Le niveau intellectuel baisse drastiquement au Bénin. On en convient tous. Les échecs scolaires surtout dans les CEGs publics sont massifs, on ne le sait que trop. Quelles sont les raisons profondes d’une telle débâcle et comment inverser cette courbe qui devient d’année en année irréversible ? Voilà l’essentiel de ce dossier qui donne la parole aux acteurs du système, aux cadres qui, unanimement, affirment que les enseignants non formés ou mal formés constituent un danger permanent pour l’école béninoise.
Les vingt-trois (23) premiers établissements du BAC 2013 sont privés, militaires ou confessionnels selon les statistiques de l’Office du Baccalauréat. Sur les 730 établissements publics et privés ayant présenté au moins 10 candidats au BAC, 160 CEGs ont eu un taux de réussite en dessous du taux national qui est de 32,46%. Parmi les 13 premiers du Bénin, seulement deux élèves du Lycée technique Coulibaly dans les séries F1 et F4 ont pu honorer le public. Des chiffres assez révélateurs de la place assez inconfortable des établissements publics dans les rangs de l’excellence. Selon le Directeur de l’Office du Bac (DOB), Alphonse da Silva, « ces résultats ne sont que l’échographie de la situation réelle. Il va falloir prendre des mesures pour voir comment réformer, il faut améliorer le système d’apprentissage au niveau des enseignants (…). Il va falloir effectivement que les enseignants soient formés pour mieux former les élèves.». Tout comme le DOB, plusieurs cadres du système éducatif béninois ont étalé les faiblesses des établissements publics au Bénin qui vont des effectifs massifs à l’irresponsabilité de certains parents d’élèves.
De la pléthore dans les CEGs publics
Jean Totin 2A en croire le Directeur du CEG Ste Rita, Jean Totin, qui gère un effectif de plus de 4.000 élèves, « dans le public, il y a une massification des élèves dans les classes. Le professeur en situation de classe se trouve devant un grand nombre à gérer. C’est vrai que nous devons imaginer la pédagogie du grand groupe mais toujours est-il que le professeur a peur de faire les évaluations. Il émet des épreuves dont le format va lui permettre de vite corriger. » Il ajoute à cela « la politique responsable du gouvernement pour une scolarisation des masses. » Les filles, depuis 5 ans sont exonérées. Elles vont gratuitement à l’école. « Nous ne pouvons qu’encourager l’accès à l’éducation du plus grand nombre si tant est que nous voulons un développement durable mais cela a un coût évidemment ! » a fait remarquer le Directeur. Cette analyse reçoit parfaitement l’assentiment du directeur du CEG Dantokpo, Brice Dahoui qui pense que le facteur effectif est un véritable frein à l’excellence dans les publics. Il constate : « les établissements privés dans leur ensemble sont souvent confessionnels. Les établissements privés dans leur ensemble se fixent un ratio au niveau de l’effectif dans les classes. La rigueur est de mise dans les établissements privés. Il n’est pas question qu’une salle de classe abrite un nombre exorbitant d’élèves. Au public, il y a des classes de 75 élèves et plus.» Un autre élément dont parle Brice Dahoui, c’est « le facteur suivi qui rompt avec cette forme de permissivité dans les établissements publics. Et les directeurs du privé se servent de la crème du peu d’enseignants qualifiés », a souligné le Directeur du CEG Dantokpa qui a eu seulement 25% de réussite au BAC en 2012 contre 45,14% en 2011. Pour le Directeur du Ceg Le Plateau, Raymond K. Wéwé, le public est aussi un fourre-tout. « Nous sommes un établissement public et le public est pour tout le monde. Les gens viennent de tous les horizons et vous êtes bien obligé de prendre leur dossier. Or les privés recrutent les meilleurs élèves », a signalé le directeur. Mais il n’y a pas que la masse qui dérange dans les publics, il y a aussi les programmes inachevés.
