois pour se prononcer. Mais ce que nous avons constaté au niveau de ces camarades-là, c’est qu’ils n’ont pas daigné faire cette formalité obligatoire. Ce que nous avons vu comme tout le monde, ce sont des lettres manuscrites publiées sur les réseaux sociaux. Certains parmi eux ont fait des déclarations, les uns pour rejoindre le Bloc républicain, les autres l’Union progressiste. Le bureau politique national a constaté la non démission de ses militants et a signifié par exploit d’huissier aux partis sus mentionnés que ces personnes qui ont publiquement adhéré à leurs regroupements politiques continuent d’être membres de Moele-Bénin. Ils sont donc en situation d’appartenance à deux partis politiques différents. Ce qui est proscrit par la Charte des partis politiques.
Ensuite, nous avons pris en compte les agissements de ces militants sur les réseaux sociaux et qui sont de nature à nuire à l’image du parti pour leur appliquer une sanction qui est leur suspension de toute responsabilité au niveau des instances du parti. Leur cas sera présenté au prochain congrès qui décidera de leur sort.
Pourquoi vouloir les retenir jusqu’au congrès alors qu’ils disent publiquement qu’ils veulent partir ?
Nous nous sommes engagés aux côtés du chef de l’Etat pour l’accompagner dans l’assainissement des mœurs politiques. Lorsque vous décidez librement d’adhérer à une organisation politique qui a des textes, c’est que vous souscrivez à ces textes là et vous devez les respecter. Notre intention, ce n’est pas de les empêcher de démissionner. Mais il faut respecter les textes.
La procédure est très contraignante justement...
La loi est dure, mais c’est la loi. Ils ont participé à la rédaction de ces textes, à leur étude et à leur adoption. Pour adhérer, il y a des conditions à réunir. Pour démissionner, il y a également des conditions à remplir. Ce n’est pas pour la première fois que les gens démissionnent du parti. Par le passé, le bureau politique n’a pas senti la nécessité de faire le constat de la non démission et d’aller jusqu’aux suspensions.
Les raisons évoquées pour ces démissions à polémique ne sont-elles pas des appels à votre endroit pour que vous alliez à la fusion avec le Bloc républicain ou l’Union progressiste ?
Je n’ai pas cette lecture des événements. Certes, ils ont dit que le chef de l’Etat a demandé à tous les partis de se mettre en deux rangs et qu’ils quittent le parti pour respecter ce mot d’ordre dont ils ont seul le secret. Ce que je sais par contre, c’est que le 6 février 2021, le président de la République, lors de sa visite à Moele-Bénin, a bien précisé qu’il soutient l’existence du parti et qu’il va travailler pour qu’il s’enracine dans tout le pays. S’ils veulent adhérer à un autre parti, c’est leur droit.
Quand des militants d’autres partis veulent adhérer à Moele-Bénin, on leur interdit de jeter de l’opprobre sur leurs anciens partis, car ils ont contribué à construire ces creusets-là, ils ne sauraient donc les discréditer parce qu’ils démissionnent.
Les adhésions que vous enregistrez chaque jour et qui vous rassurent ne sont-elles pas du trompe-l’œil ?
Ce n’est pas le cas. Les gens adhèrent à visage découvert. Vous n’allez pas dire que les adhésions du professeur Koffi Aza, du ministre Allabi Gbègan, de Edgard Soukpon, par exemple, sont du leurre. Aujourd’hui, ils sont avec nous parce qu’ils partagent nos idéaux. Vous n’allez pas dire que toutes ces femmes du Bénin qui nous rejoignent nous trompent. Ne l’oublions pas. Moele-Bénin est le parti des jeunes et des femmes. C’est le parti de l’inclusion. Quand vous voyez la composition du parti, vous retrouvez le peuple béninois en miniature. Ces femmes en situation de handicap qui adhèrent massivement travaillent réellement à nos côtés.
Puisqu’il n’y a pas de leaders politiques forts qui aient fait leurs preuves à plusieurs échéances électorales au sein du parti, sur quoi se fonde le parti pour espérer avoir un bon score lors des prochaines législatives ?
