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Reportage dans les zones sous contrôle terroriste/Insécurité, peur et menace : le lot des journalistes

Publié le vendredi 21 octobre 2022  |  Fraternité
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© AFP par ISSOUF SANOGO
Des militaires burkinabè lors d`un entraînement pour combattre le terrorisme dans l`est du pays, le 13 avril 2018
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Dans la partie ouest-africaine, particulièrement les zones sous menace djihadiste, les conditions de travail des acteurs des médias, personnes censées rendre compte des faits qui se déroulent en ces lieux, sont précaires. Ils sont braves ces hommes et femmes des médias qui s’aventurent dans les zones sous contrôle terroriste, à la recherche d’informations de première main. Dans cette mission, par amour pour leur métier, ils sont, la plupart du temps, exposés à d’énormes difficultés qui les maintiennent dans un climat de terreur, de méfiance et de peur durant leurs investigations.


Au Burkina Faso, au Mali, comme au Niger, le constat est le même. Les journalistes sur le terrain opèrent dans des conditions difficiles au point où, pour remplir leur fonction, ils organisent leurs propres conditions de sécurité.
C’est le cas de Lévi Constantin Konfé, journaliste au quotidien l’Observateur Palga du Burkina Faso qui, en 2021, s’est rendu à Arbinda, localité à proximité de la frontière du Mali, sous l’emprise des terroristes depuis 2015. Parti d’abord en transports en commun, avec un ordre de mission, et ensuite avec un convoi des supplétifs de l’armée, communément appelés Volontaires pour la défense de la patrie (Vdp), Lévi est livré à lui-même durant son séjour. Un périple qu’il a lui-même qualifié de très risqué et terrifiant.

De longues distances à moto et sous la peur !

Pour atteindre Arbinda en provenance de Ouagadougou, il faut passer par Kaya, Djibo et Dori. Une fois dans cette ville, il faut emprunter, du fait de la situation sécuritaire précaire, un motocycliste pour Albinda. La distance est de 100 km sur piste selon le journaliste. « Mon guide et moi avons quitté Dori à 9h pour arriver à Arbinda, à 19h », confie-t-il.
Durant le trajet, précise le confrère, l’atmosphère était lourde et terrifiante. Car, des restes de terroristes neutralisés ou de civils abattus et qui n’ont pas pu être enterrés jonchaient la rue. « Une fois que vous arrivez dans cette localité, vous êtes hantés par le fait qu’à tout moment vous pouvez rencontrer des terroristes », confie-t-il. Avant d’ajouter qu’à environ 40 km d’Arbinda, son compagnon et lui ont été obligés de marquer un temps d’arrêt parce qu’il se racontait que des terroristes étaient dans les parages. Ce temps d’arrêt n’avait qu’un seul but : permettre aux Vdp de procéder à un contrôle sur place pour s’assurer qu’il n’y a pas de mines sur la route, mais également qu’aucun terroriste n’était embusqué pour attaquer le convoi, vu qu’il y avait beaucoup de véhicules sur cette route ce jour-là.


Après Arbinda, Levi met le cap sur Namsiguia, au centre-nord du Burkina, dans la province de Bam, à 36 km de Djibo. Toujours à moto et sans escorte de l’armée ou Vdp, notre ami se lance dans son aventure pour satisfaire son média, l’Observateur Palga. Cette fois, il a bénéficié, soutient-il, de l’appui des populations et des autorités sécuritaires pendant la collecte d’informations. Malheureusement, « j’ai été obligé de quitter la localité, le lendemain, 15 mars (Ndlr) parce je pressentais la présence des terroristes ».