Des programmes inachevés dans les CEGs
Pour beaucoup de titulaires questionnés, la masse de connaissances que les élèves sont supposés recevoir n’est jamais au grand complet parce que les programmes ne sont presque jamais achevés au public. Les mouvements continus de grèves ne sont pas de nature à favoriser le déroulement normal de l’année scolaire. « Au niveau des privés, les encadreurs essaient de terminer les programmes. Reste à voir la manière mais au moins, ils essaient à coup d’argent à travers des TD de ressasser les connaissances, de répéter pour faire assimiler les enfants. Même si ton enfant n’est pas totalement collé aux études, sa charpente est prête pour recevoir les examens nationaux. C’est important d’avoir ces connaissances-là et c’est ça que nous n’avons pas dans les publics », a déploré Jean Totin, le directeur du CEG Ste Rita. Ce qui est aussi déplorable selon les éducateurs rencontrés, c’est l’insouciance des élèves.
Les cybercafés ravivent la vedette aux études
Les élèves aussi sont mis à l’index par leurs enseignants. Que ce soient au Ceg Akpakpa-Centre ou au Ceg Suru-Léré, les enseignants en activité ou occupant un poste administratif de responsabilité s’accordent à imputer une large part de la responsabilité aux enfants qui, disent-ils, se désintéressent des études et accordent plus d’intérêt, de temps et de priorités aux futilités qu’ils découvrent sur l’internet. L’outil informatique en est pour beaucoup dans la dépravation des élèves qui n’ont autre activité que de s’asseoir dans les cybercafés de la journée, se souciant à peine de leurs études. « …On n’a pas à indéfiniment imputer la responsabilité aux parents. Ils ne peuvent pas courir derrière le minimum à offrir aux enfants et rentrer tout épuisés et se préoccuper d’un enfant qui est tenu, si conscient il était, d’apprendre ses cours et de se mettre à jour par rapport à ses devoirs. C’est plutôt une question de prise de conscience… », lâche Irène Gogan Okambawa, toute scandalisée. Prenant exemple sur ses enfants dont sa fille aînée, Irène Gogan Okambawa, surveillante générale du Ceg Akpakpa-centre dit l’avoir inscrite de la 6ème en Terminale au Ceg Akpakpa-Centre où elle a longtemps officié avant d’être mutée au Ceg le Littoral. Malgré sa mutation, sa fille y est restée jusqu’à l’obtention du baccalauréat, en passant par l’Ecole Nationale d’Administration et de la Magistrature (entité universitaire publique) à sa réussite au concours donnant accès à la fonction publique à un âge jeune (pour avoir décroché le baccalauréat à 16 ans) au Ministère des affaires étrangères. Un parcours atypique d’une fille qui a pourtant fait le public. Fière du parcours de sa fille, sa mère confie n’avoir laissé aucune place pour la paresse et la distraction aux heures de cours et en pleine année. « Je la marquais à la culotte jusqu’à obtenir ce que je voulais pour assurer ma relève et partir à la retraite tranquille », s’est-elle réjouie.
Rencontrés, Modeste Zountangni et Félicien Aho, les présidents des associations des parents d’élèves des deux établissements, estiment aussi que l’analphabétisme de certains parents joue contre eux malgré leur bonne foi et leur bonne volonté. La démission des parents face à leurs responsabilités à l’endroit de leurs progénitures faiblit aussi leur marge d’autorité sur celles-ci. Ce qui, visiblement, limite le contrôle et le droit de regard sur certains apprenants qui respectent à peine leurs parents. Néanmoins tout ne dépend pas des élèves, a souligné Catherine Bio Saré Mègninou, la DEC. « Il y a des enfants qui sont réellement en situation difficile depuis la maison parce que la famille chez nous est en pleine crise. Les enfants sont victimes tôt des dérives parentales. Ce qui grossit le tôt d’échec aux examens», a noté Bio Saré Mègninou, directrice des Examens et Concours.
