(Réorienter le message en faveur de la parenté responsable)
Malgré la polémique suscitée par sa transmission à l’Assemblée nationale, la loi sur l’Interruption volontaire de grossesse (Ivg) a été adoptée par les députés le 21 octobre 2021 puis promulguée par le Chef de l’Etat le 20 décembre 2021. De l’Église catholique à la religion musulmane sans oublier les gardiens de la tradition et dans l’opinion, cette loi légalisant l’avortement, malgré l’esprit du législateur de limiter les dégâts liés aux avortements clandestins, n’est pas la bienvenue. Mais de ces griefs, se dégage une lueur d’espoir pour la parenté responsable, la contraception…
Si le Bénin s’est illustré comme l’un des rares pays d’Afrique à autoriser les avortements, le chemin a été jalonné d’épines. Et peut-être qu’il faudra encore faire face à une certaine résistance malgré l’adoption et la promulgation de la loi N° 2021-12 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin. En effet, l’annonce de la transmission de ladite loi au parlement a suscité un véritable tollé dans l’opinion au point où très peu de place était laissée à l’optimisme.
Car faut-il le souligner, même le président de l’Assemblée nationale s’y était opposé. Au détour d’un atelier à Grand-Popo, quelques jours avant l’adoption de la loi, Louis Vlavonou a estimé que l’avortement étant la négation de la vie à un enfant, les députés n’ont pas à décider de la vie d’un individu. “Plus il (l’enfant) est petit, plus nous devons le défendre…Nous devons continuer à…protéger celui qui est sans défense“, avait-il martelé en invitant les auteurs d’une grossesse à assumer leur responsabilité jusqu’au bout car l’avortement, précise-t-il est la mort d’un tout petit (embryon). Et pour le Chef du parlement, il faudra se contenter des dispositions légales autorisant l’avortement en cas de viol ou encore de risque de mort. Seulement qu’au dernier moment, ce dernier est revenu sur sa décision pour voter en faveur de l’adoption de ladite loi.
Et le plus grand écho venait de l’Eglise catholique qui a marqué son opposition à l’adoption de la loi. Dans une déclaration, la Conférence Episcopale du Bénin a dit catégoriquement “Non“ à ce qu’elle qualifie de “culture de la mort“ et d’acte inhumain, estimant se préoccuper du respect du caractère sacré de la vie, surtout de celle de l’innocent. Mais cela n’a pas suffi pour empêcher l’adoption de la loi. Dans une nouvelle déclaration, la Conférence épiscopale n’a pas manqué d’exprimer son “profond regret et grande déception“ tout en invitant les fidèles et croyants des autres confessions religieuses à observer une journée de prière et de jeûne.
Cependant, la société civile, convaincue de la nécessité de disposer d’une telle loi pour sauver des vies, s’est heurtée à une vague de contestation dans l’opinion. Pour Dr Raphaël Totongnon, porte-parole du Collège des gynécologues-obstétriciens, l’avortement est la troisième cause de mortalité maternelle au Bénin après les hémorragies liées à l’accouchement et l’éclampsie. Toute chose qui démontre l’urgence d’agir pour éviter les décès de jeunes filles liés à l’avortement clandestin. Quant à la présidente de l’Abpf, elle avait estimé que le plaidoyer était de demander à l’Assemblée nationale de sauver la vie de ces nombreuses femmes qui perdent la vie en pratiquant l’avortement clandestin.
Des griefs à une lueur d’espoir pour la parenté responsable…
“La question de l’avortement, c’est très délicat…Je peux parler de la planification familiale mais pas la question de l’avortement“, a confié l’Imam Inoussa Izi Chérif pour justifier son refus. Ce membre de la Plateforme “ Les religieux s’engagent pour la PF“ qui, semble se réjouir de l’absence des décrets d’application de ladite loi, est du lot de ceux qui applaudissent la légalisation de l’avortement. Bien qu’il ait toujours milité en faveur de l’adoption des méthodes contraceptives par les femmes. Une raison de mobiliser davantage en faveur de la planification familiale ?