Aucune condition sécuritaire préalable

Selon le reporter de l’Observateur Palga, il était livré à lui-même. Pour sortir saints et saufs, son compagnon et lui étaient obligés de veiller sur leur propre sécurité pour ne pas passer pour des méchants aux yeux des populations. Il n’a donc pas dévoilé sa fonction de journaliste aux Vdp pour mieux se fondre dans la masse. « A la gendarmerie d’Arbinda, où je me suis présenté, j’ai rencontré des difficultés parce que je n’avais pas un ordre de mission signé par leurs responsables. Le chef de la brigade a donc refusé de coopérer », informe-t-il.
Lors de son immersion à l’est du Burkina Faso, du 16 au 19 juillet 2021, précisément dans la ville de Pama en passant par le village de Nadiagou jusqu’au Bénin voisin, pour rencontrer des populations de Madjoari, Levi Constantin a usé de tact. « J’étais avec des ressortissants de Madjoari lors de ce voyage. Nous étions obligés de passer par le Togo pour revenir au Burkina Faso. Ceci pour éviter la voie principale, fréquemment occupée par des groupes armés, un tronçon de 30 km, non loin du Bénin », indique-t-il.
Aussi, pour se protéger, le journaliste changeait-il constamment, dit-il, de moyen de transport et de guides pour ne pas se faire remarquer. « Au Benin, les autorités m’ont opposé un refus formel. Pas de photos, pas d’enregistrements, pas de kilomètres de plus à parcourir », a-t-il regretté. Avant d’informer que cette localité, à son retour de son aventure, est devenue infréquentable parce que la situation s’est dégradée.
Mariam et Souleymane, même galère
Dans la région de Pouytenga et Boulsa, chef-lieu de la province du Namentenga, à environ 200 Km de la capitale, Mariam Ouédraogo, du quotidien gouvernemental Sidwaya, était quasiment dans les conditions identiques à celles de Levi Constantin. Dans la peur et la méfiance, dans une zone constamment attaquée mais accessible, elle y est arrivée via les transports en commun.
Seule et sans défense, elle a sollicité l’aide de la présidente des femmes des groupes d’auto-défense, appelées Kogl-wéogo (Protection de l’environnement), en langue nationale mooré de Manga. Ces femmes opèrent avec des chasseurs dozos et autres groupes d’auto-défense.
Au Niger, Souleymane Brah, responsable du journal La Voix du peuple, a veillé sur sa propre sécurité lors des différents reportages qu’il a réalisés dans les zones assiégées depuis près d’une décennie. A Diffa où il était pour des articles sur la fermeture des écoles du fait des activités terroristes, il rapporte ceci : « Le sujet sur l’éducation me tenant à cœur, j’ai décidé de me rendre à bord de mon véhicule personnel. Un gros risque que j’ai pris pour éviter de m’exposer à cette guerre asymétrique et non conventionnelle, pour la simple raison que l’ennemi n’est pas toujours connu et parfois invisible », relate-t-il, avant d’informer qu’il a usé de beaucoup de prudence. « Le journaliste doit prendre ses précautions et nouer des contacts avec des personnes de confiance parce que nous ne bénéficions d’aucune escorte. C’est la débrouillardise », précise le directeur de publication de la Voix du peuple du Niger.


Que d’émotions !

Lévi Constantin Konfé n’a pas manqué, au-delà de l’aspect sécuritaire, de partager son vécu durant cette mission qu’il a pris l’initiative d’effectuer. Il confie que l’un des temps forts de cette randonnée était les stigmates des combats auxquels les Vdp et les forces de sécurité burkinabè se livraient tous les jours avec les djihadistes. Des épaves de véhicules victimes d’attaques terroristes, des impacts de balles encore visibles dans les espaces boisés, les séquelles des mines, des corps calcinés, sans oublier les restes humains sont, entre autres, le décor qu’il a côtoyé tout au long de son aventure. « C’était pour moi un véritable moment d’émotions de vivre cette réalité et de toucher du doigt les difficultés des populations qui avaient du mal à se ravitailler en vivres », confie Lévi. Avant d’ajouter qu’à Namsiguia, il a vécu les mêmes émotions fortes qu’à Albinda, parce que de Bourzaga à Namsiguia, le tronçon était en permanence occupé par des terroristes. Une situation qui l’a obligé à rouler à moto à vive allure.
De son côté, Mariam Ouédraogo du quotidien Sidwaya livre en quelques mots les moments forts de sa mission dans la région de Pouytenga et Boulsa, chef-lieu de la province du Namentenga. « Sur place, il y avait la débandade et j’avais peur d’être dans une localité que je ne connais pas. La situation était précaire. Surtout que j’étais logée dans une habitation non sécurisée et située à proximité de la route. Il n’y avait pas de dispositifs sécuritaires. C’était juste l’ordre de mission signé par les autorités locales qui me servait de couverture », relate-t-elle. Avant d’ajouter qu’elle prenait à chaque étape des dispositions personnelles, en sollicitant l’aide des proches dans l’armée et des gens de bonne volonté sur place. Selon la reporter revenue, il y a trois ans de Boulsa, Koupéla Manhanga et Combissiri, Banfora et Kaya, les conditions de travail, âpres, extrêmes et éprouvantes étaient les mêmes dans toutes ces localités. Heureusement, tous ces reporters, éprouvés à jamais par ces déplacements périlleux, sont revenus sains et saufs.

Article produit par Hervé ADOU, Fraternité Matin (Abidjan) et Moïse DOSSOUMOU, Fraternité (Cotonou) pour le compte du Réseau des journalistes africains spécialistes des questions de défense et sécurité (REJA-DS).
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