Des parents irresponsables
Tout comme les élèves, les parents sont aussi sur les bancs des accusés. Au CEG Akpakpa-Centre comme au CEG Suru-Léré, les raisons avancées pour justifier la débâcle des candidats du secteur public aux examens scolaires par les directeurs, censeurs et surveillants généraux sont les mêmes. Ils pointent du doigt accusateur les parents d’élèves, qui, du reste, ont fui leurs responsabilités pour certains et pour d’autres, ont démissionné par rapport au suivi de leurs enfants. Le rôle du parent d’élève, ont-ils rappelé, est d’accompagner son enfant du premier au dernier jour de la rentrée avec une rigueur sans faille qui part de la révision des cours à la récitation de ceux-ci avant la prise du chemin de l’école. Seulement, le constat est poignant, alarmant et mérite réflexion et sensibilisation, ont-ils déclaré chacun en ces termes : « la contribution dans le public est dérisoire. C’est 15.000 francs Cfa. Quand un parent s’acquitte de ces droits d’écolage et Dieu sait qu’eux tous ne le font d’ailleurs pas, il ne se soucie plus du reste. Les parents ne suivent plus les enfants à la maison, ne veillent pas à ce qu’ils apprennent les cours, ne se rapprochent pas de l’école de l’enfant pour s’informer de ses résultats et de son assiduité au cours… ». Irène Gogan Okambawa, et Véronique Mongazi, respectivement surveillante générale et directrice du Ceg Akpakpa-centre reconnaissent à leurs collègues enseignants du public, leur conscience professionnelle et leur don extrême « de soi » quant à l’exécution des activités académiques dans les mêmes conditions que les apprenants du privé. Pour Claude Ahouanvoékè et Maxime Awouèkoun, respectivement surveillant général et directeur du Ceg Suru-Léré, le professeur au public n’a autre choix que de donner avec droiture, conscience et dévouement le cours pour lequel il est chargé dans une classe, fut-elle d’examen. Ils se surprennent de ce qu’il y ait pourtant des enfants du public qui réussissent brillamment à leurs examens quelque soit le taux d’admissibilité au plan national. Aussi se sont-ils posés la question de savoir pourquoi certains et pas d’autres dans le secteur public, tous étant soumis aux mêmes conditions d’études à l’école, ayant pris part aux mêmes examens et ayant été soumis aux mêmes épreuves ? Une question qui trouve pourtant de réponses auprès des cadres du ministère de l’enseignement secondaire et de certains directeurs de CEG qui n’hésitent pas à indexer les enseignants mal formés ou non formés.
Des enseignants non formés
Cathérine Bio Saré MègninouPour Bio Saré Mègninou, directrice des examens et concours du MESFTPRIJ, « le gros problème du public, c’est le fait que très peu d’enseignants sont qualifiés. Les vacataires n’ont pas le bagage intellectuel qu’il faut, la technique éducationnelle qu’il faut etc. Est-ce que vous imaginez un vacataire mal formé, peu aguerri face à 80 élèves à gérer? Pire, au niveau du public, il n’y a pas la conscience professionnelle chez tout le monde. On peut faire tout ce qu’on veut, ce qui est sûr, à la fin du mois, le salaire est là. Dans ces conditions, on ne peut obtenir aucun résultat », a-t-elle conclu, exaspérée. Même si le Directeur du Ceg Dantokpa, Brice Dahoui, a du mal à trancher avec la qualité des vacataires du public, il trouve quand-même la manière de le dire : « Je ne voudrais pas sous estimer la qualité de la prestation de nos enseignants vacataires dans le public. Mais je me dis que ce ne sont pas toujours des gens qui sont à la hauteur de la tâche, pour le simple fait qu’en matière de considération pédagogique, ceux-là ne subissent pas la formation requise. La connaissance est là mais ils n’ont pas toujours la manière qu’il faut pour rendre le message. » Jean Totin du CEG Ste Rita, lui, ne va pas du dos de la cuillère : « Ce sont les enseignants non formés qui forment dans nos CEGs, quel peut être le résultat ? C’est clair. Il n’y a pas d’autres commentaires. Sur 100 enseignants du public, vous avez au moins 80 non formés et ces 80 