Si l’adoption de la loi sur l’Interruption volontaire de grossesse ne vise pas une promotion de l’avortement, elle apparaît bien comme une assurance vers la parenté responsable. S’opposant à la légalisation de l’avortement, l’Eglise catholique avait estimé qu’il y a “des alternatives honnêtes et fiables pour remédier aux maux que l’on entend solutionner par la légalisation de l’avortement“. Et l’alternative qui puisse empêcher de recourir à l’avortement, bien que légalisé et autorisé, reste un moyen d’éviter des grossesses non désirées. D’où la nécessité pour l’Eglise catholique et les autres confessions religieuses de sensibiliser et d’agir en faveur de l’adoption des méthodes contraceptives.
Pour Yacoubou Gougbé, fidèle musulman et maitre coranique, l’Islam ne rejette pas la planification familiale étant donné qu’un verset coranique recommande à ce qu’on allaite le bébé jusqu’à deux ans avant de tomber à nouveau enceinte. Une sorte d’espacement de naissance préconisée. A l’en croire, il avait été donc recommandé aux hommes dont la femme allaite de pratiquer le coït interrompu.
Cependant, l’avortement est strictement interdit en Islam, a-t-il poursuivi. Et à Mohamed Adebinkpè, fidèle musulman, d’estimer qu’il est raisonnable d’orienter les femmes et filles vers les méthodes contraceptives que de les voir contraintes de “commettre un crime, car avorter en islam est un crime“. Les méthodes modernes de contraception ne sont pas prohibées tant qu’elles ne sont pas nuisibles à la santé et que la décision est prise sur consentement des conjoints, argue Yacoubou Gougbé.
Les griefs contre la légalisation de l’avortement se révèlent être une occasion d’amener davantage les populations à prendre conscience de l’importance de la planification familiale, selon le Pasteur Amos Agbindo-Bankolé de l’Eglise protestante méthodiste du Bénin (Epmb), membre de la Plateforme “ Les religieux s’engagent pour la Pf“. Certes, tellement de dégâts enregistrés avec les avortements clandestins, ce serait contre l’éthique de faire la promotion de l’avortement sous le couvert de la légalisation de l’avortement, admet-il. Convaincu du fait qu’il faut encourager les populations à aller vers les méthodes de contraception afin de ne pas se voir contraintes de recourir au service d’avortement, il a insisté sur l’éducation à la base, la conscientisation, le dialogue.
Alors que l’autorisation de l’avortement et la planification familiale peinent à susciter une réelle adhésion dans la société béninoise, il semble évident qu’il faudra davantage du chemin pour parvenir à une adhésion de l’opinion à la légalisation de l’avortement. Tandis que les lauriers semblent bien dressés cette fois-ci à la planification.
A en croire le Directeur exécutif du Centre de réflexions et d’actions pour le développement intégré et la solidarité (Ceradis-Ong), Nourou Adjibadé, la légalisation de l’avortement reste une mesure forte qui vient booster indirectement la prévalence contraceptive. L’avortement étant perçu comme ultime et dernier recours, il est clair que l’idée est d’amener les cibles à se prémunir d’une grossesse non désirée tout en leur offrant la possibilité de se faire avorter au cas échéant.
Il n’est donc pas exclu que ceux qui sont restés opposés à la contraception, reviennent à la raison, avec la légalisation de l’avortement. Car ils se rendent compte qu’avec les méthodes contraceptives, il est inutile de recourir à l’avortement bien qu’il soit sécurisé, a-t-il déclaré, optimiste. Par ailleurs, celles qui subissent l’interruption volontaire d’une grossesse, devront logiquement se mettre sous contraception. Nul doute que cette loi impacte positivement la prévalence contraceptive au Bénin.
Faut-il le souligner, les résistances religieuses, culturelles et politiques augmentent de façon dramatique la prévalence des avortements clandestins avec leur lot de conséquences. Alors que ces oppositions renforcent dangereusement la stigmatisation de l’avortement sécurisé, la contraception reste l’alternative pour se retrouver à l’abri.
Encore que désormais, des actions mises en œuvre visent une implication des hommes dans le recours aux méthodes contraceptives pour une parenté responsable. Les couples ainsi que les adolescentes et jeunes devront donc se faire une autre perception de la planification familiale, adopter les méthodes contraceptives au risque de battre des records en ce qui concerne les avortements.
