Une fois la surprise de la teneur du discours de présentation de vœux du président de l’Assemblée nationale passée, il serait utile de revenir sur quelques aspects de son analyse fouillée de l’actualité politique nationale.
Mathurin Coffi Nago se pose désormais en sage qui veut conjurer un grave danger qui pointe à l’horizon. C’est ce qui transparaît à travers son discours remarqué. Et pour beaucoup d’observateurs attentifs de l’évolution de la démocratie béninoise, expliquer la saillie du président de l’Assemblée nationale, cette verve mordante qu’on ne lui connaissait pas, par les seuls enjeux de la présidentielle de 2016, serait réducteur. Car à lire attentivement son discours de présentation de vœux, le chef du Parlement va au-delà de cette perspective. Certes, tout au long de son discours, il s’est posé en homme politique proche du peuple. A tort, cette posture pourrait faire croire qu’il cherche les faveurs des électeurs, ou tout au moins un meilleur positionnement.
Cependant, à y voir de près, le président de l’Assemblée nationale est plutôt dépassé par les événements. Quand il parle de concitoyens qui « déchantent et s’emmurent parfois dans la prison du silence », cette observation n’est peut-être pas très éloignée des réalités auxquelles il est parfois confronté. Mathurin Coffi Nago, pour avoir « servi » le Chef de l’Etat, sans rien dire et peut-être trop longtemps, a fini par en avoir un peu mare. Devenu pessimiste face à l’accumulation des maux qui frappent fatalement un peuple qui souffre déjà le martyr, il a voulu soulager sa conscience et partager ses ressentiments. C’est un acte salutaire et d’une portée historique.
Du coup, on comprend mieux pourquoi plus loin dans son discours, il fait remarquer ceci : « Ma conviction est que par le dialogue franc et sincère, et le respect scrupuleux des textes, on évitera à coup sûr, la guerre des institutions, et les mépris et frustrations qui en résultent ». A travers ce métalangage, il se fait l’écho d’une déception trop souvent refoulée. On aura donc compris, à travers les ressentiments qu’il a, à mots couverts, dévoilés, qu’il ne se pose pas nécessairement en homme politique « opportuniste ». Mais, plutôt en un observateur politique averti, un intellectuel qui éclaire les siens, face à ce qu’il n’est pas loin d’appeler un acharnement du sort.
Un peuple au moral très bas !
Il n’en pouvait pas être autrement dans une situation politique en état de prévarication avancée, où le 2ème personnage de l’Etat se sent lui-même obligé de confier le doute d’un peuple : « un peuple qui exprime souvent un sentiment d’abandon ; un peuple qui exprime des sentiments d’incompréhension, et de déception face à la multiplication des actes et scandales de corruption et de malversation…bref, un peuple au moral très bas et qui semble perdre confiance en lui-même ». C’est le constat d’un échec. Un échec qui a fini par générer une crise. Et le dire ainsi, en face du monde, depuis le Palais présidentiel, devant l’Assemblée des présidents d’institutions de la République, est un acte peu banal. Parce que désormais, le jeu politique se jouera avec de nouvelles règles. En effet, le Professeur ne s’est pas voilé la face. Il a pris le risque de mettre le pied dans les plats. Alors qu’il aurait pu choisir de se refugier dans un confort de « mots doux », et au conformisme de bon aloi souvent choisi par les politiques pendant ces circonstances.
Eviter les spectres malien et centrafricain
Le spectre d’une déflagration menace toujours. C’est pour cela qu’il a subrepticement établi un parallèle avec la guerre civile au Mali et la situation chaotique en Centrafrique. Deux pays où l’incurie et les limites de la classe politique ont conduit à des impasses. Et de mettre, une fois cela dit, les hommes politiques béninois devant leurs responsabilités. « Certes Dieu aime beaucoup le Bénin. Nous le croyons tous et l’affirmons régulièrement au point de penser que nous pouvons nous permettre de jouer parfois « aux enfants gâtés » et que Dieu se chargera à tout moment de réparer nos erreurs et nos fautes, voire de travailler à notre place. Cela n’est pas évident », martèle-t-il. En d’autres termes, Mathurin Coffi Nago met en garde les « apprentis-sorciers » qui aiment à jouer avec le feu.