La visite de travail du président Patrice Talon en terre néerlandaise, les 4 et 5 octobre derniers, est à la fois chargée de sens et de symboles. Ne serait-ce qu’au regard de la coopération entre le Bénin et les Pays-Bas, qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Surtout quand il s’agit de l’eau.
Les 4 et 5 octobre derniers, le chef de l’Etat était en visite de travail aux Pays-Bas. Il y a été royalement reçu par sa Majesté Willem-Alexander, roi des Pays-Bas. Les échanges et rencontres, tant avec les hauts responsables qu’avec des investisseurs néerlandais, ont abouti à la signature d’accords d’engagement financier d’un montant total de 180 millions d’Euros, soit plus de 118 milliards de nos francs. Un véritable exploit au regard d’un récent différend entre le Bénin et les Pays-Bénin. Le grave point de discorde avait un nom : le Ppea 2 ou le fâcheux scandale autour de l’eau. Donc de la vie.
Dans un communiqué officiel, en date du 6 mai 2015, l’ambassadeur du Royaume des Pays-Bas à Cotonou annonce la suspension de la coopération entre son pays et le Bénin. Ceci pour cause de malversation dans la gestion du Programme pluriannuel d’appui au secteur de l’Eau et de l’Assainissement (Ppea-II), d’un montant de 40,524 milliards de F Cfa, pour la période 2013-2015. Ce programme comportait aussi une importante contribution financière de l’Union Européenne, soit 13 milliards de F Cfa. L’objectif visé était d’assurer la disponibilité de l’eau potable aux populations ; de parvenir à la maîtrise des risques liés à la gestion de l’eau (inondation, pollution des eaux souterraines, etc.) ; de contribuer à la promotion de l’hygiène et de l’assainissement de base. Nobles ambitions dirions-nous ! Puis soudain le scandale. En effet, selon le communiqué de l’ambassadeur des Pays-Bas, les conclusions définitives de l’audit de la gestion 2014 ont révélé des irrégularités et malversations dans la gestion dudit programme au ministère en charge de l’Eau. Au regard de la gravité de cette situation, la partie néerlandaise a donc décidé de l’arrêt anticipé du Ppea-II ; de la suspension « de tous les autres programmes financés par les Pays-Bas, directement exécutés par le gouvernement du Bénin, y inclus les nouvelles activités en cours de préparation, avec le gouvernement ». Dès le lendemain de la publication de ce communiqué, c’est le ministre des Finances d’alors, Komi Koutché, qui monte au créneau pour démentir catégoriquement ladite information. Il sera très rapidement contraint au silence par la confirmation de l’information par les Pays-Bas. Le cabinet d’audit américain Kroll sera alors sollicité. Son rapport sera assommant pour le gouvernement. Il révélera que des fonds hollandais alloués au projet ont été détournés avec l’implication d’un réseau de fraude. Il est question d’un détournement de 2,6 milliards de F Cfa dans le Ppea-II et 5 milliards de F Cfa disparus dans d’autres ministères. L’identité des auteurs de malversations financières a été révélée. Le ministre en charge du secteur de l’eau à l’époque, Barthélémy Kassa, avait été aussi cité comme complice. Il démissionnera après quelques péripéties, avant de se faire élire dans la même foulée, comme « honorable » député à l’Assemblée nationale. Conséquence immédiate, seule la Haute Cour de Justice est désormais compétente pour son cas. Après bien sûr la levée de son immunité parlementaire par ses pairs. La requête déposée au Parlement à ce propos, par le gouvernement, sera rejetée après vote, par les députés. Plus tard, le juge du deuxième cabinet d’instruction du tribunal de première instance de Cotonou, Rodrigue Azon, prononcera un non-lieu et ordonnera la libération des 12 personnes inculpées dans l’affaire Ppea-II.
Confiance rétablie
L’Etat étant une continuité, le régime de la Rupture a donc hérité de ce lourd contentieux. Bien entendu, le président Patrice Talon qui, dès son avènement, a fait de la bonne gouvernance et de la lutte implacable contre la corruption, son principal crédo, sera naturellement mis à l’épreuve par les Néerlandais. Faut-il le rappeler, dans leur communiqué annonçant la suspension de la coopération avec le Bénin, ceux-ci demandaient aux autorités du Bénin d’alors, « de réaliser un audit d’investigation sur les faits graves révélés, d’en situer les responsabilités, et d’entreprendre les mesures appropriées, y inclus celles juridiques. » Plus loin, ils ajoutaient que « le gouvernement des Pays-Bas reste toutefois sensible aux conséquences de cette décision pour les populations béninoises, compte tenu des résultats importants obtenus ces dernières années, aussi bien dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, que pour les pistes rurales, mais il ne saurait tolérer cette façon de gérer des ressources mises à disposition du Bénin… »
Alors pour briser la glace, entre le Bénin et les Pays-Bas, le nouveau gouvernement dit de la Rupture devrait impérativement satisfaire à un certain nombre de prérequis. Obstacles aisément franchis par le nouveau régime, ceci dans la rigueur et la transparence. C’est alors que les Pays-Bas ont décidé, toujours à titre de test, de financer le Programme OmiDelta, consacré au secteur de l’eau et de l’assainissement. Ils prennent alors le soin d’y inclure une particularité : le seuil de tolérance des dépenses inéligibles est fixé à 1 % au plus, pour toutes les dépenses du programme. 1 %, vous avez bien lu. Et cet autre défi a été relevé par le régime de Patrice Talon. De là s’est rétablie la confiance. On comprend aisément alors le sens et la symbolique du dernier voyage du président Talon aux Pays-Bas. Tant les deux pays reviennent de loin et sont décidés à regarder désormais avec plus d’attention l’avenir et le devenir des déshérités. Les accords de financement signés durant ce dernier voyage prennent en compte plusieurs localités du nord du Bénin. Il s’agit, entre autres, de nouvelles installations d’adduction d’eau dans les communes de Karimama, Cobly, Gogounou ; du renforcement de celles existant à Natitingou, Toucountouna, Copargo. Et comment ne pas ajouter à cette liste, loin d’être exhaustive, l’aménagement et la relocalisation du port de pêche pour faciliter les activités du Port autonome de Cotonou ; la réhabilitation du lac Nokoué et de la lagune de Porto-Novo qui apportera des réponses à la dégradation de ces plans d’eau…
La reprise et la densification des relations avec les Pays-Bas étaient donc autant un pari qu’un défi. Vu qu’il y avait de l’eau dans le gaz. Pari gagné et défi relevé donc par le président Talon.