À petits pas, une filière de tri et de valorisation des déchets se met en place dans les villes du Grand Nokoué. Dans les centres de déchetterie, des hommes et femmes, jadis collecteurs de matières sur les dépotoirs sauvages se forgent une nouvelle vie dans un secteur porteur d’espoir.
La pluie qui s’est abattue sur Cotonou ce 25 octobre n’émousse pas l’ardeur des membres de la Coopérative de tri des déchets de Yénawa Fifadji. Chaque tricycle qui déverse son contenu dans la déchetterie est perçu par Jonas Agbanlinsoun comme une manne dont il faut prendre soin. « Il y a du travail ! », lance ce quarantenaire, membre de la coopérative de tri. Au cri de ralliement, l’équipe se déchaîne sur le volume d’immondices, fouille et traque les différentes familles de matières valorisables. «Une attention est portée aux plastiques, canettes, équipements en cuivre et aluminium, aux cartons et bouteilles», confie-t-il. La liste n’est pas exhaustive. Sept catégories de plastiques sont visées. Il s’agit des polyéthylènes téréphtalates (Pet), des polyéthylènes haute densité (Pehd), des polypropylènes (Pp), des Polychlorures de Vinyle (Pvc), des Polyéthylènes basse densité (Ldpe) et des Polystyrènes (Ps). Répartis aux abords du tamis, ces hommes se mettent à séparer les objets. Pas besoin d’un microscope ou d’un détecteur de métal pour aller plus vite. « Le tri, c’est la phase la plus importante. S’ils ne trient pas bien les matières, soit ils vendront à perte, ou l’acheteur ne va pas s’y intéresser. Il y a une manière de récupérer et de traiter le carton par exemple. C’est donc une activité qu’il faut apprendre à faire. Nous les avons formés et ils sont en mesure aujourd’hui de catégoriser chaque type de matière, de dire les formes de valorisation possibles », explique Halidath Abibou, assistante chargée de l’activité Tri-Valorisation à la Société de gestion des déchets et de la salubrité (Sgds). C’est un travail fastidieux et physique. Pourtant, le tri est exécuté à cœur joie, dans une série de gestes rythmés qui fait passer les matières fines en dessous du dispositif de tri.
« De dépotoir en dépotoir »
Pendant des décennies, dans les villes du Grand Nokoué, notamment à Cotonou, la gestion des déchets s’est limitée à la pré-collecte, au déversement sur des dépotoirs sauvages ou à l’enfouissement sur le site de Ouèssè à Ouidah. Les défaillances du système étaient un tremplin pour des hommes et femmes qui faisaient par la suite la ronde pour en tirer des matières recyclables à revendre. Bernadette Kakpo, 50 ans, mère de quatre enfants, a passé deux décennies de sa vie à exercer cette activité informelle, avec tous les risques que cela comporte. « Je vendais du pétrole au marché et je ressentais le besoin d’avoir des plastiques. En ce temps-là, on en trouvait rarement à acheter. Un jour, j’ai vu déverser sur un dépotoir une quantité énorme de bidons neufs. J’ai saisi l’occasion», raconte dame Bernadette. C’est ainsi qu’elle est devenue collectrice de bidons et métal, sillonnant Cotonou et Calavi. «Je prenais un taxi-moto pour me rendre sur les dépotoirs les plus connus, comme dans la zone de la prison civile de Cotonou, à Aitchédji dans Calavi ou dans la zone de l’Université d’Abomey-Calavi pour avoir de la matière», ajoute celle qui est devenue la présidente de la Coopérative de tri d’Ahossougbéta non loin de la cité administrative en construction à Abomey-Calavi.