Lorsque vous prenez la population béninoise, elle est majoritairement jeune. Donc le parti majoritaire aujourd’hui au Bénin, c’est Moele-Bénin. C’est le parti des jeunes et des femmes. Attendez simplement 2023 pour voir si les jeunes ne vont pas s’exprimer pour se révéler. Et toutes les attaques dont Moele-Bénin fait l’objet aujourd’hui montrent que le parti représente quelque chose dans le pays. Personne ne s’attaque aux moins que rien. Lorsqu’on s’attaque à vous, c’est parce que vous représentez quelque chose. Pourquoi les autres partis ne font pas l’objet de tant d’attaques ?
La jeunesse sur laquelle vous vous appuyez est pressée de se réaliser. Est-ce que les jeunes qui sont avec vous auront la patience de militer pour faire grandir le parti ?
On ne peut pas stigmatiser la jeunesse en disant qu’elle est pressée. Le Béninois en général, qu’il soit jeune ou moins jeune, est pressé. Depuis les années d’indépendance, Emmanuel Mounier a fait ce constat. Donc il faut travailler à ce que cette mentalité soit déconstruite et c’est ce que nous sommes en train de faire. Les gens viennent dans des partis parce qu’ils ont des agendas privés et quand ils font un bout de temps sans obtenir gain de cause, ils vont chercher des solutions ailleurs. Il y en a aussi parmi ceux qui veulent partir de Moele-Bénin, car ils espèrent que le parti fasse pression sur l’Etat afin que des factures de diverses prestations leur soient payées. Si c’est ce qu’ils espèrent depuis 2018 et qu’ils ne l’ont pas obtenu, ils pensent qu’en allant ailleurs, ils auront satisfaction. Mais là encore, il faudra attendre le 9 janvier 2023 avant d’adhérer à un autre parti. Aujourd’hui, nous sommes dans la période des six mois avant les élections législatives. Nos textes sont clairs sur ce sujet. Aucune démission n’est recevable dans notre parti à moins de 6 mois d’une échéance électorale constitutionnelle. De la même manière, aucune démission n’est recevable moins d’un an après une adhésion. Vous avez raison de penser que certaines personnes vont dans les partis pour résoudre leurs problèmes faisant ainsi fi de l’idéologie qui doit en principe guider les choix.
Puisque vous en parlez, est-ce que la logique des idéologies prévaut réellement dans notre système partisan ?
Ce n’est pas encore ce qui est souhaité. Même la charte des partis politiques en vigueur fait de l’idéologie une faculté, ce que Moele-Bénin ne partage pas. Nous l’avons martelé lors du dernier dialogue politique en insistant sur le fait que la loi doit prescrire l’idéologie comme une obligation. Tout le monde sait que Moele-Bénin a pour idéologie la social-démocratie. Si un jour, Moele-Bénin doit faire un pas vers un parti politique au Bénin aujourd’hui, pour ne pas faire des alliances contre-nature, il ne peut qu’aller vers les partis d’obédience social-démocratie. C’est pourquoi à l’occasion des municipales et communales de 2020, lorsque nous avons été éliminés par la Commission électorale nationale autonome et qu’il fallait quand même prendre position pour soutenir un parti, nous sommes allés vers l’Union progressiste pour rester lisible dans notre idéologie. Ce ne sera pas facile de faire respecter les idéologies, car depuis 1990, nous sommes en train de balbutier et ce n’est pas en 5 ans que cette mentalité sera déconstruite. Mais il faut commencer un jour et c’est ce que nous avons modestement l’ambition de faire.
Lors des prochaines législatives, que compte faire Moele-Bénin pour faire face aux autres partis qui ne sont pas des figurants sur la scène politique ?
Moele-Bénin observe sur le terrain qu’il bénéficie d’un capital d’estime des populations et même des autres partis politiques. On voit que Moele-Bénin est un réceptacle de cadres qui forcent l’admiration. Je reçois beaucoup de confidences. Il y a un poids lourd de la politique au Bénin dont je tais le nom qui a confessé que ce que nous réussissons à faire, ils n’ont pas pu le faire. Nous parvenons à faire entrer en politique ceux qui hier la considéraient comme de la pourriture. Avec ce capital de sympathie et de bons positionnements sur nos listes, nous allons étonner. C’est tout le bonheur que nous nous souhaitons.