non formés sont le résidu de ce que les privés nous laissent après avoir extirpé les meilleurs grains.» Au niveau de l’enseignement technique, le tableau est plus que sombre. Avec une clairvoyance extraordinaire, le Directeur René Akakpo fait le décryptage d’une situation alarmante. Selon l’autorité technique, la contre performance observée au niveau de l’enseignement technique est liée à la qualité des ressources humaines. « Il y a un problème de formation continue qui ne s’observe plus. On a comme impression qu’à un moment donné, nous avons manqué de planification dans la gestion des ressources humaines, de planification dans l’acquisition et la mise au point des équipements. Nous avons encore dans les lycées des équipements qui datent de 1940, 1950, c’est aberrant ! », s’est indigné le DET avant de poursuivre : « c’est vrai que la formation technique et professionnelle devrait nous aider à régler tous ces problèmes de chômage, de sous emplois, si c’était bien organisé et mieux suivi et s’il y avait les moyens qu’il faut. Les moyens, ce sont d’abord les ressources humaines. C’est un tableau carrément obscur de la situation… très obscur, je pèse mes mots. Avec les départs à la retraite en vue, le Bénin risque si rien n’est fait, de faire appel à des assistants techniques pour enseigner dans ce sous secteur. La responsabilité est partagée à tous les niveaux. Les parents, les enseignants, l’administration, le politique, tout le monde, les structures déconcentrées, tout le monde », a alerté le Directeur de l’enseignement technique.
Le rapport De Suivi Sur L’éducation Pour Tous 2003/04: Cas De La République Du Benin, de l’UNFPA-Bénin avait déjà donné les signes avant coureurs de cette catastrophe. En effet, selon ce rapport, lorsqu’on compare le taux brut de scolarisation au Bénin au taux de succès dans le système éducatif béninois, on constate malheureusement, que cette explosion des effectifs ne va pas de paire avec une amélioration de la qualité de l’enseignement en général. Le ratio élèves/maître ne cesse de croître : 36,2 élèves par maître en 1991 contre 52,6 élèves/maître en 1998. De même le pourcentage d’enseignants qualifiés est faible et tend à diminuer : 91,9 % en 1994 contre 71,3 % en 1998. En 2000-2001, l’évaluation des écoles par rapport aux normes « Ecole de qualité fondamentale » a révélé que seulement 48,8% des classes sont construites en matériaux définitifs et 15,3% des classes offrent une place assise par élève. Aujourd’hui, l’écart est encore plus grand avec les quelques 10 millions d’âmes que compte le Bénin et le besoin sans cesse grandissant d’enseignants qualifiés surtout avec le surpeuplement des écoles créé par la mesure de gratuité de l’enseignement au Bénin.
Graphique N1 - Taux Scolarisation par sexe
Graphique N2 - Taux Succès aux examens
Source : UNFPA-Bénin
Investir dans la ressource humaine pour assurer la relève
Face à cette situation délétère, une thérapie de choc s’impose. Selon le DET, il faut investir dans la ressource humaine qui est la première de toutes les ressources. « Si nos enseignants sont bien qualifiés, je crois que la technologie de pointe ne va pas nous échapper. Quand on dit que les enfants sortent du lycée et chôment, c’est parce qu’ils ne sont pas qualifiés. Un enfant qui est bien formé en mécanique auto aujourd’hui, il ouvre un garage, il ne peut pas chômer », a suggéré le DET. Pour le directeur du CEG Ste Rita, « il faut recruter massivement des enseignants qualifiés, former de façon permanente les enseignants et recycler les professeurs. C’est ce qu’ils ont, qu’ils vont donner.», a-t-il précisé. Quant à la DEC, le retour de l’excellence dans le public passe par une volonté et un engagement au niveau individuel d’abord. « Il faut que nous ayons un certain patriotisme. L’amour de la Nation, l’amour de nous-mêmes. Quand nous nous aimons, nous savons ce qui est bien pour nous et donc pour l’autre aussi. C’est-à-dire apprendre à aimer son pays et son travail et à bien faire ce pourquoi, on est à ce poste là. »