Comme Jonas Agbanlinsoun et Bernadette Kakpo, ils sont des dizaines à exercer l’activité de tri et de valorisation dans les centres de déchetterie du Grand Nokoué. Chacun avec un parcours atypique, une histoire émouvante et un nouvel espoir de réussir depuis juin 2022. C’était quand la Société de gestion des déchets et de la salubrité a décidé d’inciter les anciens collecteurs exerçant sur les dépotoirs sauvages à s’organiser en coopératives pour contribuer au tri et à la valorisation des déchets. Dans l’équipe de Bernadette composée à 99 % de femmes, on retrouve Éliane Aziguinon, 27 ans. C’est une auxiliaire en pharmacie qui nourrit de nouvelles ambitions. «J’ai fait ma formation académique et j’attendais de trouver un emploi dans une pharmacie. Mais puisque ça ne venait pas, j’ai trouvé cette opportunité. J’ai mis de côté les clichés et je me suis lancée. Je suis très motivée quand je tombe sur des matières qui valent un peu plus comme l’aluminium, le cuivre, les canettes et les plastiques », confie Éliane. C’est grâce à cette activité qu’ils arrivent à obtenir un revenu mensuel après la vente des matières récupérées « C’est une activité que j’ai longtemps menée, passant de dépotoir en dépotoir. Je finissais ma journée avec à peu près 2 000 francs Cfa. C’était très difficile, sous les intempéries. Mais, ici, sur place, je trouve plus de matières à collecter et sans être salarié, j’arrive à prendre en charge mes enfants qui sont respectivement en 4e, 6e et Cm2. Quelque chose a vraiment changé dans ma vie. Je m’en rends compte au fil des jours », avoue Jonas Agbanlinsoun.
Secrets d’une révolution
Une nouvelle dynamique est en cours depuis deux ans dans la gestion des déchets dans le Grand Nokoué. En 2020, plus de 148 500 tonnes de déchets ont été collectées, transportées et enfouies. Le volume est passé à 396 000 tonnes en 2021. Au moins 203 000 tonnes de déchets ont été collectées rien qu’au premier semestre 2022. Et le prochain défi, c’est de pouvoir réduire la quantité de déchets enfouis. L’avènement du tri dans les centres de déchetterie est une douce révolution qui a commencé au point de regroupement de Foun-Foun à Porto-Novo. « Il y a eu une phase pilote et d’expérimentation d’un an. C’est après cela que le modèle a été dupliqué», fait savoir Halidath Abibou. Depuis juin 2022, 16 sites sont entrés dans la dynamique avec d’anciens collecteurs reconvertis. « Nous les avons regroupés pour leur expliquer les fondements et le fonctionnement de l’activité. On leur a permis de s’installer sur ces unités et de se former en coopératives. Ils savent que la Sgds ne leur verse pas un salaire. C’est cette activité qui constitue le revenu, leur gain mensuel. Nous avons mis à leur disposition des équipements de protection individuels (Epi), des matériels et des animateurs d’unités de tri qui sont là pour les former, les formaliser en coopératives et leur donner les notions de gestion administrative et financière », dévoile Halidath Abibou.
Les coopératives disposent d’une équipe de gestion, des statuts et règlements intérieurs. Des registres de pesée permettent d’avoir une traçabilité de la quantité de matière triée, les entrées et les sorties. La présence des membres est aussi marquée dans un registre, comme dans une entreprise. Sur la période de janvier à septembre 2022, 368,2 tonnes de matières ont été récupérées sur 16 unités de tri installées dans les cinq communes du Grand Nokoué. Le tiers de cette quantité est de la matière fine. « C’est tout un mélange de matières organiques, très riches. Ce qui fait que même après stockage, vous voyez de la tomate ou du maïs pousser sur ces matières fines. Nous pensons qu’il faut les amener à valoriser ces matières en tant que coopérative. D’où le besoin de les former en production de terreau pour une plus-value », précise l’assistante chargée de l’activité Tri-valorisation à la Sgds. Le secteur du tri attend d’être plus organisé avec l’extension des unités dans l’ensemble des villes du Grand Nokoué et les autres communes ciblées par la phase 2 du projet de modernisation de la gestion des déchets solides ménagers. Pour le moment, ces anciens collecteurs de matières sur les dépotoirs tirent des déchets triés leur gagne-pain. La recette mensuelle tourne autour de 40 000 F Cfa, selon quelques témoignages. Eugénie Atinmalin du centre de déchetterie d’Agla avoue se tirer d’affaire. « Grâce au tri, sans mentir, j’ai quitté la maison familiale pour louer. J’arrive à nourrir mes cinq enfants ». Entreprenante et ambitieuse, elle a le rêve de tout Béninois : s’acheter une parcelle et construire, grâce au tri des déchets?