Ces élections seront les toutes premières auxquelles le parti va participer. Comment comptez-vous capitaliser vos points positifs pour engranger au moins 10% des suffrages exprimés au soir du 8 janvier prochain ?
C’est une question qui relève de la stratégie du parti. Cela ne se révèle pas sur la place publique. Je ne saurais vous dévoiler tout ce que nous cuisinons à l’interne.
Est-ce à dire que le parti est à même de faire face aux deux grands blocs de la mouvance et autres partis dont ceux de l’opposition sans trembler ?
Nous sommes résolus dans notre démarche. Nous n’avons peur de personne. La balle est ronde pour tout le monde.
N’êtes-vous pas en train d’utiliser la langue de bois ? On sait bien que dans la forêt, tous les animaux ne sont pas logés à la même enseigne. N’est-ce pas de la prétention que de penser que vous pouvez vaincre les plus grands ?
Sans fausse modestie, si on doit parler de jeunesse des partis en considérant la réforme du système partisan, Moele-Bénin n’a qu’un seul aîné et c’est le Parti du renouveau démocratique. Nous sommes nés en juin 2018 et les partis auxquels vous faites allusion sont nés bien après.
La Commission électorale nationale autonome a donné le ton en rappelant aux partis la liste des pièces à fournir par candidat. Votre parti a-t-il les ressources pour mobiliser la caution exigée par candidat ?
Ensemble, on est fort. Je suis par ailleurs membre du Lions club international. Nous avons élu la dernière fois à Montréal le président au niveau international qui a pour devise « together, we can (ensemble, nous pouvons) ». C’est vrai que lorsqu’on considère le montant à l’échelle individuelle, ça parait considérable. Voyez comment les termites parviennent à construire de géantes termitières. Un parti politique, c’est un groupe de personnes qui partagent les mêmes idéaux et qui travaillent ensemble pour les atteindre. L’effort sera collectif. Evidemment, les cinq doigts de la main ne sont pas égaux. Certains vont contribuer, d’autres peut-être pas. Dans les Saintes Ecritures, c’est celui qui n’a qu’un centime et qui le donne en offrande qui est célébré. Chacun donnera à la hauteur de ses capacités pour qu’ensemble, on puisse y aller.
Si, comme ce fut le cas en 2019, l’opposition ne participait pas à ces élections, serez-vous fiers d’y participer dans ces conditions ?
La participation à une élection est libre et volontaire. On ouvre le registre de candidature et ce sont les partis qui veulent participer et qui remplissent les conditions qui se manifestent. Nous autres n’attendons que nos challengers. Notre souhait, c’est que tous les partis puissent aller à ces élections. Cela a été le cas en 2019. Ceux qui n’ont pas été admis à y participer ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Ils n’ont pas voulu y aller et ils n’y sont pas allés. Ils ont voulu ramasser le pouvoir par terre en créant un blocage. Tout était parti pour que tous les partis participent à ces élections. Hélas, le consensus trouvé en ce temps a été remis en cause. Donc, personne n’a été empêché de participer à ces élections.
Nous en tant que parti n’avons pas pu être en lice parce qu’il y avait des insuffisances dans nos dossiers notamment un doublon. C’était difficile à supporter, mais nous l’avons accepté. Heureusement que ce souci a été réglé maintenant avec le nouveau code électoral et les doublons n’invalident plus les dossiers, car la possibilité est donnée aux partis de les rectifier au bout de 72h.
Avez-vous un appel à lancer ?
Je voudrais m’adresser aux chapelles politiques. Nous avons le devoir d’accompagner le président Patrice Talon dans la réforme du système partisan. Il faut que les gens adhèrent aux partis politiques en se référant aux idéaux. Que les partis évitent d’encourager le vagabondage politique.
Quant à nos militants, je leur demande de rester sereins et de se réjouir du fait que Moele-Bénin fasse l’objet de toutes les attentions. C’est un bon signe qui montre qu’au soir du 8 janvier prochain, notre parti va se révéler au peuple béninois et au monde entier. Ainsi, nous allons démontrer que ce que la jeunesse vaut, Dieu veut et que ce que femme veut, Dieu le veut aussi. Mieux, ce que jeunesse et femme veulent, Dieu veut.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU et Angelo DOSSOUMOU