“Lorsqu’on parle de l’avortement, tout le monde reste sceptique mais on ne se demande pas quelle est la responsabilité de chacun pour qu’on en arrive pas là. C’est là où beaucoup devraient comprendre la nécessité d’œuvrer en faveur de l’adoption des méthodes contraceptives“, clarifie Urbain Ahouangbasso de la Coalition des jeunes pour l’avortement sécurisé (Cojas-Bénin). Pour ce jeune acteur de la société civile, les confessions religieuses et autres personnes opposées à l’avortement n’ont qu’à recourir à la contraception.
Et d’ailleurs, ladite loi précise bien que l’Ivg ne peut se substituer à la contraception. Qu’elle soit moderne ou naturelle, elle demeure une méthode sûre et efficace pour éviter les grossesses non désirées ou espacer les naissances. “Lorsqu’une femme recourt à l’avortement, ce n’est pas vraiment de gaité de cœur“, a-t-il poursuivi pour montrer combien il importe pour les cibles de ne pas se retrouver à devoir recourir à l’avortement.
Une logique à laquelle adhère d’ailleurs Louis Vlavonou, président de l’Assemblée nationale lorsqu’il affirme qu’il faut “penser à d’autres moyens par lesquels elle (la femme) peut valablement réguler ses naissances sans pour autant attenter à la vie du tout petit et à sa propre vie“. Et pour Urbain Ahouangbasso, le besoin d’avortement sécurisé se justifie par la faible adhésion à la contraception.
La légalisation de l’avortement pourrait donc induire une augmentation du taux de prévalence contraceptive. Les griefs contre l’avortement pourraient donc se révéler être une opportunité d’enregistrer davantage de nouvelles acceptantes de la planification familiale. Toutefois, il faudra réorienter la communication et les messages autour de la Planification familiale et de l’avortement…
Réorienter les messages…
Si la communication autour a été repensée à plusieurs reprises dans l’optique d’obtenir une adhésion massive des populations, le défi reste à relever. Et cela semble plus important avec l’adoption de la loi sur l’Interruption volontaire de la grossesse. Un véritable défi, selon l’Organisation pour le dialogue pour l’avortement sécurisé en Afrique francophone (Odas). A la faveur d’un sommet organisé à Cotonou avec les sociétés savantes et professionnelles de la santé, elle a évoqué la nécessité de relever le défi de la communication à divers niveaux.
Selon Nourou Adjibadé, directeur exécutif de Ceradis-Ong, la loi sur l’Ivg interdit la promotion de l’avortement, la propagande. Cependant, il faudra également trouver les messages appropriés pour montrer à l’opinion que la loi ne fait pas la promotion de l’avortement et qu’il doit être perçu comme dernier recours. Ce qui implique la nécessité de recourir à la contraception pour ne pas recourir à l’avortement. “La société civile a plaidé pour un plan national de communication sur l’avortement sécurisé. Ce plan doit permettre de savoir quels types de messages élaborés en direction des communautés pour leur parler de l’avortement médical sécurisé“ a déclaré Nourou Adjibadé.
Des décrets d’application et l’urgence d’agir…
Bientôt un an que la loi sur l’Ivg a été adoptée mais elle n’est toujours pas effective du fait de l’absence des décrets d’application. “L’absence de décrets d’application malgré l’adoption et la promulgation de la loi a mis tout le monde sous veilleuse par rapport aux avantages en matière de santé de reproduction… c’est une question d’urgence “, déplore Urbain Ahouangbasso de la Cojas-Bénin.
Une préoccupation au cœur de la Déclaration de l’Ong “Filles en action“ à l’occasion de la Journée mondiale de l’avortement. “ Depuis la promulgation de cette loi modificative, il n’existe pourtant pas encore de décrets d’application la rendant ainsi muette. Pourquoi tant de lenteur ? L’existence de cette loi non applicable de facto, n’arrête pas les avortements clandestins ni leurs conséquences dramatiques avec les décès qui lui sont associés au quotidien“, déplore l’organisation.
A la faveur d’un atelier national en juillet 2022, le Directeur de la santé de la mère et de l’enfant a rassuré de la mise en place d’un comité qui travaille sur les décrets d’application qui seraient bientôt disponibles, témoigne Nourou Adjibadé.