Définie comme un vaste domaine, partie de l’informatique qui vise à conférer les capacités d’apprentissage propres au genre humain à des machines, l’intelligence artificielle fait parler d’elle. Œuvrant à optimiser le temps, la performance et le rendement, elle se veut être un instrument au service du développement. Toutefois, l’intelligence artificielle ne suscite pas que la fascination et l’adhésion. Certains avis se réservent à son sujet.
Sujet à fortes potentialités susceptibles de favoriser le bien-être social et le progrès ! Ces termes ont été ceux employés pour présenter l’intelligence artificielle, par une publication datant du 08 juillet 2022 sur le site officiel du gouvernement béninois. Rédigé dans le cadre de l’ouverture officielle de la 1ère édition du Sénia (Salon de l’entreprenariat numérique et de l’intelligence artificielle) organisé par le ministère du numérique et de la digitalisation, du 07 au 09 juillet 2022 au Palais des Congrès de Cotonou, le texte renseigne sur la place que fait l’Etat central à ce domaine qui attire les regards. « C’est un domaine qui offre des opportunités d’emplois », lit-on dans la même publication. Deux mois plus tôt, c’était l’atelier technique et participatif de présentation du projet de stratégie nationale de l’intelligence artificielle et de mégadonnées qui avait mobilisé l’attention et les réflexions. Au rdv du Sénia, la présence d’acteurs venus du Bénin, d’Afrique et d’ailleurs autour du thème « Entrepreneuriat numérique et les enjeux de l’intelligence artificielle pour le développement socio-économique de l’Afrique », témoigne d’un engouement partagé au-delà des frontières béninoises. Le sujet n’est plus seulement l’apanage des grandes puissances mais captive aussi les pays voulant révéler leur potentiel comme le Bénin.
En effet, le champ d’intervention de l’intelligence artificielle s’étend à plusieurs secteurs d’activités et même à l’armée. De la reconnaissance des objets à la conduite autonome des voitures par exemple, les applications de l’intelligence artificielle sont multiples et variables selon le domaine auquel elle s’applique. Appui pris sur le domaine du e-commerce, la détection des tendances d’achat, l’analyse des échanges sur les réseaux sociaux, l’anticipation de la demande de la clientèle sont quelques contributions de l’intelligence artificielle à l’amélioration de la productivité et du rendement.
Toutefois, certains paramètres sont de nature à ternir l’éclat des prouesses réalisées par l’intelligence artificielle.
Le concepteur humain, victime de son succès ?
L’intelligence artificielle, sur la base des données collectées sur une tâche bien définie, est capable de doter une machine de la capacité de se représenter l’exécution de cette tâche, d’adapter son exécution aux fluctuations des facteurs exogènes. Aussi, amène-t-elle la machine à en détenir de nombreuses configurations éventuelles et à la longue, à développer la capacité de les anticiper (raisonner) en toute autonomie, avec une précision, une rapidité et une fiabilité chaque fois plus élevées, supplantant celles de l’Homme. Dans la mesure où elles lui seront préférées, ces dernières sont perçues par l’Homme comme des menaces aux emplois. Là se trouve la première réserve émise à l’endroit de l’intelligence artificielle.
Par ailleurs, l’impact écologique de l’intelligence artificielle n’est pas incitatif. La raison en est que la réalisation des supports matériels utilisés en intelligence artificielle requiert de grandes quantités d’énergie et des métaux rares qui sont des ressources épuisables, par conséquent non renouvelables. De surcroît, leur extraction est source de pollution. Dans son ouvrage, La guerre des métaux rares, La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les liens qui libèrent, paru en Janvier 2018, Pitron Guillaume fait des constats chiffrés.
Chaque année, l’industrie de l’électronique consomme 320 tonnes d’or, 7500 tonnes d’argent, 514 tonnes de mercure (soit 22% de la consommation mondiale) et jusqu’à 2,5 % de la consommation de plomb. Les ordinateurs et téléphones portables absorbent 19 % de la production totale de métaux rares tels que le palladium et 23 % de cobalt.
Pour le Bénin, singulièrement considéré, la disponibilité et l’exploitation de ces métaux constituent quelques points qui appellent réflexions. Si l’importation des métaux ou directement des supports matériels venaient à être choisis, les questions d’industries de transformation, de main-d’œuvre qualifiée mais aussi d’investissement et de rentabilité se poseraient. Mais pas que ! Au plan international et en agriculture, la mise en œuvre de l’intelligence artificielle ne contribuera-t-elle pas à creuser davantage le fossé entre les petits exploitants et les grands ? En outre, qu’il s’agisse des individus ou des Etats, la puissance en armement que confère l’intelligence artificielle est une source potentielle de danger, à long terme. Dans une publication du 08 décembre 2018, Etopia, site dédié aux sciences et technologies l’explique. La mutation des armes en robots et l’augmentation de leur force de destruction grâce à l’intelligence artificielle épargnera massivement les vies des soldats. Cependant, cet argument serait régulièrement employé pour justifier la multiplication des interventions armées qui exposerait beaucoup plus la population civile. Il n’est pas à omettre que l’accès aux données secrètes, publiques ou privées, ouvre la brèche aux attaques virtuelles, à la surveillance à outrance et à la restriction des libertés. Déjà en 2017, Amnesty International et plusieurs Ong avaient dénoncé la course à l’armement robotisé qui gagnait la scène géopolitique mondiale. La même année, l’Onu a reçu de plusieurs structures spécialisées en intelligence artificielle, une mise en garde contre les menaces des armes autonomes. Toutes ces considérations réunies concourent à réfréner les ardeurs au sujet de l’intelligence artificielle.
Nécessité de préparation et de maitrise
En santé, secteur bancaire, transport, industrie, droit et tant d’autres domaines, les percées de l’intelligence artificielle sont indéniables. Elle œuvre à faciliter le quotidien de l’Homme. Cependant, le pouvoir dont elle est investie est tel qu’il requiert des balises solides et communautaires (accords et normes internationales encadrant les politiques et lois étatiques) afin de demeurer au service de l’Homme (de ses droits et de sa dignité) et non de l’asservir. A cette fin, il conviendrait que le Bénin comme tout autre Etat qui accueille l’intelligence artificielle développe chez ses citoyens les compétences techniques et surtout éthiques afin de s’adapter et user de cet instrument. Parallèlement, il serait bénéfique de soutenir cette démarche d’un cadre juridique conçu pour appuyer des investissements rentables dans l’industrie, la recherche scientifique et qui répondent aux besoins socio-économiques nationaux.
Fredhy-Armel BOCOVO